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La majorité des participants (18), indépendamment de la loi sous laquelle ils sont placés, affirme que leur consommation de SPA précédant leur placement était liée à certains de leurs actes criminels. Dans ce sens, sept jeunes mentionnent avoir commis des crimes afin d’obtenir de l’argent pour soutenir leur consommation.

JB4: À place que ouais, je suis dans les gangs, faque j’ai découvert la consommation, c’est j’avais déjà découvert la consommation, pis pour avoir mon argent pour être capable de faire ça, je me suis enligné vers eux autres.

Quelques jeunes ont affirmé que la consommation de SPA (notamment l’alcool, le speed, l’ecstasy et la cocaïne) facilitait la criminalité, dans le sens que les effets obtenus à travers l’intoxication leur procuraient, en plus d’un certain amusement, des sentiments de puissance et de force (7).

JF1: … parce que j’ai déjà fait (des vols de voitures) sans consommer, mais j’étais stressé. J’avais peur de m’faire pogner, mais quand j’consomme, c’est comme si je m’en fou. J’suis en voiture et même si j’vois la police, j’m’en fou.

Toutefois, un jeune a déclaré que, tout compte fait, l’état d’intoxication peut déranger considérablement les activités criminelles, puisque le délinquant se place ainsi dans des situations très risquées pour lui.

JE2: Quand j’sortais pour aller faire ça (des introductions par effraction), j’étais très à jeun. J’faisais jamais ça. Si j’avais fait d’la drogue, j’aurais fait des choses stupides. J’devenais stupide. (…) C’est déjà arrivé que j’pisse dans l’salon comme ça ou disons que j’ai soif, j’prends une bouteille d’eau et j’m’assis à table pis j’bois une bouteille d’eau. Pis là, j’suis comme ça et t’as l’autre qui fouille partout dans maison pis j’suis assis comme ça à table.

L’implication dans le marché noir de la vente de drogues est une expérience assez couramment relatée par presque la moitié de nos participants (11). En général, ces activités viennent s’ajouter à d’autres comportements délinquants déjà adoptés par le

jeune (ex. le vandalisme, le taxage, les introductions par effraction, les vols de voitures, etc.). D’après les jeunes interviewés, la vente leur rapporte l’argent nécessaire à leur consommation et une proximité avec le marché des drogues qui facilite l’accès aux substances de choix. En conséquence, certains (6) affirment que le fait de s’être engagé dans la vente de drogues les pousserait à consommer de plus en plus.

JF1: Ben, l’inconvénient (de vendre de la drogue) c’est que moi, j’consomme beaucoup. C’est ça. J’en ai tout l’temps. J’en manque jamais. Faque, j’fume toujours sans arrêt. Là, aussi, c’est les problèmes avec les autres personnes, d’autres personnes qui vendent aussi pis que y’en a qu’ils veulent pas que tu vendes, toi tu veux pas, ils volent tes clients, des affaires comme ça.

Bien que la cooccurrence d’abus de SPA et de criminalité soit bien documentée (Braithwaite et al, 2003; Dembo & Schmeidler, 2007; Hser et al., 2001; Mason & Windle, 2002; Voisin, Neilands, Salazar, Crosby, & DiClemente., 2008), les explications des associations entre drogue et criminalité chez les adolescents demeurent incomplètes (Brochu, 2006). Selon Brochu (2006), le lien entre la consommation de SPA et l’implication dans des activités délinquantes n’est pas causal, mais implique une contribution réciproque. Ainsi, certains consommateurs ne se tourneront jamais vers la criminalité, tandis que pour d’autres, souvent issus de classes défavorisées, les actes délinquants constitueront une des seules manières d’obtenir les produits convoités (non seulement des SPA, mais aussi d’autres biens de consommation). L’auteur affirme que : « En ce sens, la délinquance ne constitue pas uniquement la manifestation d’une rébellion adolescente, mais sert à des fins instrumentales. » (Brochu, 2006, p.23).

À ce propos, nos données confirment l’existence d’une « délinquance instrumentale » (c’est-à-dire une implication criminelle à des fins économiques pour se procurer des SPA), ce qui est aussi observée dans d’autres études (Brunelle, Brochu, & Cousineau, 1998; Lennings et al., 2006). Brunelle et al. (1998) mentionnent que peu importe la drogue consommée, les jeunes commettent des délits pour s’emparer de l’argent nécessaire à leur consommation, que cette consommation soit quotidienne, régulière ou même occasionnelle. Les auteurs ajoutent que cette situation est en partie reliée à la

« fragilité du pouvoir économique des adolescents » (Brunelle et al., 1998, p. 54). Or, si les adultes canadiens qui n’ont pas d’emploi reçoivent souvent des prestations gouvernementales qui leur assurent un minimum de pouvoir d’achat, la situation des adolescents est tout autre. D’abord, certains n’ont même pas l’âge légal de travailler, et dépendent à 100% de l’allocation des parents pour payer leurs dépenses. D’autres peuvent compter sur leur salaire de travail, quoique maintenir un emploi ne soit pas une tâche facile pour ceux dont les habitudes de consommation sont plus ancrées.

Dans un autre ordre d’idées, cette fonction « instrumentale » de la consommation est aussi observée chez certains participants dans le sens où leur consommation serait « utile » à la commission des actes criminels, par exemple en procurant davantage de courage, ce qui facilite le passage à l’acte, et plus de plaisir à effectuer ces activités. Ces sensations pourraient possiblement être liées à la sévérité du crime commis. C’est d’ailleurs ce que souligne l’étude de Kinlock, Battjes, & Gordon (2004) effectuée auprès d’une cohorte d’adolescents en traitement pour la toxicomanie. Les auteurs remarquent que la gravité du crime semble directement corrélée à la consommation de drogues autres que l’alcool et la marijuana. Ainsi, les crimes commis sous l’effet des stimulants ou de la cocaïne, par exemple, étaient généralement plus graves que ceux commis sous l’effet de la marijuana ou de l’alcool.

Également, l’étude de Brunelle et al. (1998) soutient nos analyses en ce qui concerne l’implication des jeunes dans la vente des drogues et le rôle utilitaire de ces activités, qui fournissent aux jeunes non seulement l’argent requis pour se procurer des drogues, mais aussi un accès privilégié à diverses sortes de psychotropes et les contacts nécessaires pour les acheter à bon marché (c’est-à-dire, pour réduire les coûts reliés à la consommation). Tout comme les participants de notre étude, ceux de Brunelle et al. (1998) déclarent que l’implication dans la vente de stupéfiants entraîne une augmentation de la consommation. C’est ce que Brochu (2006) appelle le « stade de renforcement mutuel », où, en fonction de la consommation régulière, la drogue devient simultanément la cause et la conséquence de la délinquance.