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Conformément à ce qui a été mentionné dans la section 2.4.1, la plupart des jeunes ont expérimenté pour la première fois une SPA au tout début de leur adolescence et la substance impliquée dans cette initiation a été le cannabis. Les circonstances entourant ce début de la consommation de SPA se ressemblent beaucoup. La majorité des participants (20) affirme avoir consommé en compagnie ou sous l’influence des pairs. Lors de ces premières expériences avec le cannabis, les jeunes disent avoir vécu des sensations très plaisantes, c’est pour cette raison que leur consommation est par la suite devenue plus régulière.

JD4: Ben, j’ai commencé à consommer à l’âge de 13 ans, j’ai fumé mon premier joint. Après un vendredi soir, avec des amis, on est allé coucher chez un de nos amis. On était pas mal de gars. On jouait aux jeux vidéo. Un moment donné, on est sorti dehors. Y’était, comme, à peu près minuit. On est allé à la cour d’école, à côté pis moi, j’voyais que le grand frère de mon ami roulait un joint. On voulait savoir c’était quoi, alors on est allé et il nous a fait fumer un joint. On n’était vraiment pas sur terre. On était vraiment ailleurs. Alors, j’ai aimé ça. J’ai vraiment aimé l’expérience pis j’ai r’continué. J’ai r’commencé à en prendre.

Quelques répondants (7) déclarent que les membres de leur famille (parents ou fratrie plus âgée) ont été impliqués dans le début de leur consommation.

JC1: J’avais 8 ans quand j’ai consommé la première fois. C’est quand mon père est parti, mon frère m’avait fait essayer parce que y’était plus âgé. Pis, à 9 ans et demi, j’ai commencé à consommer à tous les jours.

L’expérience initiale avec les SPA pendant la préadolescence est souvent signalée par les jeunes en difficulté, notamment pour ceux qui présentent également une trajectoire de délinquance (Bolognini et al., 2007; Dembo, Wareham, & Schmeidler., 2007; Jenson, Potter, & Howard, 2001; Prinz & Kerns, 2003). Concernant les jeunes en CJ, il est intéressant de noter que la moyenne d’âge d’initiation à la consommation de nos participants est exactement la même que celle des garçons interviewés par Laventure et al. (2008) (11,8 ans dans les deux recherches), et cela, malgré une importante différence dans la constitution des échantillons. Ce constat peut indiquer que l’initiation précoce serait une caractéristique prévalente chez les jeunes desservis par les CJ du Québec, plutôt qu’une spécificité attribuable à ceux qui présentent déjà une consommation problématique ou à risque de le devenir.

Par ailleurs, l’initiation précoce à la consommation de SPA constitue un facteur de risque reconnu autant pour l’abus de SPA (Fergusson, Horwood, & Lynksey, 1995) que pour la délinquance (Gordon, Kinlock, & Battjes, 2004). Par exemple, Prinz et Kerns (2003) soulignent que pour une partie importante de leur échantillon de jeunes contrevenants, l’initiation à la consommation avant l’âge de 13 ans est associée à une consommation régulière de SPA par la suite. De surcroît, l’initiation à la consommation avant l’âge de 12 ans apparaît clairement comme un précurseur de l’abus de substances durant l’adolescence. Dans leur étude, Bolognini et al. (2007) les adolescents considérés « violents » ont commencé à consommer des SPA significativement plus précocement et ont présenté plus de problèmes reliés à l’abus de substances que ceux du groupe contrôle. En outre, l’étude de Ferguson et Horwood (1998) indique que la consommation de marijuana avant l’âge de 16 ans est associée à des problématiques subséquentes d’abus de substances et de délinquance juvénile.

Il est à noter que d’après les récits de plusieurs participants, le cannabis a été la première SPA dont ils ont fait usage. Cela va à l’encontre de d’autres études qui indiquent que les

substances légales servent généralement de porte d’entrée à la consommation (Kandel, Yamaguchi, & Chen, 1992). Or, puisque ce résultat a été obtenu via une entrevue qualitative et donc à l’aide d’une question ouverte, il est possible que les jeunes n’aient pas considéré l’usage du tabac comme un élément pertinent de leur histoire de consommation. En ce qui concerne l’alcool, quoique sa consommation soit illégale pour les adolescents de moins de 18 ans, il reste que cette substance est légalement vendue à la population adulte et malgré tout, elle a servi moins souvent d’introduction aux SPA que le cannabis.

D’autre part, les contextes d’initiation à la consommation décrits par nos participants témoignent de l’important rôle des pairs pendant l’adolescence. En fait, ce stade développemental est classiquement défini comme une étape de la vie au cours de laquelle les individus chercheraient à construire leur propre identité en s’éloignant des influences parentales, tout en se rapprochant du groupe de pairs (Bee & Boyd, 2003). Ainsi, d’après plusieurs chercheurs, le groupe de pairs représente un facteur crucial qui influence tant l’initiation que la progression de l’usage des drogues (D’Amico & McCarthy, 2006; Kiesner & Fassetta, 2009; Oxford, Harachi, Catalano, & Abbott, 2000). Or, il n’est pas étonnant de constater que pour la majorité de nos jeunes participants, tout comme pour une proportion significative d’individus interviewés par Brunelle, Cousineau et Brochu (2002a) les premières expériences de consommation ont eu lieu en compagnie des copains.

Néanmoins, certains de nos jeunes ont été initiés à la consommation en contexte familial. Cette situation est aussi observée dans d’autres études (Brunelle et al., 2002a; Brochu & Parent, 2005). Il semble que lorsqu’un parent fait usage des SPA en présence de son enfant, il approuve tacitement cette pratique, ce qui pourrait en retour inciter le jeune à imiter le modèle parental (Marsden et al., 2005). En plus, lorsque les autres membres de la famille consomment des SPA, les drogues pourraient être plus facilement accessibles puisqu’elles circulent librement à la maison (Brochu & Parent, 2005). Pour les jeunes qui vivent avec des consommateurs ou des vendeurs de drogues, une connotation positive est probablement attribuée à la déviance, facilitant par le fait même

le passage d’un statut de passivité déviante à un statut d’acteur déviant (Brunelle et al., 2002a).

Il est important de noter que parmi les jeunes participants de cette étude, ceux qui ont été initiés à la consommation en contexte familial ont, de façon générale, vécu leurs premières expériences de consommation à un âge encore plus précoce que les autres. Autrement-dit, ces jeunes ont probablement pu expérimenter les effets des SPA avant même d’atteindre l’âge d’y être initié par ou avec les copains.