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4.1 La motivation et l’amotivation à consommer

4.1.2 Analyses inspirées du cadre théorique

Vallerand et Brière (1995) ont utilisé la TAD pour élaborer l’Échelle de motivation à la consommation d’alcool (ÉMCA) qui a été validée à partir de trois niveaux

d’internalisation de la motivation à consommer: la motivation intrinsèque, la motivation extrinsèque et l’amotivation. Les affirmations associées à chaque niveau d’internalisation ont inspiré les analyses théoriques des catégories thématiques identifiées dans la section précédente. Afin d’alléger le texte et favoriser la compréhension du lecteur, dans les analyses, nous avons utilisé les termes « motivation autonome » pour faire référence à tous les niveaux de motivation intrinsèque et « motivation contrôlée » pour faire référence à tous les niveaux de motivation extrinsèque.

Dans ce sens, la première catégorie en lien avec la motivation à consommer soulevé dans les analyses, « le plaisir de la consommation », relève d’une motivation qui peut être qualifiée d’autonome. Ce type de motivation réfère au fait de réaliser une activité (ou de manifester un comportement) pour les sensations de satisfaction que l’on retire pendant la pratique de l’activité (Deci, 1975). Donc, le jeune qui est motivé d’une façon autonome, consomme par choix et par intérêt et ne sent aucune pression externe pour le faire. Ce plaisir et cette satisfaction, inhérents plutôt que conséquents à l’activité de consommer, lui permettent aussi de combler ses besoins fondamentaux de compétence et d’autonomie (Deci & Ryan, 1985).

Les études suggèrent que les individus motivés de façon autonome (plus spécifiquement intrinsèque) démontreraient un niveau plus élevé de persévérance dans leur comportement que les personnes motivées de façon contrôlée ou amotivées (Deci & Ryan, 2000). C’est-à-dire que la consommation motivée par le plaisir peut s’avérer assez difficile à changer. Bref, c’est le désir (et les attentes) de revivre les émotions plaisantes ressenties au moment de la consommation qui amènerait le jeune à re-consommer. On remarque également que certaines études empiriques mentionnées plus haut soulèvent un grand nombre de problèmes associés à la consommation chez les jeunes qui affirment consommer pour le plaisir (Boys & Marsden, 2003; Comasco et al., 2010). L’extrait suivant souligne la relation entre le plaisir et l’intensification de l’usage de la drogue.

JE2 : J’consommais beaucoup de ça parce que j’étais pogné là- d’dans pis j’aimais ça. J’aimais comment j’me sentais. J’étais

ben. Fai’que, j’ai continué à en prendre, en prendre, à essayer plein de sortes. Pis là, j’ai commencé à en prendre tous les jours. Tous les jours, j’dormais pas. J’me couchais à 6-7 heures du matin, j’me levais et c’était l’heure du souper. Pis, ça recommençait tous les soirs.

D’autre part, « le soulagement » et « la fonctionnalité » représentent ce qui, dans le cadre de la TAD, est considéré comme « la motivation contrôlée ». En fait, il semble que tous les individus qui consomment ont, au moins dans une certaine mesure, une motivation contrôlée (p. ex. parce que la situation sociale est propice, pour bien paraître face à soi même et aux yeux des autres, pour se détendre ou éprouver un soulagement, etc.) (Vallerand & Brière, 1995). Dans ces cas, l’individu ne fait pas référence directement à l’activité de consommation comme étant le moteur qui l’anime à consommer, mais voit plutôt la consommation comme une sortie de secours face à des sentiments, souvenirs ou situations indésirables de sa vie.

JC6 : Ben, la plupart du temps, quand j’suis influencé pis que j’décide de l’faire, c’est parce que ça va mal. Mettons, des problèmes avec le Centre, des problèmes quand j’avais 8 ans avec le foyer, des problèmes avec les gens, avec ma blonde, avec mes ex. Pis là, quand le gars est comme : « viens fumer », ben moi, j’m’en viens parce que j’suis écoeuré.

La persévérance des comportements motivés de façon contrôlée semble être un peu plus difficile à prévoir que celle des comportements autonomes, étant donné que, dans le continuum de l’intégration de la motivation (voir Figure 2), la motivation contrôlée peut varier énormément pour ce qui est de l’autonomie relative des comportements. Les comportements motivés de façon partiellement internalisée seraient plus passibles de se maintenir dans le répertoire de l’individu que ceux motivés de façon externe (entièrement contrôlé) (Deci & Ryan, 2000). Cependant, on sait que les comportements motivés de façon contrôlée peuvent à tout moment devenir des comportements autodéterminés, et que l’environnement social jouerait un rôle essentiel dans ce processus (Ryan & Deci, 2000).

Quoiqu’il en soit, selon Markland et al. (2005), les comportements motivés notamment par des motifs extérieurs à l’activité elle-même seraient moins persistants, car quand les contrôles (ou les contraintes) externes ne sont pas actifs, l’individu pourrait s’en abstenir. D’après ses auteurs, cela voudrait dire que les jeunes qui consomment du cannabis pour oublier leurs problèmes avec le centre de réadaptation, par exemple, pourraient avoir tendance à ne pas consommer (ou à moins consommer) une fois que ces problèmes ont été réglés. À notre avis, cette conclusion n’est pas appropriée étant donné la variété et l’aspect dynamique des sources de motivation illustrées dans cette section.

Les deux dernières catégories thématiques (la dépendance et l’abstention volontaire) correspondent à ce que la TAD considère « l’amotivation ». D'un côté, l’amotivation est associée au sentiment de dépendance. L’individu n’est pas capable d’identifier clairement les raisons qui le font consommer et ne perçoit plus que le comportement est sous son contrôle (Vallerand & Brière, 1995). De l’autre côté, le fait de s’abstenir volontairement de consommer certaines substances indique un manque de valorisation de ce type de consommation ainsi qu’une perception que ces substances ne lui apporteront aucune récompense significative comparativement aux dangers potentiels (Ryan & Deci, 2000).

Conformément à ce qui a été mentionné au chapitre un, les études scientifiques qui visent à mieux comprendre la motivation des jeunes à consommer des SPA ou à s’engager dans des comportements à risque à la lumière de la TAD sont, pour le moment, peu nombreuses. De façon générale, elles indiquent que les jeunes présentant un profil motivationnel de type « contrôlé » dans leur vie en général, ainsi que ceux ayant des aspirations extrinsèques (p. ex. le succès, l’argent) seraient plus passibles de soulever des raisons également extrinsèques autant pour leur usage de SPA (Knee & Neighbors, 2002). De surcroît, le fait de se sentir contrôlé et de fournir des raisons extrinsèques pour consommer de l’alcool a été continuellement associé à une consommation élevée et à des résultats scolaires, relationnels et médicaux moins adaptatifs (Knee & Neighbors, 2002).

Il importe de remarquer que les résultats des études démontrent généralement que la motivation intrinsèque (le degré le plus élevé d’autonomie dans le continuum de l’intégration de la motivation) est associée au bien-être et à des comportements de santé (Ryan & Deci, 2000), bien que les auteurs soulignent que tous les comportements bénéfiques ne sont pas motivés de façon autonome (Deci & Ryan, 1985, 2002). Cependant, les études conduites auprès de populations de jeunes à risque indiquent que l’item qui évalue la motivation intrinsèque (« Je fais ces choses parce que j’ai du fun en les faisant ») est souvent choisi par les jeunes pour décrire leurs motivations envers des comportements à risque (Taylor et al., 2004; Usborne et al., 2009). Or, pour ces jeunes, leurs activités quotidiennes (p. ex. l’usage de SPA ) sont souvent considérées comme des activités très plaisantes. Ainsi, le lien entre la motivation autonome et le bien-être semble ne pas se maintenir quand il est question des populations particulièrement à risque d’adopter des comportements potentiellement nocifs pour leur santé (Taylor et al., 2004; Usborne et al., 2009).

Les catégories thématiques qui ont émergé des récits des participants ont démontré que le MTC ne s’est guère avéré utile pour l'analyse de la motivation à consommer. Étant donné que les participants consommaient, ou avaient déjà consommé, au moins une SPA de façon régulière, ni les stades d’acquisition, ni ceux de changement n’étaient pertinents aux analyses de leur motivation à consommer. Toutefois, ce modèle s’est avéré davantage pertinent pour les analyses de la motivation au changement qui fait l’objet de la prochaine section.

Tableau V : Synthèse des variables associées à la motivation à consommer des SPA

Variable Auteur (s)

Plaisir (excitation / détente) Boys et al. (1999); Boys et al. (2001); Boys et al. (1997); Van der Poel et al. (2009)

Fonctionnalité Boys et al. (1999); Boys et al. (2001); Parks et Kennedy (2004); Boys et al. (1997); Van der Poel et al. (2009); Hyman et Sinha (2009)

Soulagement de la souffrance Boys et al. (1999); Boys et al. (2001); Allen (2003)

Dépendance Perkonigg et al. (2008)

Abstention volontaire Boys et al. (1999); Fountain et al. (1999); Allen (2003)

L’influence des pairs26 Barnes et al. (2007); Fowler et al. (2007); Hill et al. (2008); Voisin et al. (2008)