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Le modèle socio-technique et le modèle japonais de travail en équipe

1.2 Les équipes de travail

1.2.4 Le modèle socio-technique et le modèle japonais de travail en équipe

Selon la documentation consultée, les équipes semi-autonomes et les équipes autonomes de travail inspirées du modèle socio-technique se distinguent par plusieurs aspects du modèle japonais de production allégée. Nous exposerons les principales différences entre ces deux modèles d’organisation du travail. Tout d’abord, ces deux modèles proviennent de deux conceptions bien différentes de la relation d’emploi. Les chercheurs et les praticiens en relations industrielles qui favorisent le modèle socio-technique se situent dans un courant de pensée pluraliste. Les pluralistes croient qu’un conflit d’intérêt entre l’employeur et le salarié est inhérent à la relation d’emploi, mais que ce conflit est institutionnalisé et qu’il peut être régulé (Cutcher et Gershenfeld, 1991). Certaines institutions comme le syndicat et la négociation collective permettent de canaliser et de réguler le conflit. Deux postulats sont essentiels à l’approche pluraliste en relations industrielles : le droit des salariés de s’organiser et le droit de négocier

collectivement. À l’opposé, les chercheurs et les praticiens mettent de l’avant l’efficacité du modèle japonais sont pour la plupart issus du courant unitariste. Selon les tenants de la philosophie unitariste, la relation d’emploi est harmonieuse, car il existe une convergence des valeurs et des intérêts des deux parties à la relation. Ces théoriciens associent souvent l’entreprise à une famille et l’employeur au père protecteur des intérêts familiaux. Les travailleurs seraient malvenus de se placer ouvertement en conflit avec l’employeur, car ils pourraient provoquer la rupture de cette relation filiale.

Pourquoi les équipes de travail inspirées du modèle japonais de production allégée ne peuvent-elles être considérées comme des équipes autonomes ou semi-autonomes de travail ? « Because it does not give workers autonomy and does not integrate group activity into the production process itself. (Applebaum et Batt, 1994 : 86). » Les équipes semi-autonomes et les équipes autonomes de travail participent d’une philosophie sociale qui vise à humaniser le travail. Le système socio-technique vise à concilier les exigences techniques du travail avec les aspirations sociales des travailleurs. Or, le modèle japonais est adopté essentiellement pour des raisons économiques et il a été mis en place pour contrer la concurrence internationale dans l’industrie automobile et l’inflation du yen. La culture organisationnelle du modèle socio-technique est beaucoup moins hiérarchique et plus démocratique que son vis-à-vis asiatique. Les participants du modèle socio-technique jouissent d’une plus grande autonomie que ceux du modèle de la production allégée. Alors que les membres des équipes autonomes de travail possèdent un pouvoir décisionnel en matière d’organisation de leur travail, les équipiers japonais ont un pouvoir de consultation : « Japanese workers have significant involvement in decision making, but upper-level make the decisions (Applebaum et Batt, 1994 : 35). »

En raison de la grande autonomie et de la flexibilité organisationnelle qu’il implique de la part des équipes de travail, le modèle socio-technique se concentre sur le créneau du marché du travail où se trouvent les industries de haute technologie à forte valeur ajoutée. Ainsi, les consommateurs paient plus cher pour un produit de plus grande qualité qui est réalisé par des équipes autonomes ou par des équipes semi-autonomes de

travail. La qualité du design et la personnalisation du produit sont les deux principaux avantages de ce système dans les produits de consommation. À l’opposé, les équipes supervisées peuvent offrir des produits plus diversifiés et à plus grand volume, et elles accordent une grande importance aux prix et au respect des normes sur la qualité. De plus, les équipes de travail supervisées selon le modèle japonais de production allégée peuvent réaliser un plus grand éventail de produits que les équipes de travail de type socio-technique, car elles n’entreposent pas et ne gèrent pas d’inventaire.

Une autre différence majeure entre les deux modèles concerne les chefs d’équipe. Les équipes autonomes de travail élisent un chef d’équipe, alors que la direction impose son superviseur aux membres des équipes et des cercles de qualité dans le modèle de production allégée. Le superviseur a conservé l’ensemble des tâches qui existaient dans l’ancien modèle taylorien. Le chef d’équipe du modèle socio-technique oriente ses collègues, tandis que le superviseur contrôle, surveille et veille à l’application des procédures de travail. Dans le régime de production allégée, le service des ressources humaines consacrera tous ses efforts à recruter un superviseur ou un ingénieur du travail, alors que dans un modèle socio-technique, la direction des ressources humaines porte autant attention au recrutement d’un contremaître qu’au membre de l’équipe de travail qui est investi de nombreuses responsabilités.

Niepce et Molleman (1998) expliquent les différences fondamentales entre le système socio-technique et le modèle de production allégée en faisant référence à la formation. Les deux systèmes limitent trop souvent la formation aux cours traditionnels, négligeant les autres méthodes et techniques de formation disponibles (Dolan et Schuler, 1994). Les deux systèmes organisationnels se distinguent cependant en ce qui concerne l’étendue de la formation. Niepce et Molleman (1998) soulignent que les travailleurs du modèle japonais sont souvent formés en dehors des heures de travail et qu’ils ne sont pas rémunérés pour ces activités (off line), tandis que la formation dans le système socio-technique se fait habituellement durant les heures normales de travail (on line). Sous le régime de production allégée, la formation est surtout orientée vers les techniques de résolution de problèmes. Contrairement à ces efforts consacrés à la

formation sur le tas, les protagonistes du système socio-technique militent pour la création de programmes de formation axés sur le développement des compétences. Les équipiers apprennent à communiquer, à analyser, à superviser, à gérer les conflits, à comprendre les demandes des fournisseurs et des clients ainsi qu’à fournir une rétroaction au bon moment à leurs coéquipiers (Niepce et Molleman, 1998).

Niepce et Molleman (1998) soulignent également que dans un système dit de « production allégée », le « feedback » est souvent utilisé pour faire augmenter la pression par les pairs. Par exemple, chez Nissan, l’employeur publie les statistiques d’absence, afin de récompenser les employés les plus assidus. Ces auteurs estiment par ailleurs que dans le système socio-technique, la rétroaction est essentielle au développement des équipes de travail. Les méthodes de travail des équipes autonomes et des équipes semi-autonomes sont souvent informelles, car elles sont créées et appliquées à l’interne, et le chef d’équipe doit assurer le « feedback » en cas de changement des processus de travail. Par contre, les travailleurs participant aux équipes de travail dans les systèmes de production allégée doivent respecter des méthodes et des directives formelles, et ils doivent atteindre des seuils de rendement déterminés par des analyses statistiques. Les travailleurs les plus appréciés dans le système de production allégée sont ceux qui respectent les procédures, alors que dans le modèle socio-technique, ce sont ceux qui améliorent constamment les procédures. Dans les équipes supervisées, la participation des salariés est circonscrite à des forums formels, comme des groupes de résolution de problèmes et des groupes de qualité totale, alors que les membres des équipes de travail dans le modèle socio-technique sont encouragés à participer à la définition des objectifs et au fonctionnement du travail en équipe.

Niepce et Molleman (1998) se questionnent également sur le degré d’identification des membres à l’équipe de travail dans les systèmes socio-technique et de production allégée. Les travailleurs dans le système de production allégée ne s’identifient pas à une équipe de travail, car ils se déplacent selon une rotation des postes déployée à la grandeur de l’établissement. Chaque individu connaît et exécute une multitude de tâches, et le sentiment d’appartenance à une équipe de travail est faible. À l’opposé, le système

socio-technique tente de limiter les déplacements entre les départements par un découpage systématique des activités, afin de former des îlots plus ou moins indépendants. Les membres de l’équipe deviennent responsables d’une partie de la production. Cette pratique permet aux salariés de s’approprier le travail et de créer un sentiment d’appropriation par rapport à celui-ci ainsi que d’appartenance au groupe de travail. À outrance, ce phénomène peut cependant affaiblir la cohésion interne, car les employés peuvent se replier sur leur équipe et perdre la notion de solidarité envers l’organisation.

Bacon et Blyton (2000) dressent les différents paramètres d’un système productif « low road », comparativement à un système « high road ». Un système « high road » est un système à haute performance qui vise à améliorer constamment la compétitivité de l’entreprise, le service à la clientèle et la qualité du produit. Selon ces auteurs, les équipes de travail issues du système socio-technique sont associées au modèle « high road » : « As we explain below, high road teams contain more of the aspects associated with sociotechnical teams and theories that stress participative management through teamworking. (Bacon et Blyton, 2000 : 1429). » Le système prôné par Toyota est fondé sur une logique d’économie des coûts et il n’entraîne pas de planification stratégique de la main-d’œuvre. À l’opposé, nous retrouvons le modèle popularisé par Volvo, qui combine une logique économique et sociale. Les protagonistes de ce modèle comptent sur l’initiative et sur l’engagement des employés pour innover dans l’organisation du travail. Ces deux modèles parviennent à satisfaire des objectifs économiques en favorisant un aplanissement hiérarchique, une plus grande flexibilité et une meilleure utilisation de la technologie. Par contre, le système socio-technique se préoccupe davantage des objectifs sociaux et de la culture organisationnelle. L’employeur qui opte pour un modèle socio-technique privilégiera une amélioration de la qualité de vie au travail, un enrichissement des tâches et une diminution des ouvrages pénibles. En plus de s’occuper de ces objectifs « sociaux », il se soucie des impacts sur la culture organisationnelle d’une croissance de l’engagement, de la participation ainsi que de la hausse de la motivation des employés. Bref, les travailleurs engagés dans des

expériences socio-techniques seraient plus autonomes, plus qualifiés et plus polyvalents que ceux qui vivent des formes d’organisation du travail plus traditionnelles.

Dans les milieux de travail syndiqués, les représentants syndicaux sont très souvent engagés dans l’implantation des équipes de travail. Ils codéterminent avec l’employeur les règles de conduite concernant la composition et le fonctionnement des équipes de travail. Dans le modèle japonais de production allégée, les syndicats sont consultés, mais ils n’ont aucun pouvoir décisionnel en matière d’organisation du travail. Ainsi, Eaton et Voos (1992) expliquent que les syndicats n’ont aucun avantage à intervenir dans les cercles de qualité, car ceux-ci n’ont aucun pouvoir décisionnel. Le syndicat est motivé à s’engager dans l’organisation du travail lorsqu’il a l’occasion d’influencer les décisions de l’employeur. Les efforts des travailleurs qui veulent participer à des nouvelles formes d’organisation du travail ne seront pas récompensés s’ils ne disposent pas d’un pouvoir collectif face à l’employeur pour négocier le partage des gains de productivité. D’après Applebaum et Batt (1994), les cercles de qualité et les groupes de résolution de problèmes peuvent cependant servir de prémisse à l’instauration des équipes de travail.