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1.2 Les équipes de travail

1.2.3 Le modèle japonais de travail en équipe :

Le modèle japonais de travail en équipe se présente sous différentes appellations : une « équipe de travail supervisée » ou un « groupe de résolution de problèmes ». Les équipes supervisées japonaises ont vu le jour afin de réduire les pertes de temps, d’éliminer les engorgements dans la chaîne de production, d’amenuiser les inventaires et d’augmenter la qualité des produits. Par ailleurs, le système d’organisation de la production proposé par la production allégée n’est pas seulement consacré à la production, car il encadre les relations avec les fournisseurs ainsi que les représentants des ventes et fournit des paramètres aux employés sur la conception du produit. Applebaum et Batt (1994) expliquent les détails de ce modèle. Ce modèle d’organisation du travail est un dérivé du modèle taylorien : « They are parallel structures that co-exist with the normal bureaucratic organization and hierarchical authority ; but leave these arrangement untouched. (Applebaum et Batt, 1994 : 34). » En effet, Applebaum et Batt (1994) expliquent qu’une structure parallèle coexiste à la structure organisationnelle formelle. Malgré les équipes de travail qui recommandent des solutions pour améliorer la qualité, la hiérarchie et l’organisation bureaucratique conservent leur rôle prédominant dans ce système où l’être humain est toujours le prolongement de la technologie. Les économies d’échelle restent cependant importantes dans le modèle japonais de production allégée (Applebaum et Batt, 1994).

Le contrôle demeure centralisé dans ce modèle d’organisation du travail, et il est assuré par la standardisation des procédures et par la supervision directe des équipes de travail. Nous avons souligné plus tôt que les incertitudes des systèmes productifs caractérisant les industries dites de « process » favorisent l’implantation d’un système socio- technique. Or, le système japonais est plus efficace dans un environnement routinier et formalisé. Le contremaître et l’ingénieur industriel demeurent les acteurs principaux dans un système de production allégée. Le superviseur effectue l’ensemble des tâches administratives et contrôle le travail des équipiers. L’ancien superviseur se voit généralement attribuer des fonctions de chef d’équipe. Dans les faits, il existe une certaine continuité entre les fonctions du superviseur et celles de chef d’équipe. Delbridge et al. (2000) illustrent, à partir d’une étude effectuée dans le secteur de l’automobile, l’étendue des attributions de chef d’équipe :

« In the sense that their team leaders were part of the team, these teams may qualify as «self managed» but responsibility is centralized and hierarchical. Team leaders hold primary responsibility for the allocation and pace of work, and for the settling of grievances, implying that the team leader is the front-line of management (Delbridge et al., 2000 : 1474). »

Dans l’industrie automobile, le travail s’effectue parfois sur une chaîne de montage. La technologie impose la cadence et le rythme de travail. Cette utilisation de la technologie ne favorise pas la flexibilité et le contrôle du travail par les membres de l’équipe de travail. Le pouvoir et le contrôle demeurent centralisés entre les mains dirigeantes. Le contremaître choisit les chefs d’équipes, assigne les tâches aux équipiers et veille à l’application des procédures. Les superviseurs conservent une autorité importante sur les travailleurs, et les équipes de travail n’ont pas de pouvoir décisionnel. Appelbaum et Batt (1994) expliquent ce phénomène :

« Japanese teams are not autonomous, however. Foreman still play an important role in performing administrative tasks, supervising workers, and applying standardized work procedures, although these procedures are usually developed by the workers themselves in conjunction with engineers and are subject to subsequent improvements by quality circles (Applebaum et Batt, 1994 : 35). »

De même, les ingénieurs ont pu conserver leur place privilégiée dans ce nouveau système de production allégée, car ils ont la responsabilité d’orchestrer ces améliorations organisationnelles. Sous le régime taylorien, les ingénieurs du travail ont la tâche de segmenter le travail afin d’accélérer au maximum la cadence. Ils parcellisent encore le travail selon des études de temps et de mouvements. Les ingénieurs du travail sous le régime d’une production allégée s’appuient sur les concepts créés par Deming pour accélérer la cadence. Selon Deming (1988), il est nécessaire de responsabiliser le travailleur (empowerment) et de lui fournir les moyens de s’engager envers son travail. Les méthodes de contrôle de l’organisation du travail sont subtiles. On ne voit aucun système de surveillance, mais les méthodes de contrôle de la production sont standardisées. Ainsi, les employés qui ne suivent pas le rythme de travail imposé subissent les réprimandes de l’employeur et parfois de leurs collègues. Plusieurs techniques sont utilisées pour amener les salariés à s’adapter aux cadences de la production.

La participation directe des salariés joue un rôle prédominant dans ce système (Applebaum et Batt, 1994). Tout d’abord, la rotation des postes favorise l’apprentissage de différentes tâches. Par exemple, Der Stepanian (1999) illustre bien, dans une étude empirique dans l’industrie du vêtement, cette rotation des tâches qui fait suite à une réorganisation selon le modèle de production modulaire. Une opératrice sur une ligne d’assemblage doit connaître les tâches de ses deux voisines, car si sa collègue de gauche est trop occupée, elle devra l’aider à pallier à ce surplus, afin de conserver le flux continu de la production. Le but de cette pratique est de réduire les temps morts. Les opératrices doivent également assumer des tâches auparavant réservées aux inspecteurs de la qualité ou aux techniciens en mécanique. Les membres des équipes de travail peuvent participer à l’élaboration des procédures de travail, mais leur champ d’influence est limité à certains domaines. En fait, la collaboration est restreinte à des suggestions pour éliminer les rejets et améliorer la qualité du produit (Der Stepanian, 1999). Delbridge et al. (2000) soulignent que les membres des équipes de travail ont souvent plus de responsabilités, sans être plus autonomes, car ils se voient imposer un rythme par la technologie pour réduire les inventaires et améliorer la qualité des produits. En

somme, l’équipe de travail n’est pas autonome lorsqu’elle dépend du superviseur de première ligne (Niepce et Molleman, 1998).

Les cercles de qualité font partie intégrante du modèle japonais de travail en équipe. Applebaum et Batt (1994) définissent le cercle de qualité comme un petit groupe de travailleurs permanents dirigé par un superviseur qui se rencontrent volontairement pour résoudre des problèmes de qualité tels que les défauts, les rejets, le travail inutile et la perte de temps. Ce groupe est composé de 10 à 15 personnes qui ont la responsabilité d’analyser les problèmes de leur environnement de travail et de proposer des solutions innovatrices. Les cercles de qualité permettent l’amélioration des relations humaines, une meilleure circulation de l’information, une plus grande satisfaction au travail et l’élargissement des compétences des travailleurs (Dolan et Schuler, 1995). Cependant, les cercles de qualité se sont souvent soldés par des échecs (Kochan et Osterman, 1994 ; Brossard et Simard, 1990). Ils ont perdu de leur lustre et sont dorénavant remplacés par des groupes d’amélioration de la qualité. Selon Lapointe (1995), l’évolution d’un cercle de qualité à un groupe d’amélioration de la qualité nécessite deux changements majeurs : la disparition du volontariat et une intégration de ce groupe à la structure de l’organisation.