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Un modèle simple du choix de l’âge de départ en retraite

2 L’effet des réformes : un modèle théorique illustratif

2.1 Un modèle simple du choix de l’âge de départ en retraite

Le modèle

Nous illustrons la décision de départ en retraite par un modèle simplifié de maximisation de l’utilité sur cycle de vie. Nous nous plaçons dans le cadre d’un modèle statique d’arbi- trage travail-loisir, dans la lignée de Burtless (1986), Brown (2013) ou encore Manoli et Weber (2016). L’individu choisit son âge de départ en retraite en arbitrant entre la consommation que lui apporte le travail et le loisir de la retraite.

Les hypothèses du modèle sont les suivantes. On suppose que l’individu prend sa déci- sion de retrait du marché du travail à 55 ans, ce qui revient à considérer que la carrière avant cet âge est exogène par rapport à ce choix. Le départ en retraite est définitif, et peut avoir lieu avant la liquidation de la pension. Mais on considère que la liquidation est automatique à partir de l’âge d’ouverture des droits si l’individu ne travaille pas. Il n’y a pas d’incertitude, aussi bien sur l’évolution du salaire en cas de poursuite d’activité que sur la durée de vie, et pas de préférence pour le présent.

PARTIEI – PROLONGER LA DURÉE EN EMPLOI: QUEL EFFET DES RÉFORMES?

L’individu maximise son utilité sur cycle de vie, qui dépend positivement de la consom- mation totale et négativement de l’âge de départ en retraite : U = U(C,R), avec C la consom- mation sur cycle de vie et R l’âge de départ en retraite. En supposant qu’il n’y a pas de pa- trimoine accumulé avant 55 ans et aucun motif de transmission patrimoniale, la contrainte budgétaire résulte du flux attendu de revenus, qui peuvent être de deux natures : salaire ou pension de retraite8. Le revenu sur cycle de vie Y s’écrit donc en fonction du salaire annuel W, de l’âge de départ en retraite R et du montant de pension associé P(R), qui peut être tou- ché uniquement à partir de l’âge minimal à partir duquel la pension peut être liquidée, MA.

Y = Y(R) = (R − 55) × W | {z } salaires +(T − max(MA,R)) × P(R) | {z } pensions (1)

La pente de la contrainte budgétaire représente l’incitation financière à la poursuite d’acti- vité, i.e l’impact d’une année de travail supplémentaire sur le flux de revenus :

dY dR = W +dRd [(T − max(MA,R)) × P(R)] = W −d max(MA,R)dR .P(R) +dP(R)dR .(T − max(MA,R)) =    W +dP(R)dR (T − MA) si R < MA W +dP(R)dR (T − R) − P(R) si R ≥ MA. (2)

Avant l’âge minimal de liquidation, travailler une année supplémentaire augmente le flux de revenu via le salaire perçu en sus (W) et par l’effet de cette année sur le niveau de pen- sion, perçue à partir de l’âge minimal et jusqu’à la mort (dP(R)/dR). Après MA ces deux effets jouent également mais sont minorés par la pension à laquelle l’individu renonce en travaillant un an de plus et par le fait que l’augmentation de la pension est reçue pendant une période plus courte (T − R < T − MA).

Exemple de contrainte budgétaire :

La contrainte budgétaire dépend à la fois de caractéristiques individuelles, comme le salaire ou la carrière passée, et de la législation des pensions déterminant le rapport entre l’âge de départ en retraite et le montant de la pension associée. Nous adoptons ici les hypothèses suivantes. Le salaire est supposé constant, et l’espérance de vie égale à 80 ans. Pour le lien entre âge de liquidation R et montant de pension P(R), nous nous plaçons dans une version simplifiée du barème du régime général en France avant la réforme de 2003. Le taux de li- quidation est maximal et égal à 70 % du salaire au moment où l’individu atteint le taux plein,

8Nous négligeons les autres sources de revenus possibles, par exemple les allocations chômage ou les mi- nima sociaux.

CHAPITRE1 – SYSTÈME DE RETRAITE ET COMPORTEMENTS D’ACTIVITÉ

à 65 ans pour le cas-type considéré ici9. Avant le taux plein, nous supposons que le taux de

liquidation est augmenté de 5 points de pourcentage par année travaillée en plus. Il n’y a pas de surcote : une fois le taux plein atteint, le taux de liquidation n’augmente plus. Enfin, nous faisons l’hypothèse que le montant de pension est déterminé uniquement par le taux de li- quidation, ce qui revient à négliger les autres déterminants potentiels du niveau de pension, comme le salaire de référence ou le coefficient de proratisation dans le régime général.

A partir de ces hypothèses et de la formule de la contrainte budgétaire présentée à l’équa- tion 1, nous pouvons calculer le revenu sur cycle de vie pour chaque date possible de départ en retraite entre 55 et 70 ans, comme illustré à la figure 1.2a. Le changement dans les incita- tions financières en fonction de l’âge de départ en retraite fait que contrainte budgétaire est coudée, et se décompose en trois partie distinctes :

• Avant l’âge d’ouverture des droits (AOD), prolonger sa durée d’activité permet de per- cevoir un salaire une année de plus, et d’augmenter sa pension qui sera perçue à partir de l’âge de 60 ans.

• Entre l’âge d’ouverture des droits et l’âge du taux plein (ATP), ces deux effets sont contrebalancés par la perte d’une année de retraite quand on repousse d’un an le dé- part en retraite, qui coïncide désormais avec la liquidation de la pension.

• Une fois l’âge du taux plein atteint, la pension n’augmente plus avec la prolongation de l’activité : le seul gain provient du différentiel entre le niveau de salaire et le montant de pension.

Dans cette représentation stylisée du barème de retraite, les incitations financières à la poursuite d’activité sont donc décroissantes au cours du temps, avec une pente de la contrainte budgétaire qui décroit à mesure que l’on repousse l’âge de départ en retraite. Si le modèle retranscrit bien le cadre incitatif d’un système de retraite, les hypothèses adop- tées sont également déterminantes. Ainsi, par exemple, si l’on suppose que l’individu peut bénéficier du chômage quand il ne travaille pas avant l’âge de 60 ans, tout en continuant à accumuler des droits à la retraite, la courbe est bien moins pentue avant l’âge d’ouverture des droits. Symétriquement, si l’on introduit une préférence pour le présent importante, la différence entre les pentes avant et après l’âge du taux plein s’atténue car la comparaison des niveaux de revenus instantanés (salaire vs. retraites) pèse plus que les gains futurs.

A partir de cette contrainte budgétaire, l’individu maximise son utilité intertemporelle, sur laquelle nous ne faisons pas d’hypothèse fonctionnelle. Nous considérons simplement qu’elle dépend positivement de la consommation, qui est égale au revenu total sur cycle de

9Par souci de simplicité, nous ignorons ici la particularité française permettant d’atteindre le taux plein dès l’âge d’ouverture des droits sous condition de durée validée.

PARTIEI – PROLONGER LA DURÉE EN EMPLOI: QUEL EFFET DES RÉFORMES?

vie Y, et négativement de l’âge de départ en retraite R. L’âge optimal de départ en retraite dépend également d’un paramètre individuel de préférence pour le loisir. De ce paramètre dépend l’âge optimal de départ en retraite : plus la préférence pour le loisir est forte, plus le point de tangence entre les courbes d’utilité et la contrainte budgétaire correspond à un âge de départ en retraite précoce (1.2a).

L’effet des ruptures de pentes : une concentration des départs aux âges clés

Une contrainte budgétaire avec une rupture de pente convexe comme obtenue dans ce mo- dèle est susceptible d’avoir un impact sur les comportements individuels d’offre de travail, comme souligné notamment par Hausman (1979) et Burtless et Moffitt (1985). En présence d’une contrainte budgétaire avec coude convexe (kink), la maximisation de l’utilité conduit à un point de masse (bunching) dans la distribution des heures ou des années travaillées.

Ceci est illustré sur la figure??, qui se concentre sur la rupture de pente observée au niveau du taux plein. Le raisonnement est le même pour le coude au niveau de l’âge d’ou- verture des droits, mais d’ampleur moindre dans notre modélisation, car l’ inflexion est plus importante au niveau de l’âge du taux plein. Les courbes d’indifférences de deux individus sont représentées, individus qui différent par leur préférence pour le loisir. En l’absence de rupture de pente dans la contrainte budgétaire (courbe en pointillé), l’individu à faible pré- férence pour l’inactivité serait parti en retraite à 67 ans. Mais avec la contrainte de budget coudé, son âge de départ optimal est 65 ans. Le deuxième individu lui, à forte préférence pour l’inactivité, part en retraite à 65 ans dans les deux cas. Tous les individus avec une pré- férence pour le loisir comprise entre ces deux extrêmes partiront en retraite à 65 ans, du fait de l’inflexion dans la contrainte budgétaire.

Le modèle simple envisagé, basé uniquement sur les incitations financières au prolon- gement de l’activité, prédit donc une plus forte concentration des départs en retraite à l’âge d’ouverture des droits et au taux plein, ce qui est cohérent avec ce que l’on observe dans les comportements de départ en retraite en France, comme par exemple à la figure 2.6 du chapitre 2.