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2 Panorama des modèles de microsimulation en France

2.1 Destinie et Pensipp

Le modèle Destinie (modèle Démographique Économique et Social de Trajectoires Indivi- duelles sImuléEs) est un modèle de microsimulation dynamique développé et géré par l’In- see, dont l’objectif principal est la projection à long terme des retraites. Il s’agit du premier modèle de microsimulation dynamique appliqué à la retraite en France : il a déjà été mobi- lisé, depuis le milieu des années 1990, pour un grand nombre d’analyses publiées par l’Insee, soit dans la première version du modèle, soit dans sa nouvelle version (« Destinie 2 ») déve- loppée dans la seconde moitié des années 2000.

Le modèle Pensipp, développé à l’Institut des politiques publiques depuis 2013, est en l’état très proche du modèle Destinie. Fruit d’un partenariat scientifique entre les deux ins- titutions, il s’appuie sur les mêmes biographies individuelles, le module retraite ayant fait l’objet d’une traduction en langage R, qui n’intègre toutefois pas les pensions de réversion pour l’instant. Nous nous concentrons donc ici sur la description de la structure et des hy- pothèses du modèle Destinie, qui sont dans l’ensemble valables pour les deux applications présentées dans les chapitres 5 et 6.

Nous mettons également sur le même plan le modèle Aphrodite de la Direction générale du Trésor (DGT), qui se base également sur les trajectoires individuelles du modèle Destinie, avec un module de comportement de départ en retraite spécifique codé en R6. Le modèle Aphrodite se démarque plus nettement de Destinie que Pensipp sur deux points principaux : la création d’un module spécifique sur l’estimation des transitions en fin de carrière, mais surtout la mise en œvre d’un bouclage macroéconomique, associant le modèle Aphrodite avec le modèle Mésange de la DGT. Les réformes du système de retraite modifient certaines variables explicatives du modèle Mésange (population active, dépense de retraites), dont les prédictions en termes d’emploi ou de salaire sont ensuite réincoporées dans Aphrodite, et ainsi de suite jusqu’à convergence des résultats. Il s’agit là d’une innovation majeure par rapport aux autre modèles existants.

L’architecture du modèle Destinie est organisée en deux blocs7. Un premier bloc simule les biographies familiales (unions, séparations, naissances et décès) et professionnelles (pé- riodes d’emploi, de chômage, d’inactivité, salaires). Un second bloc modélise les départs en retraite et calcule les montants de retraite en fonction de l’âge de départ. Le modèle est construit selon un pas annuel pour le premier bloc, mais les départs en retraite peuvent être

6Voir Cuvilliez et Laurent (2016) pour une description du modèle Aphrodite.

7Voir Blanchet et al. (2011) et Bachelet et al. (2014) pour une présentation plus détaillée du modèle.

PARTIEII : L’ÉVALUATION PAR MICROSIMULATION

modélisés au niveau mensuel.

Le modèle est basé sur un échantillon représentatif de la société, formé à partir de l’en- quête Patrimoine de l’Insee. Il s’agit donc d’un modèle en population générale, modélisant les principaux régimes de retraite français : régime général (regroupant tous les salariés du secteur privé et les contractuels du secteur public), régimes complémentaires Agirc et Arrco, régime de la fonction publique (regroupant tous les fonctionnaires), et régime des indépen- dants. Il exclut cependant les régimes complémentaires des indépendants, le cas des mili- taires, ainsi que certains régimes spéciaux.

Le module démographique de Destinie simule les naissances, décès, et unions8. La ges- tion des unions et naissances se fait dans le cadre d’un modèle fermé : la naissance d’un enfant, pour un des individus de la base, correspond à la création d’un individu supplé- mentaire et les unions se forment entre individus de la base. Les probabilités d’occurrence de ces événements découlent de modèles statistiques estimés sur l’enquête Histoire Fami-

liale de 1999, avec pour variables explicatives des caractéristiques socio-démographiques

simples (âge, sexe, âge de fin d’étude). Le nombre de naissances est calé pour s’assurer que la modélisation adoptée ne s’écarte pas du nombre de naissances total. Une mortalité diffé- rentielle en fonction de l’âge de fin d’étude est incorporée au modèle. Celle-ci est basée sur la mortalité différentielle par catégorie sociale, calculée dans l’échantillon démographique permanent de l’Insee, en utilisant une table de passage entre âge de fin d’étude et la caté- gorie sociale, car cette dernière n’est pas une variable du modèle Dubois et Marino (2015). Un flux net entrant de migrants, qui ont, outre une structure par âge spécifique, les mêmes caractéristiques que les individus déjà sur place, est modélisé chaque année.

Les carrières sont reconstituées jusqu’en 2009 à partir des calendriers rétrospectifs d’ac- tivité, qui sont renseignés par les répondants à l’enquête Patrimoine de 2009-2010, puis pro- jetées au-delà de 2009 et jusqu’à l’année 2060. Les transitions de carrières sont estimées par logits emboités, séparément pour le début de carrière (enquête Génération), le milieu et la fin de carrière (Echantillon inter-régime des cotisants de 2005). Les états possibles sur le marché du travail sont les suivants : scolarité, emploi privé, emploi public9, indépendant, chômeur,

malade,invalide, inactif pur, préretraité, et enfin retraité. Un « effet horizon » est intégré au modèle, pour rehausser les probabilités d’emploi aux âges élevés, sous l’effet supposé de la hausse des bornes d’âge prévue par la réforme de 2010 : à long terme, les probabilités de transition sont décalées d’une ampleur similaire au relèvement prévu par la réforme, soit deux ans10.

Les salaires sont reconstitués en projection mais également en rétrospectif, car l’enquête

8Voir Duée (2005) pour une description de la construction du module démographique de Destinie.

9Distingué entre titulaires et non-titulaires, ce qui fait l’objet d’une étape d’imputation dans le calendrier rétrospectif qui ne contient pas cette information.

10On applique donc à 59 ans les coefficients estimés pour l’age de 57 ans.

CHAPITRE4- LA MICROSIMULATION: PRINCIPES ET USAGES

Patrimoine ne fournit pas d’informations assez précises sur les trajectoires salariales dans

le calendrier rétrospectif 11. La variable expliquée est le salaire annuel rapporté au salaire moyen par tête, corrigé de la structure par âge et sexe. Les variables explicatives principales sont les variables classiques dans un modèle de Mincer : l’âge de fin d’études relatif et l’ex- périence, et l’ancienneté dans le statut d’emploi. Le modèle intègre un effet fixe individuel dépendant de l’expérience et un bruit blanc qui dépend de l’âge de fin d’études relatif, de l’expérience et de l’ancienneté.

La construction du module carrière fait également l’objet de calages, pour respecter la structure de la population entre les régimes (proportion de fonctionnaires), mais surtout pour respecter des cibles macroéconomiques de long terme, de taux de croissance, de taux d’activité et de taux de chômage. Ces hypothèses macroéconomiques peuvent faire l’objet de variantes. Dans le chapitre 5, le cadre de référence macroéconomique retenu est celui du scénario dit « B » des projections du Conseil d’orientation des retraites, avec une croissance de la productivité à long terme de 1,5 % par an et un chômage se stabilisant à 4,5 %. Le chapitre 6 s’intéresse justement à la sensibilité du système de retraite aux variations de ces hypothèses de simulation.

Le module retraite constitue le deuxième bloc principal du modèle, après le bloc biogra- phique. Ce module, flexible, permet, sur une population de personnes aux caractéristiques fixes et entièrement connues, d’analyser diverses variantes de législation et de comporte- ment de départ en retraite. La liquidation de la retraite peut se faire selon différentes hypo- thèses de comportement : départ quand le taux plein est atteint, quand un niveau de pension cible est atteint, quand un âge de départ cible est atteint, ou sur la base d’arbitrages (instan- tanés ou intertemporels) entre travail et loisir (modèle de type Stock and Wise). Ces modèles ne sont pas calibrés à partir d’estimations. Les paramètres des modèles structuraux utilisés sont empruntés à la littérature. Dans les deux chapitres suivants, comme dans la plupart des travaux utilisant le modèle Destinie, l’option de comportement de départ en retraite retenue est celle du départ au taux plein : à partir de son âge d’ouverture des droits, l’individu liquide sa pension de retraite dès qu’il a atteint l’âge du taux plein, par condition d’âge ou de du- rée12. Le module intègre un calculateur du montant de pension, qui dépend des paramètres de la législation des retraites, qui peuvent être appliqués de manière flexible pour simuler de manière contrefactuelle le maintien des anciennes législations ou des scénarios de réformes inédits.

11Voir Aubert et Bachelet (2012) pour une description détaillée de la méthodologie d’estimation des équa- tions de salaire.

12Voir la section 3.1 du chapitre 5 pour des éléments de justification, pratiques et théoriques, de ce choix de comportement en simulation.

PARTIEII : L’ÉVALUATION PAR MICROSIMULATION