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Les effets de la demande de travail :

3 Revue de littérature

3.4 Les effets de la demande de travail :

La demande de travail est souvent décrite comme un déterminant important des comporte- ments de retrait du marché du travail (Lumsdaine et Mitchell, 1999; Duval, 2003). Différents mécanismes peuvent être envisagés, mais le cadre théorique le plus fréquemment mobilisé est celui de Lazear (1979), et peut se résumer comme suit. Avec une rémunération croissante avec l’expérience (et donc l’âge) et une productivité qui est perçue comme déclinante avec l’âge, arrive un âge où le coût marginal du travail dépasse sa productivité marginale. L’em- ployeur a alors intérêt à encourager le retrait du marché du travail du salarié âgé.

Le recours à l’approche par expérience naturelle est particulièrement nécessaire pour l’identification d’un effet de la demande de travail sur la décision de départ en retraite, car l’endogénéité des choix individuels se double de la sélection des salariés dans les entre- prises. Pourtant, la littérature sur le sujet est relativement rare, par rapport à celle qui se concentre sur les décisions d’offre de travail des salariés. L’explication principale est sans doute le manque de sources de variations exogènes permettant d’identifier les effets de la demande de travail. Nous recensons ici les quelques articles qui étudient l’impact des varia- tions dans le niveau de protection du travail des travailleurs séniors pour identifier l’effet des décisions de l’employeur sur les « choix » de départ en retraite.

Une série d’articles, à laquelle se rattache directement le chapitre 2 de notre thèse, étudie l’effet des variations dans le dispositif de mise à la retraite d’office. Il s’agit d’une législation 68

CHAPITRE1 – SYSTÈME DE RETRAITE ET COMPORTEMENTS D’ACTIVITÉ

du marché du travail facilitant les licenciements des salariés ayant atteint un âge donné. Sui- vant Lazear (1979), la mise à la retraite d’office porte sa justification dans le profil croissant du salaire. Si ex ante, à la fois le salarié et l’employeur ont intérêt à choisir un contrat de ce type, ex post le salarié a intérêt à dévier et à rester le plus longtemps possible en emploi, à partir du moment où il est payé au dessus de sa productivité. La possibilité de licencier fa- cilement le salarié est donc un moyen de mettre en œuvre des contrats de ce type. Pour des motivations liées à la lutte anti-discrimination ou à l’augmentation du taux d’emploi des tra- vailleurs âgés, le dispositif de mise à la retraite d’office a été progressivement restreint. Ces réformes du marché du travail permettent d’identifier les effets du dispositif sur les compor- tements de départ en retraite. Des articles étudient l’effet de la suppression de la mise à la retraite d’office aux États-Unis (Ashenfelter et Card, 2002; Adams, 2004) ou au Canada (Shan- non et Grierson, 2004), par différence de différences en utilisant des changements législatifs survenus à des dates distinctes dans les différents états. La littérature semble relativement convergente : la suppression de la mise à la retraite d’office augmente le taux d’emploi des seniors, mais les effets sont d’ampleur limitée.

D’autres articles évaluent des réformes ayant modifié les coûts de licenciement des tra- vailleurs seniors. Une augmentation des coûts de licenciement est susceptible d’avoir un ef- fet négatif sur la probabilité de retrait du marché du travail, mais est également susceptible de décourager l’embauche des travailleurs séniors.

Behaghel et al. (2008) étudient l’effet de la taxe Delalande et de ses réformes sur l’em- bauche et le licenciement des travailleurs âgés en France. La taxe sur les licenciements des travailleurs âgés de plus de 50 ans est susceptible d’avoir deux effets de sens opposé sur le taux d’emploi agrégé : une réduction du taux d’embauche et une réduction du taux de licen- ciement pour cette population. En utilisant des variations dans les populations concernées par la taxe et dans son barème, les auteurs identifient un effet négatif et important de la taxe sur l’embauche, mais l’identification des effets négatifs sur les licenciements est plus fragile. Enfin, Hakola et Uusitalo (2005) étudient l’effet du choix de l’employeur dans la décision de retrait du travail en évaluant l’effet d’une variation dans la participation au financement des pré-retraites publiques pour les salariés, affectant de manière différentes les firmes de grande et de petite taille. Suivant une approche par différence de différences, ils trouvent qu’une augmentation du coût incombant à l’entreprise se traduit par une diminution des recours aux pre-retraites, attestant du rôle de l’employeur dans la décision de retrait du mar- ché du travail. A nouveau, l’ampleur de l’effet semble relativement faible, une hausse de 10 % de la part des coûts payés par l’entreprise réduit de 0.6 pp la probabilité d’être en pré-retraite. Au total, la littérature semble relativement convergente sur le sujet : les choix de l’em- ployeur semblent bien influer sur les comportements de départ en retraite. L’ampleur du phénomène est toutefois encore largement inconnue. En effet, les différentes réformes étu- 69

PARTIEI – PROLONGER LA DURÉE EN EMPLOI: QUEL EFFET DES RÉFORMES?

diées concernent à chaque fois un dispositif spécifique, se traduisant par des effets mesurés relativement faibles, mais qui ne capturent pas l’ensemble des effets « demande ».

4 Conclusion

L’évaluation de l’effet du système de retraite sur les comportements de départ en retraite par « expérience naturelle » est donc un champ dynamique, avec une littérature riche et en pleine expansion, du fait même de l’accélération du rythme des réformes mises en œuvre dans la plupart des pays développés, qui ont souvent pour but explicite d’inciter les individus à prolonger leur activité.

Sur la base d’une modélisation simplifiée du choix de l’âge de départ en retraite, nous avons délimité quatre grands types de mécanismes par lesquels le système de retraite peut influencer les décisions de départ en retraite des individus. Les deux premiers renvoient au lien entre âge de départ à la retraite et montant de pension, à la fois en niveau, par l’ef- fet du niveau global de droits accumulés, et en variation, par l’effet de l’augmentation des droits résultant de la poursuite d’activité. Une autre dimension centrale concerne les para- mètres d’âges du système, qui peuvent influencer les comportements par les points d’in- flexion qu’ils génèrent sur le barème des pensions et par les points focaux qu’ils constituent. Nous avons enfin considéré la question connexe de la demande de travail, qui relève de la lé- gislation du marché du travail plutôt que du système de retraite. Les principales conclusions de cette revue de littérature sont les suivantes.

Pour deux des mécanismes considérés, l’impact du montant de pension en niveau et de la demande pour les travailleurs âgés, le peu de travaux existant à ce jour ne permet pas de dégager des conclusions générales quant à l’existence (pour le montant de pension) ou l’ampleur (pour la demande de travail) de l’effet.

L’effet des incitations financières à la poursuite d’activité a été l’objet d’un nombre im- portant d’articles, dont l’analyse proposée dans ce chapitre souligne la relative cohérence. C’est en particulier le cas pour l’effet de l’augmentation du niveau de pension avec la pro- longation de la durée d’activité. Les différentes approches économétriques menées dans des cadres institutionnels différents semblent convergentes, aussi bien qualitativement que quantitativement. Les individus semblent bien réagir aux incitations financières, et repous- ser leur retrait du marché du travail quand ces incitations augmentent. Les effets mesurés sont toutefois de faible ampleur. Et les réformes ayant libéralisé le cumul emploi-retraite n’ont pas eu d’effet significatif.

Enfin, l’effet des paramètres d’âge du système de retraite semble important : les pre- mières évaluations de réformes relevant l’âge d’ouverture des droits ou l’âge du taux plein trouvent un effet important sur la prolongation d’activité. Les mécanismes sous-jacents ne 70

CHAPITRE1 – SYSTÈME DE RETRAITE ET COMPORTEMENTS D’ACTIVITÉ

sont pas clairement identifiés : l’effet de ce type de réforme dépend de la concentration des départs aux âges clés du système, dont les causes restent à élucider. L’analyse des réformes récentes en cours de montée en charge devrait permettre d’améliorer la compréhension de ces comportements.

Notons qu’il s’agit d’une question pour laquelle le croisement des approches est aussi particulièrement fécond. Les modèles structurels de départs en retraite visent tous à repro- duire les pics observés aux âges clés, et cette littérature doit donc nourrir la réflexion. Il s’agit par ailleurs d’un champ de recherche dynamique : dans un article récent, Gustman et Stein- meier (2015) parviennent à reproduire le pic à l’âge d’ouverture des droits et à l’âge du taux plein, en incluant un paramètre de préférence pour le présent hétérogène. La présence de comportements non-standards rend pertinente une approche plus qualitative, pour com- prendre comment les individus prennent leurs décision. Dans cette optique, l’appariement des résultats de l’enquête Motivations de départ à la retraite avec les données de carrière14 est une source d’information intéressante, pour connaitre les caractéristiques des individus qui partent au taux plein ou à l’âge d’ouverture des droits. Enfin, la mise en lumière de biais comportementaux est également un domaine propice à la mise en place de protocoles ex- périmentaux. Par exemple Brown et al. (2016) ont montré, dans le cadre d’une expérience contrôlée, que l’âge pris comme référence dans la présentation d’un barème de système de retraite peut influencer le choix de retrait du marché du travail. L’évaluation par expérience naturelle n’est donc pas exclusive d’autres approches dans l’étude des comportements de départ en retraite.

Dans la suite de cette partie de la thèse, nous présentons deux études s’inscrivant direc- tement dans le champ étudié dans ce chapitre. Ces travaux constituent des contributions directes à cette littérature et à l’amélioration de notre compréhension du lien entre système de retraite et décision de départ en retraite.

14Comme Barrallon et al. (2010) l’ont fait avec l’enquête Intention de départ.

PARTI – INCREASING WORK DURATION: THE EFFECTS OF PAST REFORMS

Chapter 2