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Effets des incitations financières à la poursuite d’activité

3 Revue de littérature

3.2 Effets des incitations financières à la poursuite d’activité

Le niveau de pension n’est pas la seule dimension pouvant influer sur la décision de départ en retraite. L’augmentation du niveau de revenu qui résulte de la poursuite d’activité est un déterminant potentiellement primordial : dans l’arbitrage entre travail et retraite, si le niveau de revenu augmente peu avec la poursuite d’activité, la taux de taxation marginal implicite sur le travail est important. Deux dimensions du système de retraite peuvent influer sur le niveau des incitations financières à la poursuite d’activité : d’une part le barème du système de retraite et le lien entre durée travaillée et montant de pension, d’autre part les règles de cumul entre revenus d’activité et retraite.

Gains en pension et poursuite d’activité

Une première série d’articles dans la littérature internationale évalue l’effet d’une augmen- tation des incitations à la poursuite d’activité via l’instauration d’un bonus dans le niveau de pension pour la poursuite d’activité au-delà de l’âge d’ouverture des droits ou du taux plein. Comme illustré dans la partie précédente, l’effet attendu d’une telle mesure est l’augmenta- tion de l’emploi aux âges pour lesquels on passe d’un barème plat à un barème croissant.

Dans le premier article traitant cette question, Pingle (2006) étudie l’effet de l’augmen- 60

CHAPITRE1 – SYSTÈME DE RETRAITE ET COMPORTEMENTS D’ACTIVITÉ

tation du taux de liquidation en cas de poursuite d’activité au-delà de l’âge du taux plein pour le système de retraite publique au Etats-Unis, le Delayed Retirement Credit, (DRC). Le DRC est créé en 1971, puis voit son taux augmenter en 1982 : l’augmentation du montant de pension par année travaillée au-delà de l’âge du taux plein passe de 3 % à 8 %. L’effet me- suré de la réforme est fort : une augmentation d’un point de pourcentage du niveau du DRC s’accompagne d’une hausse similaire du taux d’emploi entre 65 et 70 ans. La sensibilité des résultats à la spécification considérée, la taille réduite de l’échantillon notamment aux âges élevés, ainsi que le manque de recul temporel sur la réforme étudiée, font toutefois douter de la fiabilité de l’étude, qui n’a d’ailleurs pas été publiée dans une revue à comité de lecture. Benallah (2011) étudie une réforme similaire pour la France, la mise en place de la sur- cote en 2004, comparant les comportements de départs en retraite des générations affectées ou non par la réforme. L’évaluation repose sur une méthode d’appariement par score de pro- pension, pour prendre en compte les différences entre générations traitées et non traitées. La réforme a l’effet attendu, mais d’ampleur jugée modeste par rapport aux autres réformes du système français jouant sur l’âge du taux plein. Ainsi, la réforme augmente de 2 mois l’âge moyen de départ en retraite des générations concernées, traduisant une probabilité de poursuivre l’activité au-delà de 60 ans augmentant de 7 points de pourcentage, soit 16,5 % par rapport au contrefactuel sans réforme de 45 %.

Baraton et al. (2011) étudient une réforme similaire aux deux premières évoquées, avec la mise en place conjointe d’une décote avant le taux plein et d’une surcote au-delà, pour les fonctionnaires de l’éducation nationale en France. L’effet attendu est le même : un recul de l’âge de départ en retraite aux âges pour lesquels le barème est devenu pentu. Utilisant une approche par régression par discontinuité basée sur l’année de naissance des individus, ils trouvent que la probabilité de départ en retraite entre 60 et 60,5 ans diminue de 13 points de pourcentages (-15 % par rapport à un taux avant réforme de 83 %) pour les individus concernés par la réforme.

Toutefois, les auteurs ne distinguent pas l’effet du changement de la pente du barème, lié aux modifications des taux de décote/surcote, de l’effet du déplacement du barème induit par l’augmentation de la durée d’assurance cible pour le taux plein (cf. infra).

Enfin, Brinch et al. (2015) évaluent par différence de différences l’effet d’une réforme en Norvège ayant deux caractéristiques principales : l’instauration d’ajustements actuariels pour la poursuite d’activité au-delà de l’âge d’ouverture des droits (62 ans ou 67 ans selon les groupes) et la suppression de la contrainte de cumul retraite-salaires. Ces deux réformes allant dans la même direction, il n’est pas possible de distinguer l’effet propre de chacune, mais les effets mesurés sur l’emploi sont conséquents, avec une hausse du taux d’emploi d’environ 12 points de pourcentage (soit environ 20 % par rapport au niveau avant réforme). 61

PARTIEI – PROLONGER LA DURÉE EN EMPLOI: QUEL EFFET DES RÉFORMES?

Un deuxième type de travaux n’utilise pas les réformes du système de retraite comme source de variation, mais repose sur les non-linéarités du barème de pension dans le cadre d’une approche par « bunching » (voir section 1.2 du chapitre). Appliqué au cas de la re- traite, le principe est de comparer la concentration des départs en retraite observée au ni- veau d’une non-linéarité, à la variation de la pente de la contrainte budgétaire associée, pour mesurer l’élasticité de l’offre de travail aux incitations financières à la poursuite d’activité. A importance de la non-linéarité donnée (en terme de changement dans les incitations), plus la concentration des départs en retraite à ce point est important, plus l’élasticité est impor- tante.

Un premier article de Manoli et Weber (2011) étudie l’effet du barème des indemnités de départ en retraite en Autriche sur les comportements de départ en retraite. L’indemnité de départ à la retraite dépend de la durée passée dans l’entreprise, et augmente fortement par paliers de 5 ou 10 ans, générant des discontinuités importantes dans les incitations fi- nancières au départ à la retraite. Ces discontinuités se traduisent dans les distributions de départ à la retraite, avec des pics observés aux paliers du barème des indemnités, montrant que les individus réagissent aux incitations financières. En faisant l’hypothèse d’une distri- bution des départs lisse en l’absence de ces discontinuités les auteurs en déduisent une élas- ticité de l’offre de travail aux variations du montant de pension11, considérée par les auteurs

comme faible relativement aux élasticités d’offre de travail usuelles.

Dans une approche similaire, Brown (2013) étudie l’effet du barème du système de re- traite sur les comportements d’activité des enseignants de Californie. Le barème de calcul de la pension présente un point d’inflexion à l’âge du taux plein, au-delà duquel la pension n’augmente plus, ce qui génère une forte incitation à partir en retraite à cet âge. L’auteur calcule donc une élasticité de l’offre de travail en comparant la concentration des départs au taux plein aux variations dans les incitations financières en ce point. De manière inté- ressante, l’estimation ne repose pas sur la comparaison de la distribution observée à une distribution hypothétique. Une réforme en 2003 relevant l’âge du taux plein a conduit à un déplacement du point d’inflexion, qui passe de 60 à 62 ans. La distribution observée après réforme, quand le point d’inflexion à 60 ans dans le barème a disparu, sert de distribution contrefactuelle. A nouveau, l’élasticité de l’offre de travail sur cycle de vie obtenue est signi- ficative mais de faible ampleur.

Notre lecture de la littérature évaluant l’impact des incitations financières générées par sur le barème des retraites sur les comportements de départ en retraite est donc la suivante : il semble clairement établi que les individus réagissent aux gains financiers à la poursuite d’activité en termes de montant de pension, mais les élasticités mesurées dans la littérature semblent relativement faibles.

11Cette élasticité est supposée commune à l’ensemble de la population.

CHAPITRE1 – SYSTÈME DE RETRAITE ET COMPORTEMENTS D’ACTIVITÉ

Cumul emploi-retraite

Comme mentionné dans la partie précédente, la question des incitations financières à la poursuite d’activité se pose également avec l’existence de dispositifs limitant le cumul de re- venu d’activité et de pensions de retraites. En effet, l’existence d’un plafond, ou d’une taxa- tion plus élevée au-delà d’un certain montant, réduit l’incitation financière à la poursuite d’activité une fois la pension liquidée. L’étude de ce type de dispositif et de ses réformes permet donc d’évaluer l’effet des incitations financières à la poursuite d’activité sur les com- portements de départ en retraite.

Une première série d’articles étudie l’effet de la suppression des règles de cumul entre revenu d’activité et retraite (Earning test). Outre l’article évoqué plus haut de Brinch et al. (2015), citons parmi les nombreux articles sur le sujet les travaux de Baker et Benjamin (1999); Disney et Smith (2002) ou Gruber et Orszag (2003). L’effet attendu de ce type de ré- forme, relâchant les contraintes de cumul emploi-retraite, est double : les individus peuvent retarder leur retrait du marché du travail mais aussi avancer la date de liquidation de leur retraite. Les résultats, déjà recensés en partie par Benallah (2010), et utilisant majoritaire- ment une approche par différence de différences, suggèrent que l’effet d’une libéralisation du cumul emploi-retraite sur la prolongation d’activité est faible.