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2. DÉFINITIONS DE LA PENSÉE CRITIQUE ISSUES DES SOINS INFIRMIERS

2.1 Le modèle de Facione et Facione

Facione et Facione (1996a) proposent une définition de la pensée critique qui, selon eux, serait applicable aux diverses disciplines des sciences de la santé et des sciences humaines. Sans être spécifique aux soins infirmiers, cette définition tient à la fois compte du contexte professionnel et des sciences de la santé. Par conséquent, elle se rapproche davantage du contexte des soins infirmiers que celles présentées précédemment sans y être entièrement spécifique. Selon ces auteurs, la pensée critique :

est une forme de raisonnement de haut niveau utilisée dans le but de produire un jugement professionnel dans des situations

complexes, souvent nouvelles et dont les enjeux sont grands à l’intérieur d’un espace-temps défini (Traduction libre, Facione et Facione, 1996a, p.41.).

Pour ces auteurs, la pensée critique se manifeste à l’intérieur du jugement professionnel, ce qui fait ressortir l’importance du contexte. En effet, en soins infirmiers, chaque situation professionnelle est unique et influencée par une multitude de facteurs qui lui sont propres. Par exemple, les personnes, leurs antécédents de santé, les lieux physiques, la maladie, la douleur et l’environnement social sont tous des éléments d’une situation professionnelle avec lesquels l’infirmière ou l’infirmier doit composer et qui vont différer d’une situation à l’autre. Deux personnes souffrant d’une même maladie pourraient avoir des symptômes différents et vivre leur maladie de façon différente.

Pour Facione et Facione (1996a), le jugement professionnel se développe avec l’acquisition de nouvelles connaissances et à partir de l’évaluation et l’analyse réflexive de sa propre pratique. Encore une fois, la métacognition est la clé qui permet le développement du jugement professionnel et de la pensée critique (Facione et Facione, 1996b). Bien que ces auteurs proposent une définition plutôt générale et peu spécifique aux soins infirmiers, on constate que le contexte et l’expérience occupent une place centrale dans le développement du jugement professionnel.

Facione et Facione (1996a) proposent une liste d’indicateurs de la pensée critique que l’on peut retrouver à l’intérieur du jugement professionnel. Dans ces indicateurs, on retrouve des habiletés de la pensée ainsi que des traits de la pensée11. Les indicateurs de la pensée critique de Facione et Facione (1996a) sont présentés dans le tableau 2.

11 Dans le texte original en anglais, les auteurs utilisent les expressions thinking skills et habits of

Tableau 2 :

Indicateurs de la pensée critique selon Facione et Facione (1996a)

Les étudiants qui utilisent la pensée critique pour produire un jugement professionnel présentent les comportements suivants :

• Analysent entièrement et avec justesse les données qu’ils utilisent pour produire leur jugement.

• Formulent le problème à résoudre de façon claire et concise.

• Identifient adéquatement les critères à considérer pour résoudre un problème ou produire un jugement.

• Demandent systématiquement les justifications derrière les analyses et les solutions d’un problème produites par d’autres personnes.

• Font preuve de créativité et d’ouverture d’esprit lors de la recherche de solution à un problème et envisagent plusieurs alternatives avant de passer à l’action.

• Évaluent honnêtement les solutions les plus prometteuses.

• Acceptent de réviser ou retarder leur jugement lorsque la situation l’exige. • Reformulent le problème avec justesse lorsque de nouvelles données sont

disponibles.

Source : Facione et Facione (1996a).

Enfin, en ce qui concerne l’évaluation de la pensée critique, ces auteurs proposent une échelle descriptive à quatre niveaux. Nous présentons cette échelle dans le tableau 3. Ils sont également d’avis qu’il est nécessaire de mettre en place un mode d’évaluation qui permet d’avoir accès à l’ensemble du processus de pensée et non seulement à une partie de celui-ci ou au résultat final du jugement (Facione et Facione,1996a). Ils affirment également qu’il est nécessaire d’employer des outils d’évaluation qui permettent d’extérioriser les processus de pensée qui sont encapsulés à l’intérieur des pratiques professionnelles et qui exigent des connaissances de haut niveau ainsi que des habiletés techniques (Facione et Facione,1996b). Cela vient renforcer la position de plusieurs auteurs (Brunt, 2005b; Dexter, Applegate, Backer, Claytor, Keffer, Norton, et Ross, 1997; Simpson et Courtney, 2002; Staib, 2003; Tanner, 2005; Walsh et Seldomridge, 2006) qui soutiennent qu’il est nécessaire d’utiliser un instrument d’évaluation de la pensée critique spécifique aux soins infirmiers.

Tableau 3 :

Échelle descriptive pour une évaluation holiste de la pensée critique selon Facione et Facione (1994)

Niveaux Description

4 Exécute régulièrement toutes ou presque toutes les actions suivantes : Interprète avec justesse les faits, affirmations, graphiques, questions, etc. Identifie les arguments dominants et pèse le pour et le contre.

Analyse et évalue en profondeur tous les points de vue alternatifs. Tire des conclusions raisonnables, appropriées et justes.

Justifie tous les résultats et procédures; explique les hypothèses et les raisons derrière ceux-ci.

Se base sur les faits et la raison pour appuyer son jugement.

3 Exécute la plupart ou quelques-unes des actions suivantes :

Interprète avec justesse les faits, affirmations, graphiques, questions, etc. Identifie les arguments centraux et pèse le pour et le contre.

Analyse et évalue les points de vue alternatifs principaux. Tire des conclusions raisonnables et appropriées.

Justifie certains résultats et procédures; explique les raisons derrière ceux-ci. Se base sur les faits et la raison pour appuyer son jugement.

2 Exécute la plupart ou quelques-unes des actions suivantes :

Interprète les faits, affirmations, graphiques, questions, etc. de façon inadéquate.

Incapable d’identifier les contre-arguments.

Ignore ou évalue de façon superficielle les points de vue alternatifs. Tire des conclusions déraisonnables ou erronées.

Justifie quelques résultats ou procédures, explique rarement les raisons derrière ceux-ci.

Sans tenir compte des faits, maintient ou défend une vision basée sur ses préconceptions ou son intérêt personnel.

1 Exécute régulièrement toutes ou presque toutes les actions suivantes : Interprète les faits, affirmations, graphiques, questions ou informations de façon biaisée ou adopte le point de vue des autres sans le questionner.

Incapable d’identifier ou rejette les contre-arguments.

Ignore ou évalue de façon superficielle les points de vue alternatifs.

Argumente en utilisant des justifications inappropriées et des affirmations non fondées.

Ne justifie pas les résultats, procédures et n’explique pas les raisons.

Sans tenir compte des faits, maintient ou défend une vision basée sur ses préconceptions ou son intérêt personnel.

Source : Traduction libre, Facione et Facione (1994) dans Landis, Swain, Friehe et Coufal (2007).

Par ailleurs, la principale limite de l’échelle descriptive proposée par Facione vient du fait que le codage interjuge était discordant lorsqu’elle était utilisée pour évaluer la pensée critique (Landis, et al., 2007). On peut attribuer cette divergence dans le codage au fait que certains énoncés sont trop près l’un de l’autre et que cela contribue à une interprétation de l’échelle de façon différente par les codeurs. Aussi, certains énoncés sont si généraux qu’ils prêtaient à plusieurs interprétations de la part des codeurs. Pour ces raisons, nous n’avons pas retenu l’outil de Facione pour conduire nos travaux.