• Aucun résultat trouvé

Mobilisation des connaissances grammaticales, activités métalinguistiques et habiletés

Chapitre 2. CADRE CONCEPTUEL

2.1 Situation d’écriture et révision

2.1.2 Mobilisation des connaissances grammaticales, activités métalinguistiques et habiletés

De nombreux auteurs discutent de l’importance de contribuer à réduire la charge cognitive pendant la tâche d’écriture, et plus spécifiquement pendant la révision. L’automatisation des processus du scripteur, dont ceux d’accès aux connaissances grammaticales, est identifiée comme une piste de solution incontournable au problème de surcharge cognitive (Hayes et Flower, 1980; Gombert, 1990, 1991; Roussey et Piolat, 2005; Kellogg, 2008). En effet, l’automatisation des processus permettrait d’alléger le coût cognitif lié aux opérations de

43

révision guidées par des sous-buts de détection et de correction d’erreurs linguistiques, ce qui incombe autrement à la mémoire de travail lorsque les processus ne sont pas automatisés : « The present model assumes that all of the processes have access to working memory and carry out all nonautomated activities in working memory. » (Hayes, 1996: 8; notre mise en emphase). Les connaissances grammaticales, dont est tributaire l’adéquation du texte à la norme linguistique, sont donc effectivement mobilisées, et ce, à un coût cognitif peu élevé si les processus en jeu dans leur mobilisation sont automatisés. Ceci contribue à libérer la mémoire de travail permettant au scripteur d’effectuer d’autres opérations, liées par exemple à des sous-buts d’amélioration de la structure du texte ou de son adéquation au destinataire, opérations qui caractérisent les comportements du scripteur expert (Bereiter et Scardamalia, 1987; Gombert, 1990; Alamargot et Chanquoy, 2004).

Qu’est-ce que l’automatisation? Comment le scripteur parvient-il à automatiser ses processus, dont ceux liés à la mobilisation des connaissances grammaticales? Par opposition à un processus « contrôlé », un processus « automatisé » ne requiert pas de traitement en mémoire de travail, ce qui explique son coût cognitif peu élevé, sa rapidité d’exécution et la possibilité qu’il se déroule en parallèle à d’autres processus (Fayol et Got, 1991). Un processus automatisé demeure accessible à un traitement conscient et contrôlé en mémoire de travail « si la situation l’impose ou si un obstacle survient pendant la rédaction » (Gombert, 1990 : 218). Si le processus automatisé demeure accessible à l’analyse et au contrôle, c’est qu’il est précisément le fruit du développement d’habiletés d’analyse et de contrôle, dites habiletés métalinguistiques (définies plus avant dans cette section); plus spécifiquement, l’automatisation de processus linguistiques consisterait en la finalité même du développement métalinguistique. En effet, selon le modèle du développement métalinguistique de Gombert (1990) 32 basé sur celui de Karmiloff-Smith (1985), l’apprenti scripteur parvient à l’automatisation de processus linguistiques en conduisant des activités métalinguistiques

32

Le modèle de développement métalinguistique de Gombert (1990) comporte quatre stades : (1) l’acquisition des premières habiletés linguistiques ; (2) l’acquisition de la maitrise épilinguistique ; (3) l’acquisition de la maitrise métalinguistique ; (4) l’automatisation des métaprocessus.

44

fréquentes et productives: « En fait, se trouvent automatisés les fonctionnements métalinguistiques ayant été répétés fréquemment de manière efficace. » (p. 248)33 L’auteur définit les activités métalinguistiques comme un « sous-domaine de la métacognition qui concerne le langage et son utilisation, autrement dit comprenant (1) les activités de réflexion sur le langage et son utilisation ; (2) les capacités du sujet à contrôler et à planifier ses propres processus de traitement linguistique (en compréhension ou en production). » (Gombert, 1990 : 27). En d’autres mots, il s’agit d’ « activités de prise de conscience et de mise à distance des phénomènes langagiers, qui permettent leur étude ou leur contrôle en situation de production » (Delcambre, 2010 : 127). Les activités métalinguistiques, telles qu’entendues dans le cadre de ce travail, sont des processus ou actions se déroulant dans les structures cognitives du sujet, et se distinguent en ce sens des « activités d’apprentissage », soit des tâches dont la réalisation pourrait sous-tendre d’éventuelles activités métalinguistiques.

Les activités métalinguistiques se distinguent des activités linguistiques en ce sens que la langue n’y est plus seulement envisagée comme moyen de communication naturel mais comme objet dont on peut faire l’étude et la manipulation (Roy et al., 1995; Delcambre, 2010). Gombert (1990) réfère d’ailleurs au concept chomskien de « compétence linguistique » pour distinguer l’intuition linguistique, qui se traduit par un usage du langage visant l’échange de significations, de la « compétence métalinguistique », qui s’actualise par la réflexion consciente et l’action délibérée sur le langage: « La compétence linguistique n’exige en aucun cas que l’individu soit capable d’expliciter les règles qu’il suit lorsqu’il parle ou lorsqu’il est en position d’auditeur. » (Gombert, 1990 : 23). Cette citation met en relief le caractère « explicitable », verbalisable, des observations linguistiques faites comme manifestation tangible de la prise de conscience, qui apparait d’ailleurs chez certains comme une condition même des activités métalinguistiques, par exemple chez Roy, Lafontaine et Legros (1995) :

33 Notons que Gombert propose, en 2006, quelques modifications à son modèle de 1990 en statuant que le développement des habiletés épilinguistiques, qui découle de l’apprentissage implicite de la langue, ne cesse pas au moment où apparaissent les premières habiletés métalinguistiques, fruits de l’apprentissage explicite, mais perdure en parallèle. En lien avec cette complémentarité des processus développementaux, il ajoute que l’automatisation pourrait résulter également du développement d’habiletés épilinguistiques (Gombert, 2006).

45

« [l’activité métalinguistique] est consciente et se manifeste totalement ou partiellement par des verbalisations. » (p. 33) Ces verbalisations peuvent par exemple prendre la forme d’explications, de manipulations ou de reformulations (Chartrand, 1998; Grossman, 1998; Fisher et Nadeau, 2014) portant sur un matériau linguistique le plus souvent écrit (Gombert, 1990, 1991).

Aussi, dans le cadre de ces comportements verbaux, le métalangage est étroitement lié aux activités métalinguistiques et les relations que ces deux réalités entretiennent sont « complexes » (Delcambre, 2010 : 127). Le métalangage est défini comme le « répertoire de termes spécialisés pour parler du langage ou de la langue, par exemple « mot », « verbe », « adjectif », « phrase » (ibid). Pour reprendre les mots de Barth (1987/2004), le métalangage regroupe un ensemble « d’étiquettes » dont on se sert pour référer à des concepts linguistiques (voir section 2.3.4). Or, l’usage de ces étiquettes constitue pour plusieurs un outil qui permet de réfléchir sur le langage, de supporter la mise à distance et l’objectivation inhérente à toute activité métalinguistique (Chartrand, 1998; Canelas -Trevisi, 1998; Grossman, 199834). Pour certains même (Gombert, 1990, 199135), il n’y a pas d’activités métalinguistiques sans métalangage, tout comme « Un concept n’a pas d’existence sans un mot pour le désigner. » (Fisher et Nadeau, 2014 : 176)

Comme les activités linguistiques, les activités dites « épilinguistiques » sont également à dissocier des activités métalinguistiques, bien qu’elles puissent s’y apparenter. Il s’agit de comportements précoces manifestant un début d’articulation entre elles des connaissances

34 Le terme « activités métalangagières » est utilisé par certains auteurs (e.g. Grossman IN J. Dolz et J.- C. Meyer (dir.) 1998. Activités métalangagières et enseignements du français : actes des journées

d'étude en didactique du français (Cartigny, 28 février-1er mars 1997) comme équivalent à celui

« d’activités métalinguistiques ».

35 Dans la première édition du Dictionnaire des concepts fondamentaux des didactiques (IN Reuter (dir.), 2007), Delcambre considère également les concepts de métalangage et d’activités métalinguistiques comme des synonymes: «la construction du métalangage n'est vraisemblablement pas dissociable des activités métalinguistiques (les activités de définition, de reformulation, d'explicitation du sens des mots, etc.) qui, elles-mêmes, sont étroitement liées aux situations disciplinaires.» (p. 128). Cette remarque est modifiée dans l’édition suivante (2010) à laquelle nous référons le plus souvent ici.

46

linguistiques implicites accumulées au fil de l’exposition au langage oral et de sa pratique (Karmiloff-Smith, 1985; Gombert, 1990, 2006; Roy et al., 1995). Au stade de maitrise épilinguistique, qui précède le stade de maitrise métalinguistique (Gombert, 1990; Brossard, 1994; Roy et al., 1995), l’enfant, exposé et réceptif à une multitude de formes et de structures linguistiques accessibles dans le réel, commence à se constituer non pas des règles, mais des contextes prototypiques de référence. Gombert synthétise bien ces distinctions entre activités métalinguistiques / activités épilinguistiques en notant pour ces dernières: « (...) le niveau faible, et souvent non spécifiquement linguistique, des connaissances qu’elles supposent (Kolinsky, 1986); le manque d’intentionnalité (Hakes, 1980); et l’imbrication dans des contextes situationnels riches (Boutet et coll., 1983; Hickmann, 1985; Lefebvre-Pinard, 1985; Vygotsky, 1934) » (p. 233). En somme, les activités métalinguistiques se distinguent de celles linguistiques puis de celles épilinguistiques de par le stade avancé de développement métacognitif qui les caractérise.

Alors que les activités métalinguistiques sont envisagées comme des processus cognitifs invisibles, la notion d’habiletés métalinguistiques réfère aux manifestations observables du déroulement d’activités métalinguistiques; elles en sont le reflet (« a reflection », Bialystok, 1986 : 498) 36. En cohérence avec les composantes de réflexion et de production comprises dans la définition « d’activités métalinguistiques » adoptée, la notion « d’habiletés métalinguistiques » comporte deux composantes, la composante d’analyse de connaissances linguistiques (« the analysis of linguistic knowledge », Bialystok, 1986) et celle du contrôle du traitement linguistique (« control of linguistic processing »; ibid). La composante de l’analyse correspond au niveau d’explicitation (« expliciteness », Simard, Foucambert et Labelle, 2013) des connaissances requis pour accomplir une tâche, ce qui se vérifie par la verbalisation de ces connaissances: « The more implicit (unconscious and unavailable for verbal report) the language knowledge, the less analysed it is and the more explicit (conscious and available for

36 La notion d’habileté renvoie pour nous au terme anglais « ability » et non à celui de « skill ». Gombert (1990), qui préfère parler de « capacité métalinguistique », établit une distinction entre ces deux termes, la notion d’habileté au sens de « skill » désignant pour lui une mobilisation « plus ou moins automatique sans réflexion ni décision délibérées de la part du sujet » et celle de capacité (« ability ») à une mobilisation des connaissances délibérée et réfléchie (p. 21).

47

verbal report) the language knowledge, the more analysed it is. » (Simard et al., 2013 : 48). La composante du contrôle correspond « au niveau d’attention requis pour extraire l’information pertinente et l’intégrer en temps réel » (Simard et al., 2013; notre traduction).

Pour mener des études sur le développement des habiletés métalinguistiques, incluant les habiletés métasyntaxiques (Gombert, 1990; Simard et al., 201337), les psycholinguistes proposent à des sujets enfants, adolescents et plus rarement adultes (De Pinto et El Euch, 2015), différentes tâches ayant pour objectif général de « focaliser l’attention du sujet sur la forme plutôt que sur le contenu de l’énoncé (...) » (Cupples et Holmes, 1992, cité par Gaux et Gombert, 1999: 51). Parmi les plus connues et utilisées dans une perspective développementale, on retrouve les tâches de jugement de grammaticalité (Hakes, 1980; Bialystok, 1986; Gombert, 1990; Gaux et Gombert, 1999; De Pinto et El Euch, 2015), celle d’explicitation (Hakes, 1980; Gombert, 1990; Gaux et Gombert, 1999; De Pinto et El Euch, 2015) et celle de correction d’énoncés agrammaticaux (Bialystok, 1986; Gombert, 1990; Gaux et Gombert, 1999). En quoi consistent ces tâches? Quelles habiletés les études ont-elles permis d’observer chez les sujets selon différents stades du développement métalinguistique?

La tâche du jugement de grammaticalité consiste à demander à l’enfant de déterminer si un énoncé, généralement soumis oralement, est grammaticalement correct ou non, en d’autres mots « si on [peut] le dire comme ça [...]» (Gaux et Gombert, 1999 : 54). Comprenant une telle tâche, l’étude de Hakes (1980), menée auprès d’enfants (n=100) de cinq groupes d’âge (4, 5, 6, 7 et 8 ans), montre que les taux de jugement erroné baissent systématiquement d’un groupe d’âge à l’autre. Chez Bialystok (1986), qui a proposé une tâche de ce type à des enfants de 5, 7 et 9 ans (n=119), les résultats indiquent également que l’habileté à juger de la grammaticalité d’énoncés est significativement améliorée d’un groupe d’âge à l’autre. Dans les deux études, les résultats montrent par ailleurs qu’il est systématiquement plus difficile pour les enfants des différents groupes d’âge de porter un jugement correct sur des énoncés

37 Les habiletés métasyntaxiques, définies comme des habiletés « (...) à réfléchir sur les aspects syntaxiques du langage (mots, catégories grammaticales, règles gouvernant leur combinaison) ainsi que l’habileté à les contrôler et à les manipuler délibérément. » (Simard et al., 2013 : p. 19, notre traduction)), consistent en une catégorie spécifique d’habiletés métalinguistiques (Gombert, 2000; Bialystok, 2001; Simard et al., 2013).

48

dits « déviants » que sur des énoncés corrects au plan grammatical. Réalisée auprès d’enfants un peu plus vieux (12 ans et 3 mois en moyenne), la tâche de jugement grammatical est, dans l’étude de Gaux et Gombert (1999), une des mieux réussies alors que les sujets (n=83) y atteignent des performances « plafond » (99,1% de taux de réussite pour les items liés à l’ordre des mots). Pourtant, la tâche de jugement de grammaticalité prise isolément soulève une certaine controverse parmi les chercheurs, plusieurs doutant ouvertement de son caractère métalinguistique (e.g. Gaux et Gombert, 1999; Bialystok, 2001). Le jugement de grammaticalité est tantôt un comportement, non pas métalinguistique, mais plus précocement épilinguistique (Gombert, 1990), tantôt le reflet d’une « compétence linguistique » au sens entendu par Chomsky : « For Chomsky, at least, [the judgment of grammaticality] is simply part of native speaker competence. » (Bialystok, 2001 : 173)., puisque « [c]e jugement peut être porté sur la base d’une réflexion grammaticale mais [...] également [...] à partir de connaissances tacites ou d’informations sémantiques. » (Gaux et Gombert, 1999 : 46).

Les raisons ou critères invoqués pour rejeter un énoncé pouvant être davantage évocateurs du développement métalinguistique que le jugement en soi, des chercheurs proposent en complément à la tâche de jugement une tâche dite « tâche d’explicitation » (Gaux et Gombert, 1999), en sollicitant une justification de la part du sujet dans les cas où l’enfant rejette l’énoncé (Hakes, 1980; De Pinto et El Euch, 2015). Il appert que les jeunes enfants se fondent d’abord sur des critères d’acceptabilité sémantique pour déterminer si un énoncé est correct sans égard à l’ordre des mots: « (...) si l’enfant peut donner du sens à l’énoncé, il l’accepte, sinon, il le rejette » (Gombert, 1990 : 62). Bien que les jugements d’agrammaticalité basés sur la signification y soient encore dominants à 6 ou 7 ans, l’étude de Hakes (1980) montre une baisse, d’un groupe d’âge à l’autre, du recours à des justifications liées au contenu sémantique de l’énoncé, tel que le déni de la réalité rapportée (Yesterday, Daddy painted the fence. – « Silly. Daddies don’t paint fences, they paint walls. », p. 79) ou la désapprobation morale (The boy hit. - « Bad, because you’re not supposed to hit people. », ibid). En contrepartie, le chercheur observe une hausse du recours aux critères syntaxiques pour fonder son jugement d’agrammaticalité d’un groupe d’âge à l’autre, et ce, pour les deux catégories de critères syntaxiques (ordre des mots; règles de sous-catégorisation), avec un bond particulièrement élevé entre 4 et 5 ans. Le développement sur le plan du jugement

49

grammatical sera donc marqué non seulement par une habileté accrue à juger correctement du caractère grammatical d’un énoncé, mais aussi par une centration accrue sur les aspects syntaxiques de l’énoncé pour porter ce jugement, se manifestant notamment par une plus grande « sensibilité à l’ordre des mots » (Gombert, 1990 : 63).

Aussi utilisée par plusieurs chercheurs (Bialystok, 1986; Gombert, 1990; Gaux et Gombert, 1999; De Pinto et El Euch, 2015), la tâche de correction d’énoncés agrammaticaux requiert du sujet qu’il transforme un énoncé soumis oralement, ou qu’il le « manipule » en quelque sorte, en vue d’en proposer une version exempte d’erreur. Dans l’étude de Bialystok (1986), les scores moyens augmentent de manière significative et passent de 3,46 (5 ans) à 7,73 (7 ans) puis à 9,33 sur 12 points (9 ans). En comparaison avec la tâche de jugement, les résultats à la tâche de correction sont tout de même significativement plus bas aux trois groupes d’âge, ce qui indiquerait une demande plus élevée de cette dernière tâche au plan des habiletés métalinguistiques pour la composante « analyse ». Gaux et Gombert (1999) appuient cette comparaison tout en proposant des nuances selon le type d’anomalies contenues dans les items : « [...] la tâche de correction requiert en général une plus grande analyse des connaissances syntaxiques que celle de jugement, et ce, en particulier lorsque l’anomalie est perceptible. Lorsque l’anomalie est peu perceptible, comme c’est le cas pour les agrammaticalités n’affectant qu’un morphème, les enfants corrigeraient plus fréquemment la phrase automatiquement sans réfléchir à sa structure. En revanche, lorsque l’anomalie est plus perceptible, comme c’est le cas pour les phrases dont l’ordre des mots est perturbé, la prégnance de l’agrammaticalité focaliserait l’attention des élèves sur la forme plutôt que sur le contenu.» (p. 48) Aussi, de la même manière que pour la tâche de jugement, une large part des reformulations proposées à la tâche de correction viseraient, en bas âge, la sémantique de l’énoncé pour se porter plus tard sur la syntaxe, par exemple en rétablissant l’ordre des mots ou des syntagmes (Gleitman et al., 1972 et de Villiers et de Villiers, 1972, rapportés par Gombert et Gaux, 1999). Montrant des résultats presque aussi élevés que ceux obtenus à la tâche de jugement, l’étude à caractère méthodologique de Gaux et Gombert (1999) mène les auteurs à conclure que cette tâche, à l’instar de celle de jugement, « (...) serait réalisée à partir d’une connaissance implicite permettant à l’élève de produire l’énoncé correctement. » (p. 68), et ne permettrait donc pas de solliciter (strictement) des habiletés métalinguistiques.

50

Nous aurions aimé présenter des résultats en lien avec la tâche de réplication d’erreurs sur des énoncés grammaticaux utilisée dans certains travaux empiriques (Gaux et Gombert, 1999; Simard et al., 2013) et reconnue comme mobilisant des habiletés métalinguistiques de niveau assez élevé (Gaux et Gombert, 1999). Cependant, à notre connaissance, aucune étude n’a utilisé à ce jour la tâche de réplication d’erreurs en vue de comparer les performances des sujets selon différents groupes d’âge dans une perspective développementale.

Le tour d’horizon des résultats empiriques à des tâches visant à solliciter les habiletés métalinguistiques met en lumière certaines tendances fortes dans le développement des habiletés métalinguistiques selon les différents groupes d’âge étudiés : meilleure habileté à juger de la grammaticalité d’énoncés; meilleure habileté à appuyer ses jugements sur des critères proprement grammaticaux; meilleure habileté à corriger des énoncés erronés au plan grammatical. Aussi, les enfants semblent d’abord développer leur habileté à formuler un jugement de grammaticalité correct, puis l’habileté à corriger un énoncé agrammatical, pour enfin déployer celle à expliquer son jugement ou sa correction en se fondant sur un ou des critère(s) syntaxique(s). Par ailleurs, la description des tâches et des remarques à caractère méthodologique mettent en lumière quelques-uns des défis que comporte l’étude des habiletés métalinguistiques. S’en dégage entre autres l’intérêt de solliciter non seulement une « action » (jugement, correction), mais une justification (ou explication), comme l’ont fait plusieurs chercheurs (Hakes, 1980; Simard et al., 2013; De Pinto et El Euch, 2015) afin de mettre au jour les raisons ou critères sur lesquels se base cette action. Ces explications apparaissent cruciales pour juger du degré métalinguistique des habiletés déployées dans la tâche, puis pour évaluer l’évolution qui se produit entre deux ou plusieurs moments du processus de développement.

Enfin, les potentialités mais également les limites liées à chacune des tâches démontrent l’intérêt de combiner ces tâches métalinguistiques entre elles et même avec des tâches plus proprement linguistiques (de compréhension et/ou de production) à l’instar d’autres dispositifs (Hakes, 1980; Simard et al., 2013; De Pinto et El Euch, 2015). Cette combinaison de tâches permet non seulement de pallier les limites des tâches prises isolément, mais plus encore de mettre en relation le développement des différentes habiletés métalinguistiques entre elles et

51

avec les habiletés linguistiques, ce qui a permis à Hakes (1980) d’observer de fortes corrélations entre les tâches selon les groupes d’âge, puis de conclure à l’existence d’un « dénominateur commun » sous-jacent aux différentes performances observées: « As it is, [the obtained intertask correlations] provide rather compelling evidence that there is some common denominator underlying performances on the several metalinguistic tasks. » (p. 92). En combinant des tâches sollicitant les habiletés syntaxiques (en lecture) et des tâches visant des habiletés métasyntaxiques, puis en proposant un modèle statistique qui met en lien les résultats obtenus à ces tâches, Simard et ses collègues (2013) sont en mesure de conclure que les sujets s’appuient significativement sur leurs habiletés métalinguistiques en syntaxe pour réaliser les tâches de compréhension en lecture sollicitant des habiletés syntaxiques.