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chemin d’accès au « moi » véritable Nous allons montrer que plusieurs formes de mimétisme se distinguent tout au long de

3.3 Mimétisme thématique

La troisième forme de mimétisme, présente tout au long de La Recherche, nous semble « thématique ». Il y a, en effet, comme un même thème présent et reconnaissable en chacun des personnages : « Ce que j’aimais c’était la personne invisible qui mettait en mouvement tout cela. »448 Chaque être a comme une dominante récurrente, un mouvement identique dans ses actes, dans ses amours, dans ses manières de vivre :

« A plusieurs reprises une phrase, telle ou telle de la sonate, revenait, mais chaque fois changée, sur un rythme, un accompagnements différents, la même et pourtant autre, comme reviennent les choses dans la vie. »449

L’idée de « thème » fait référence à la musique et il nous semble, à titre d’hypothèse, qu’il y a un parallèle entre musique et authenticité tout au long de La Recherche : « La musique (…) m’aidait à descendre en moi-même, à y découvrir du nouveau »450 ; « le chant singulier dont la monotonie (…) prouve chez le musicien la fixité des éléments composants de

448

Marcel Proust, Le côté de Guermantes I, op.cité, p.87

449 Marcel Proust, La prisonnière, op.cité, p.247 450 Marcel Proust, La prisonnière, op.cité, p.149

son âme. »451 ; « Notre moindre désir bien qu’unique comme un accord, admet en lui les notes fondamentales sur lesquelles toute notre vie est construite. »452 Il y aurait comme une musique souterraine, propre à chaque être, comme une mélodie intérieure qui reviendrait à travers les différentes expériences vécues. Les éléments composants, autrement dit les notes fondamentales de l’être résonnent entre elles pour former un tout unifié, avec des éléments non pas identiques mais disparates, à l’image du « moi » que le narrateur décrit comme multiple mais pouvant se recomposer par résonnances. C’est dans cette résonnance, que nous voyons se situer cette troisième forme de mimétisme. Il y a, à chaque fois, comme une « matrice » dans laquelle on trouve une récurrence malgré les changements, malgré les variations :

« Quelque fois je me reprochais de prendre ainsi plaisir à considérer mon ami comme une œuvre d’art, c’est-à-dire à regarder le jeu de toutes les parties de son être comme harmonieusement réglé par une idée générale à laquelle elles étaient suspendues mais qu’il ne connaissait pas. »453

Ce ne sont pas les variations et les différentes apparences qui mènent au thème, ou au « moi », c’est plutôt le thème, ou le « moi » qui se trouve en chacune des variations. Les variations initient au thème, comme les expériences sensibles initient au « moi », comme l’extériorité à l’intériorité, la forme au fond, l’apparaître à l’être.454

Albertine par exemple, est comme un même thème avec des variations différentes, une même personne avec des aspects variés, de telle sorte qu’un même personnage ressemble aux mille autres qu’il est. Le thème est mimétique, au sens où il se rappelle à lui-même, telle une essence primordiale, que les personnages ne cessent de reproduire dans leurs conduites ou dans leurs sentiments : « Ainsi mon amour pour Albertine, et tel qu’il en différa, était déjà inscrit dans mon amour pour Gilberte ».455 Il ne s’agit pas d’une répétition à l’identique des sentiments, mais d’un mimétisme dans l’épreuve du sentiment. En somme, pour saisir l’être nous ne devons pas isoler les expériences les unes des autres et se concentrer sur chacune d’elles, mais les considérer comme autant de variations à travers lesquelles on peut saisir le

451

Marcel Proust, La prisonnière, op.cité, p.246

452 Marcel Proust, Albertine disparue, op.cité, p.207 453

Marcel Proust, A l’ombre des jeunes filles en fleurs, op.cité, p.305

454 Ce que nous avons développé au chapitre précédent. 455 Marcel Proust, Le temps retrouvé, op.cité, p.211

même thème qui les relie et qui sert ainsi de loi générale à la série des amours, des actions, des états d’âme.

C’est dire que les expériences ne sont pas signifiantes par elles-mêmes dans leur originalité, mais toujours par différence, par négativité : ni l’amour pour Gilberte, ni l’amour pour Albertine ne peuvent révéler par elles-mêmes une thématique, mais cette dernière ne peut se comprendre que par similitude d’expériences. La vérité thématique du narrateur est en chacune de ces expériences amoureuses, et ce qui leur est commun indique cette vérité. La reconnaissance de ce qui est commun aux différentes expériences, permet d’obtenir un point de vue supérieur, un meta point de vue qui révèle l’essence, la vérité de l’être. Sans mimétisme thématique, aucune ressemblance permettant de reconnaître l’essence, ne serait obtenue.

Cela signifie que l’être véritable est moins une vision, une apparition, qu’une confirmation, car le mimétisme thématique suppose une reconnaissance, malgré les changements que connaît l’individu.

Il y a un exemple de mimétisme thématique dans Le Temps Retrouvé au moment du « bal de têtes. »456 Malgré la déformation du temps sur le corps des différents personnages, le narrateur parvient toutefois à saisir l’essence véritable des personnages. La vue déformante du temps n’invalide pas la reconnaissance, mais permet au contraire au narrateur d’identifier les êtres sans pour autant les reconnaître intégralement. Ici la déformation confirme l’hypothèse d’un mimétisme thématique comme révélation de l’essence, car le mimétisme thématique ne signifie pas une reconnaissance intégrale, une copie conforme, mais une retrouvaille avec le thème général du personnage, malgré les modifications que le temps a fait subir à ce dernier. Le mimétisme est reconnaissance, confirmation de l’essence de l’individu, malgré la déformation que le temps impose aux personnages. Le mimétisme thématique est ce qui rend possible cette reconnaissance dans et malgré la différence :

« En effet reconnaître quelqu’un et plus encore après n’avoir pas pu le reconnaître, l’identifier, c’est penser sous une seule dénomination deux choses contradictoires, c’est admettre que ce qui est ici, l’être qu’on se rappelle n’est plus, et que ce qui y est, c’est un être qu’on ne connaissait pas. »457

456 Marcel Proust, Le temps retrouvé, op.cité, p.232 : « la vue non d’un moment, mais d’une personne située dans

la perspective déformante du temps »

Le narrateur invite donc son lecteur à penser un mimétisme qui ne se bâtisse pas sur une imitation stricte mais sur une différence, mimétisme qui permet de retrouver la vérité de l’être, malgré ses apparences changeantes. C’est notamment à travers l’art que ce mimétisme par la différence est rendu particulièrement sensible. Nous en venons donc à la quatrième forme de mimétisme, le mimétisme artistique, c’est-à-dire la manière dont l’art déforme la réalité pour mieux en rendre compte.