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Le militantisme hors du temps militant

Dans le document Les évolutions du militantisme à la CSF (Page 64-67)

Trois thèmes méritent d’être évoqués au terme de cette analyse des carnets de bord, qui tous renvoient à la propension de l’engagement à la CSF à irriguer les autres sphères de vie.

Le premier a déjà été signalé. Il s’agit du fait que les militants « pensent CSF » y compris en dehors des activités qu’ils lui consacrent. Plusieurs militantes (exclusivement des femmes) signalent ce fait dans leurs commentaires en marge du carnet. On a déjà évoqué le cas de cette militante qui, la nuit, pense à ce qu’elle devra accomplir dans la journée pour mener à bien l’action de la CSF ou qui se remémore les termes d’un échange houleux avec une autre responsable. Une autre écrit qu’elle a « pensé toute la journée à la rupture conventionnelle de contrat d’une de nos salariées ». Une autre encore signale que l’exercice du carnet de bord lui a fait réaliser combien elle pense à la CSF au cours de la journée. Avoir ainsi ses pensées occupées par la CSF, y compris la nuit, témoigne de l’intensité de l’engagement en son sein mais certains cas évoqués ci-dessus suggèrent que ce n’est pas nécessairement sur un mode agréable ou paisible. Comme toute activité qui sollicite un investissement personnel conséquent, le militantisme interpelle et bouscule les affects, et favorise les réactions émotionnelles.

Comme toute pratique qui exige du temps et de l’énergie, il induit une charge mentale, sous forme de crainte de ne pas mener à bien les tâches pour lesquelles on s’est engagé ou d’inquiétude quant au bien fondé de ses choix. Cette dimension peut s’avérer diversement pesante, selon les personnes et les étapes de la carrière militante, mais elle constitue un paramètre important dans les logiques de fatigue ou de démotivation qui peuvent affecter certains militants, au point de les conduire à se désengager.

Le deuxième point, en apparence plus anecdotique, est celui des trajets. Un petit nombre d’enquêtés a indiqué dans le carnet le temps de trajet au local de la CSF ou au lieu de réunion, en l’incluant ainsi dans le temps consacré au syndicat, tandis qu’une majorité ne l’a pas fait. Les longs trajets (comme les déplacements en train à l’aller ou au retour des conseils fédéraux) sont suffisamment étendus pour permettre de les consacrer à des activités en lien ou non avec la CSF (lecture de documents, par exemple). Mais les cours trajets, par exemple du domicile au local, sont, pour ceux qui les intégrés au carnet, déjà du temps consacré à la CSF puisqu’il est consacré à anticiper les activités syndicales à venir (ou, à l’inverse, à se remémorer ce qui vient de se passer pendant le trajet du retour). Pour ces personnes, le temps avant ou après la CSF est déjà, ou encore, du « temps CSF ».

Évidemment, ce temps du trajet sera d’autant plus un « temps CSF » que des sollicitations extérieures ramèneront vers le thème syndical. C’est spécialement le cas lors des rencontres imprévues avec, par exemple, des locataires du quartier ou des familles connues de l’association. La mention de telles rencontres — dans le quartier, le hall d’immeuble, aux abords du local — témoigne de la reconnaissance de la CSF et de son ancrage local : ses militants sont identifiés et perçus comme disponibles pour des échanges. La légitimité à défendre les habitants se fonde sur une sorte de « capital d’autochtonie », c’est-à-dire le fait d’appartenir à la vie locale, d’y être connu et reconnu et d’y manifester un intérêt pour la chose publique68. Ces échanges, cependant, ne sont pas toujours paisibles et manifestent certains écarts ou décalages entre ce que sont socialement les militants de la CSF et certaines composantes de son public. Ainsi des débats autour de la « théorie du genre » qu’une militante rapporte avoir eus avec des familles musulmanes interrogatives voire alarmées après les rumeurs de l’hiver dernier.

Enfin, et toujours dans cette capacité de la CSF à imprégner les autres sphères de vie, une mention doit être faite de la sociabilité militante. Celle-ci peut être « spontanée » et se développer pendant les interstices du temps directement consacré à l’association, comme lors des déjeuners entre militants. Une répondante note ainsi que « les repas pris à l’UD CSF où on dit souvent “on parle pas CSF en mangeant” sont très rarement pris sans parler CSF » : les tentatives de mise à distance de l’action syndicale sont de peu d’efficacité devant la « force d’imposition » de cette dernière. Cela peut être dû à l’importance du travail à accomplir, d’autant plus ressentie que les effectifs peuvent être insuffisants pour y faire face. Mais cela témoigne sans doute aussi de l’attention et de l’intérêt portés à une cause et à une organisation loin d’être affectivement « neutres ». La sociabilité peut aussi être spécifiquement recherchée et organisée, comme lors de ces partages de galettes des rois ou soirées raclette auxquelles certaines sections ont convié les adhérents pendant la période couverte par le carnet. Ici encore, le temps consacré à organiser ces événements comme leur durée (la soirée raclette rapportée dans l’un des carnets s’est manifestement terminée tard) suggèrent qu’il ne s’agit pas que d’un

68 Voir Jean-Noël Retière, « Autour de l’autochtonie. Réflexions sur la notion de capital social populaire »,

Politix, n° 63, 2003. A contrario, le mémoire d’Emilie Sansano sur la mobilisation du quartier Mistral (Le Rôle du médiateur logement…, op. cit.) insiste sur la difficulté ressentie par les militants de la CSF à s’investir sur un quartier où ils ne sont pas présents.

dispositif rationalisé visant à remobiliser les adhérents mais qu’une dimension affective les a directement imprégnés.

Dans le document Les évolutions du militantisme à la CSF (Page 64-67)