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Entre besoin singulier et cause générale

Dans le document Les évolutions du militantisme à la CSF (Page 75-77)

2. Conditions d’entrée et motivations de l’engagement à la CSF

2.1. Entre besoin singulier et cause générale

L’engagement dans une organisation telle que la CSF suppose plusieurs conditions, dont la définition et la réunion peuvent s’avérer complexes. La seule motivation individuelle, en effet, ne suffit pas. Outre que les motivations à rejoindre une association peuvent être extrêmement hétérogènes et fluctuantes, encore faut-il que le ou la futur-e militant-e ait au préalable identifié l’association au sein d’une offre d’engagement plus ou moins diversifiée, qu’il ou elle s’y sente à l’aise et soit suffisamment disponible pour s’y investir. Les dix militant-e-s rencontré-e-s présentent sur ce plan des situations contrastées.

Les modalités d’entrée sont les plus simples pour les militantes déjà familiarisées avec le syndicalisme familial — parmi celles rencontrées, les deux que l’on a désignées plus haut comme des héritières. Pour ces deux femmes, rejoindre la CSF « coulait de source » et l’on pourrait presque dire qu’elles en étaient membres avant même de payer leur première cotisation. La plus âgée a dès son enfance baigné dans la mouvance de la CSF (mère au MPF, passage par la JOC, adhésion à la CFTC puis CFDT) et elle en connaît de longue date les animatrices sur son lieu de résidence. Militante à la CFDT, elle était membre de l’association de consommateurs de ce syndicat — l’ASSECO — jusqu’à l’arrêt

76 Un rapport vivement critique aux médias avait notamment été identifié comme un trait caractéristique

des militant-e-s du Réseau éducation sans frontière : Lilian Mathieu, « Les Ressorts sociaux de l’indignation militante. L’engagement au sein d’un collectif départemental du Réseau éducation sans frontière », Sociologie, 3 (1), 2010.

de ses activités. C’est à ce moment-là qu’elle a rejoint la CSF, qu’elle a perçue comme le prolongement logique d’un engagement qui a simplement été transféré d’une organisation à celle qui, parmi l’offre associative, paraissait la plus proche. De manière similaire, la plus jeune des militantes — dont la mère est une responsable départementale de la CSF — a comme naturellement adhéré lorsqu’elle a loué pour la première fois un appartement. C’est tout aussi naturellement qu’elle s’est retrouvée candidate aux élections HLM quelques mois seulement après avoir rejoint l’association ; sa familiarité de longue date, et acquise de manière informelle au sein de sa famille, avec le syndicalisme familial l’a en quelque sorte autorisée à s’investir immédiatement de manière active.

Il est par ailleurs à noter, dans ces deux cas, que l’adhésion à la CSF n’a pas été motivée par un besoin particulier, tel qu’un litige de consommation ou avec un bailleur. Ces deux enquêtées justifient leur adhésion par un principe général de protection des consommateurs et des locataires par leur défense collective, alors même qu’elles n’ont pour l’instant jamais rencontré de problème particulier en la matière. La première insiste sur le fait que « je trouvais que c’était très important d’être adhérent à une association qui est pour les consommateurs parce que on voit, enfin c’est pas tous les jours qu’il arrive des problèmes mais dès qu’il arrive un problème eh ben on fait appel à quelqu’un de la CSF. (…) J’ai toujours été intéressée par cet aspect-là de la vie, finalement. (…) J’ai jamais eu bien besoin de faire appel à leurs services. Mais donc moi je trouvais tellement important d’avoir quand même accès au cas où. » Pour la seconde, c’est afin d’obtenir des informations par anticipation d’éventuels litiges avec le bailleur qu’est justifiée l’adhésion : « C’était vraiment dans l’optique d’avoir des renseignements puisque j’avais, j’étais avant chez mes parents donc c’était tout nouveau pour moi. (…) Il y a toujours des choses, des petits, je sais pas si on peut appeler ça des litiges mais par exemple en ce moment j’ai des problèmes avec mon chauffage, ça traine. Donc aussi savoir quels recours je peux avoir. »

D’autres, à l’inverse, ont initialement rejoint la CSF en la sollicitant pour satisfaire un besoin précis. C’est le cas de cet ouvrier de 49 ans qui a tout d’abord été usager du soutien scolaire proposé par la CSF : « Je suis rentré à la CSF on va dire il y a, allez on va dire il y a sept-huit ans. Sept ans, en gros, sept ans. Un de mes garçons avait quelques soucis scolaires au niveau, au collège, et puis ben on nous a fait connaître la CSF qui faisait des cours en plus le mercredi, ici, en soutien. » Poursuivi les années suivantes pour ses autres enfants, ce recours au soutien scolaire lui a permis de se familiariser avec la CSF et, in fine, d’accepter la proposition de s’investir plus activement : « Ça a continué par je vous dis il y a sept ans par mon deuxième, et puis ma fille, la dernière là qui a 18 ans qui elle aussi a fait trois ans de soutien scolaire ici. Et puis à l’issue de tout ça ben la dernière est partie en bac pro et puis ben ils m’ont proposé “ben est-ce que vous prendriez pas une adhésion pour participer à la CSF ?”, enfin bref voilà, et puis c’est resté, c’est rentré comme ça. » L’engagement est ici un processus de plusieurs années, qui fait passer du statut d’usager à celui d’adhérent puis de militant actif : initialement venu solliciter un service individuel, ce militant s’est ensuite investi au sein de la commission logement et a été élu délégué des locataires sous l’étiquette de la CSF.

Si plusieurs enquêté-e-s rendent compte de leur adhésion en invoquant la satisfaction d’un besoin individuel, force est cependant de constater d’une part leur diversité, d’autre part le fait qu’ils ne sont pas toujours directement connectés à la nature des activités de la CSF. Tel est le cas, par exemple, de cette jeune adhérente qui cherchait initialement un investissement associatif faiblement défini mais où elle pourrait mettre en œuvre et développer ses compétences professionnelles en matière de

comptabilité. Elle a ainsi eu recours au site de France-bénévolat, qui recense des offres de postes bénévoles proposées par différentes associations, où elle a trouvé une proposition de la CSF de sa localité dont le trésorier souhaitait se retirer. C’est donc en ignorant tout de la CSF, et plus largement du militantisme familial, qu’elle l’a rejointe, et ce n’est pas tant la vocation ou l’identité de celle-ci qui l’a motivée que le type d’activité qui lui était proposé. Le fait qu’elle y soit restée, qu’elle s’y trouve bien et qu’elle n’exclue pas d’endosser d’autres activités atteste cependant qu’au-delà des motivations de son adhésion, la CSF est une organisation ajustée à ses dispositions de jeune femme issue d’un milieu modeste, orientée à gauche et ayant reçu une éducation chrétienne.

Un autre profil est celui, davantage récurrent, d’une recherche d’activité au moment de la retraite. Comme cela se rencontre fréquemment dans le secteur associatif, l’engagement bénévole permet à des personnes qui ont depuis peu interrompu leur activité professionnelle de faire face à un sentiment de désœuvrement — motivation généralement couplée au désir de se montrer utile. Trois enquêté-e-s sont particulièrement représentatifs de ce registre d’adhésion. L’une raconte ainsi que « J’ai adhéré quand j’ai arrêté de travailler. Parce que bon, j’avais envie de continuer à avoir des contacts avec l’environnement et ce que faisait la CSF je trouvais, ça m’intéressait. Donc j’ai été les voir. » Une autre inscrit son engagement dans la continuité directe de son expérience professionnelle, et rend compte de son engagement en articulant les « bénéfices » personnels qu’elle en retire avec sa volonté de faire profiter l’association et son public de ses compétences : « Je suis à la retraite depuis un an et demi, voilà. Donc j’aime beaucoup tout le secteur enfant puisque j’ai été directrice de crèche. Et donc je voulais m’engager dans du bénévolat soit auprès des enfants, soit auprès des étrangers. (…) Donc c’est pas, je me suis engagée dans ça par… Intéressement. Le sujet m’intéressait. Pour moi le bénévolat c’est quelque chose qui m’intéresse, mais en lien avec effectivement mes expériences professionnelles. Faire profiter un peu de l’expérience que j’ai pour faire avancer d’autres. » Le troisième est arrivé sur son quartier suite à un relogement concomitant avec son entrée en retraite, moment pour lui d’une contrainte à la sédentarité après une carrière particulièrement active et mobile. Sollicité pour être référent de son immeuble et disponible pour un engagement plus poussé, il a rapidement rejoint la CSF pour laquelle il s’est présenté aux élections de locataires. C’est, dit-il, « pour pas rester chez moi » qu’il s’est investi dans l’association qui lui apporte « une nourriture mentale. »

Pourrait être ainsi établi un continuum des motivations à rejoindre la CSF, distinguant un pôle de motivations « singulières » (relevant de la satisfaction d’un besoin individuel ponctuel et précis) à un autre caractérisé par des motivations « générales » (la défense des locataires et des consommateurs par leur organisation collective), tout en proposant une diversité de motivations « intermédiaires » (comme exercer une activité personnellement satisfaisante tout en faisant bénéficier la collectivité de ses compétences). La progression du premier au second pôle pourrait de la sorte dessiner un processus vertueux, amenant à investir un engagement guidé par des motivations individuelles d’une dimension progressivement plus générale et plus active. Un tel schéma est certes éclairant, mais ne prend pas en compte d’autres facteurs qui influent sur les logiques de l’engagement à la CSF, tels que les sollicitations directes de l’association et la disponibilité des (futur-e-s) militant-e-s.

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