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Compétences et préférences

Dans le document Les évolutions du militantisme à la CSF (Page 81-83)

3. Être actif à la CSF

3.1. Compétences et préférences

On a vu précédemment que, syndicat des familles, la CSF couvrait différents domaines : consommation, logement, éducation, santé… Comprendre les engagements en son sein exige par conséquent de les situer en regard de cette palette de domaines d’activité : certains domaines sont-ils davantage propices à l’investissement actif ? Les nouveaux militants diversifient-ils leurs centres d’intérêt au sein de l’association, ou se constituent-ils des « niches » d’activité spécialisée ? Et, dans ce cas, quels sont les ressorts de cette spécialisation ?

Il apparaît en premier lieu que les conditions de l’entrée influent directement sur l’orientation des investissements. Telle militante entrée à la CSF pour y assurer du soutien scolaire se spécialise dans le secteur de l’éducation et n’accorde qu’une attention secondaire aux questions de logement, tandis qu’un autre qui s’est investi sur son quartier privilégie la défense des locataires et l’interface avec les bailleurs sociaux, à l’exclusion des autres secteurs couverts par la CSF. La complexité croissante de certaines questions — notamment en matière de logement et de consommation — contribue en partie à expliquer cette tendance à la spécialisation des militant-e-s, à qui il est difficile d’acquérir en même temps les compétences exigées par les différents domaines. On a vu précédemment qu’il s’agissait d’un objet de réflexion pour la CSF, préoccupée par le risque de voir ses différents secteurs s’autonomiser les uns des autres voire entrer en concurrence.

D’autres facteurs que la complexité grandissante président également à cette spécialisation. Les préférences individuelles viennent en premier lieu. Pour être dégagé de toute évaluation matérielle, le bénévolat repose sur une sorte d’économie où la contrepartie du temps et de l’énergie consacrés à l’association est faite de satisfaction personnelle. En conséquence, les militant-e-s — dont, en premier lieu, les retraité-e-s — attendent un certain plaisir de leur investissement et écartent les domaines les moins susceptibles de leur apporter ce type de rétribution. C’est ce qu’indique clairement cette retraitée : « J’ai mes collègues, elles elles travaillent plus avec les enfants. Moi j’ai dit que j’avais pas envie. J’avais pas du tout envie de travailler avec les enfants, ça m’attirait pas du tout. Donc ça je le fais pas. » Plusieurs enquêté-e-s ont affirmé qu’ils et elles ne

80 Sur les enjeux d’une attention portée à la pratique militante, cf. S. Nicourd (dir.), Le Travail militant, op.

cit. Voir le mémoire de Margaux Vidal pour un aperçu du contenu de ce travail (carrefours de la consommation, réunions d’information, jeux et apéritifs lors des rencontres avec les résidents de certains immeubles…) et de sa mise en forme symbolique (valorisant la convivialité et la spontanéité) au sein d’une section de la CSF du Rhône : « L’Action militante au sein d’une section locale de la CSF », mémoire de M1 cité.

souhaitaient pas investir d’autres domaines que celui dans lequel ils et elles se sont spécialisé-e-s.

Les entretiens confirment en large partie les constats opérés à partir des carnets de bord : une part de l’investissement des militant-e-s prend son sens en regard de l’activité professionnelle, que celle-ci soit passée ou présente. C’est sur le registre de la reconversion des compétences professionnelles que certain-e-s retraité-e-s rendent compte d’un engagement qui leur permet de valoriser leurs savoirs et savoir-faire, avec l’ambition d’en faire bénéficier plus largement la collectivité, comme dans le cas suivant : « Tout ça c’est lié à mon travail, c’est que en étant directrice de crèche j’ai permis à des mères de famille seules avec des enfants, étrangères, sans-papiers, de pouvoir mettre leurs enfants en crèche et de pouvoir faire des recherches d’emploi, de pouvoir apprendre le français, des choses comme ça, ça m’a passionnée. Et donc je voulais effectivement continuer dans ce domaine-là. » Autrefois sources de revenu, ces compétences sont, une fois détachées de l’emploi, mises en œuvre de manière altruiste : « J’amène mon savoir-faire, j’ai pas d’enfant donc au moins le peu que je sache eh bien je le donne. Et ça me fait plaisir. »81 En revanche, d’autres signalent se tenir à l’écart des activités qui leur rappellent trop les aspects les plus pénibles de leur ancien métier : « Et puis, bon, les réunions sans fin j’ai horreur de ça. J’en ai eu assez quand je travaillais donc… Ça j’ai pas envie de repiquer là-dedans. »

L’insertion dans l’association se fait ici d’autant plus facilement qu’elle sollicite et valorise des compétences préalables et ne suppose pas de rupture avec les activités exercées antérieurement ou par ailleurs. On a déjà évoqué le cas de cette chargée de clientèle bancaire qui a rejoint la CSF pour valoriser et développer ses compétences en comptabilité, et qui a ainsi pu s’insérer positivement dans un milieu associatif nouveau pour elle. Une autre militante mobilise quant à elle dans le domaine de la consommation des compétences juridiques qu’elle a antérieurement acquises en tant qu’élue prudhommale. C’est par réactivation et transposition de ses connaissances spécialisées du droit du travail au droit de la consommation qu’elle accomplit son activité au sein de la CSF : « Parce que c’était pareil pour le Prudhomme, hein, on… (…) Parce que c’est tellement vaste, que ce soit les lois pour le travail ou les lois pour la consommation, c’est vaste. Et puis la même chose, on a eu vu déjà… (…) Les lois c’est très compliqué, hein. Et que on cherche une loi on la trouve mais y’a toujours les exceptions, alors on vous renvoie à une autre loi (…) qui dit pas le contraire mais pas loin. »

Si certain-e-s affirment se cantonner au secteur où ils et elles se sont spécialisé-e- s, d’autres se montrent davantage enclin-e-s à élargir leur surface d’action. Mais ici comme pour l’entrée, ce sont les sollicitations directes des responsables de l’association qui semblent présider à l’investissement de nouveaux domaines. C’est le cas de cette militante qui a rejoint la CSF dans le cadre d’une mobilisation pour la réhabilitation de sa cité. Spécialisée dans le secteur du logement, elle est disposée à s’investir — mais sur le mode limité et ponctuel du « coup de main » — dans le domaine de la consommation si on la sollicite : « Je sais qu’on fait une enquête par exemple sur les prix. Ben Mme V. elle me dit “tiens N., je te donne un questionnaire, tu peux aller dans les magasins”, par

81 Les compétences mobilisées dans le cadre associatif ne sont pas nécessairement la transposition directe

d’une activité spécialisée mais peuvent relever de l’activation de savoir-faire informels. Ainsi dans le cas de ce policier retraité qui active dans sa pratique associative, nouvelle pour lui et devant laquelle il se sent parfois un peu désemparé, des techniques maîtrisées dans l’exercice de son ancienne profession, telles que la prise de notes : « On m’a fait la remarque : “Ah mais tu notes tout”. (…) Ben oui parce que sans ça on s’en rappelle plus. (…) J’ai tellement eu l’habitude de travailler comme ça, et puis bon. Vous savez quand on fait un flagrant délit, c’est pas avec des racontars, des trucs, c’est pas valable ça. »

exemple, ben moi j’y vais, on s’aide, on s’entraide. » Le passage de ce militant du statut d’usager du soutien scolaire à celui de représentant des locataires sous étiquette CSF est plus conséquent. Mais lui aussi n’émane pas tant de sa propre démarche que d’une sollicitation directe du syndicat familial : « Pour moi pour l’entraide scolaire c’était un très bon, enfin, c’était très bien. (…) S. qui était ici en tant que, comment, il était là dans les bureaux, lui, m’a proposé, vu que je suis locataire de [l’office HLM local], il m’a dit “ben si tu veux, tu peux prétendre entrer dans la liste des délégués au niveau locataires avec le biais de la CSF, si tu veux venir voir à une réunion, participer”, c’est comme ça que c’est rentré. » De telles invitations à s’investir plus activement au sein de la CSF et à y assurer davantage de responsabilités se heurtent cependant fréquemment à des hésitations voire des réticences, en grande partie sous l’effet de ce que l’on peut appréhender comme un manque de confiance en soi.

Dans le document Les évolutions du militantisme à la CSF (Page 81-83)