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La présence des Sud-Américains au Canada est un fait récent. Jusqu’au début des années 1960, l’immigration au Canada était composée majoritairement d’Européens. Selon Mata (1985), Garay (2000) et Ginieniewicz (2007), l’immigration latino-américaine au Canada est issue de cinq grandes vagues qui ont des racines historiques et géographiques différentes. Selon les circonstances de sortie des pays latino-américains, ces vagues ont été appelées : la « Lead wave » (la première vague), l’« Andean wave » (la vague « andine »), la « Coup wave » (la vague des coups d’État), la « Central American wave » (la vague centroaméricaine) et, finalement, la « technological-professional wave » (la vague technologique et professionnelle) (Ginieniewicz, 2007).

À partir de cette distinction des vagues migratoires, il est possible d’observer que, sauf pour la vague « Central American wave », les quatre autres ont été prioritairement composées d’immigrants d’origine sud-américaine. Il est à noter aussi que les vagues des décennies 1960 et 1970 étaient directement liées aux crises politiques, sociales et économiques des pays de la région (Lamotte, 1992 ; Burgueño, 2005), tandis que la première et les dernière vagues ont été davantage en rapport avec le marché du travail et les conditions favorables de la politique migratoire canadienne. On évoque ainsi l’arrivée des immigrants d’Amérique du Sud vers le Canada selon quatre vagues successives :

La première vague (Lead wave), entre les années 1956-1965, était constituée d’une

42 Dans cette étude, nous abordons l’immigration sud-américaine comme celle provenant des pays hispanophones (Argentine, Bolivie, Chili, Colombie, Équateur, Paraguay, Pérou, Uruguay et Venezuela) et du Brésil, en nous basant sur les domaines historico-culturel et démographique qui servent à la construction d’une « identité sud-américaine ».

sciences naturelles, de l’administration, de l’enseignement et de la santé, qui sont entrés avec des permis de travail temporaires en tant qu’ouvriers, qualifiés ou non. Ils provenaient, dans la plupart des cas, des pays les plus industrialisés de la région : l’Argentine, le Brésil, l’Uruguay et le Venezuela (Ginieniewicz, 2007), et ils ont quitté leur pays à cause de l’instabilité sociale et économique qui y régnait (Burgueño, 2005).

La « vague Andine » (« Andean wave ») date du début des années 1970. La plupart des immigrants provenaient alors du Chili, de l’Argentine, de l’Équateur, de la Colombie et du Pérou (Mata, 1985 ; Burgueño, 2005). Il s’agissait de collectivités formées par des émigrants ayant dû quitter leur pays, surtout en raison de la répression des dictatures militaires qui sévissaient dans le sous-continent, ainsi que par ceux qui avaient émigré pour avoir la possibilité d’améliorer leur qualité de vie. Ces arrivants sont entrés aussi avec des permis de travail temporaires en tant qu’ouvriers, qualifiés ou non ; et dans la majorité des cas, ils sont devenus immigrants par la suite.

La troisième grande vague migratoire provenant d’Amérique du Sud (la vague associée aux coups d’État) était constituée de personnes ayant obtenu le statut de réfugiés en sortant des dictatures militaires, surtout du Chili (Lamotte, 1992), dans une période où la société canadienne assumait ses engagements conformément avec la Convention de Genève en matière de réfugiés, sans pour autant négliger l’accommodation à sa politique d’immigration en fonction d’une de ses priorités fondamentales : la demande de main-d’œuvre. Cette cohorte était avant tout constituée de Chiliens, d’Argentins et d’Uruguayens, majoritairement acceptés en tant que personnes parrainées (Rojas Viger, 2006 ; Ginieniewicz, 2007).

Enfin, la vague professionnelle-technologique est celle qui a débuté à partir des années 1990. Elle est la conséquence directe du « desencantamiento social » (désenchantement social) et des conflits et des guerres internes au cours de la « decada perdida » (décade perdue) des années 1980, ainsi que de l’ajustement structurel des années 1990. C’est

arrivants d’Amérique du Sud, qui viennent de plus en plus comme immigrants de la catégorie économique, principalement du Pérou et de la Colombie.

Bien que nous souscrivons à cette périodicité, la présente étude vise à fournir les preuves de l’important changement survenu à la fin des années 1990 et au début des années 2000. À notre avis, durant cette période, s’inscrit une vague marquant un nouveau profil des Sud-Américains. En effet, nous notons qu’au cours des années 2000, la migration des travailleurs qualifiés originaires d’Amérique du Sud a connu une croissance très rapide. Selon Citoyenneté et Immigration Canada (2007), la migration de la catégorie économique des pays de la région sud-américaine a représenté, en 2007, plus du tiers de l’immigration de cette origine (37 %), tandis qu’en 1996, elle n’était que de 23 %. Quant au nombre de résidents permanents43 d’origine sud-américaine admis au Canada, il serait passé de 19 480 personnes, durant la période 1996-2000, à 53 935 personnes au cours de la période se situant entre 2001 et 2006. Alors, l’arrivée des résidents permanents originaires des cinq pays les plus représentatifs de la région (la Colombie, le Pérou, le Venezuela, l’Argentine et le Brésil) aurait connu une croissance de 276 % dans les dix dernières années44 (tableau 9).

Formée d’adultes, de jeunes familles et d’un grand nombre de personnes ayant une formation universitaire, étant aussi sorties de leur pays à titre individuel ou comme accompagnatrices pour s’insérer dans le marché du travail, cette nouvelle vague a les caractéristiques générales du nouveau visage de l’immigration au Canada : un plus haut

43 La migration des résidents permanents comprend la catégorie économique dans laquelle figurent les immigrants sélectionnés en raison de leurs compétences ainsi que leurs conjoints et personnes à charge. Cette catégorie comporte deux sous-groupes : « travailleurs qualifiés » et « investisseurs et entrepreneurs », mais aussi, elle inclut les immigrants de la catégorie « regroupement familial ». Quant au nombre des résidents permanents d’origine sud-américaine admis au Canada, il serait passé de moins de 3 000 personnes, en 1996, à plus de 11 000 en 2005.

44 D’après les données du recensement de 2001, il y avait 196 560 immigrants d’origine sud- américaine au Canada. Nous calculons que pour 2006, la population totale d’origine sud-américaine pourrait dépasser les 260 000 immigrants. C’est une approximation, puisque les sources statistiques de Statistique Canada et du CIC ne présentent que de l’information partielle.

féminisation.

Tableau 09 : Résidents permanents d’origine sud-américaine établis au Canada selon la

période d’admission

PAYS Avant 1991 1991-1995 1996-2000 2001-2006 TOTAL 2006

Colombie 6 995 1605 5240 25 305 39 145 Chili 19 375 2920 1890 2325 26 505 Pérou 8455 5020 3220 5380 22 080 Argentine 7940 2115 1870 6200 18 120 Brésil 5295 2245 2510 5075 15 120 Équateur 7825 1750 1500 2400 13 480 Venezuela 2840 1450 1715 4260 10 270 Paraguay 5220 855 375 1080 7530 Uruguay 4185 990 580 880 6635 Bolivie 1590 565 580 1030 3770 TOTAL 69 720 19 515 19 480 53 935 162 650 % DU TOTAL 43,0 % 12,0 % 12,0 % 33,0 % 100,0 %

Source : Statistique Canada, Recensement de 2006. Population immigrée recensée au Canada selon origine nationale et periode d’immigration.

Par ailleurs, on peut remarquer que l’immigration des années 2000 issue de la région sud-américaine peut être fortement associée aux processus de modernisation, à des changements divers dans la même région ainsi qu’aux effets de la mondialisation. Si nous prenons les données statistiques de la région sud-américaine, nous pouvons constater que ce processus coïncide avec la tendance croissante de l’émigration permanente ou transitoire des professionnels sud-américains. Ce ne serait donc pas une simple coïncidence si les pays qui ont une plus grande présence dans les flux les plus récents au Canada et au Québec (Colombie, Pérou, Venezuela, Brésil et Argentine) sont

techniciens émigrants : la Colombie, le Pérou, le Venezuela, l’Argentine et l’Équateur (CEPAL, 2002 ; Martinez, 2003 ; Barrere, Luchilo et Raffo, 2004). En termes généraux, l’émigration sud-américaine qualifiée se dirige d’abord vers les États-Unis et ensuite vers les pays européens (Martinez, 2001). Toutefois, l’ouverture des politiques d’immigration mises en place par le Canada, l’intensification de ses liens commerciaux avec les pays membres du Mercosur45, de la CAN46 et de la Unasur47 (Peña, 2008), l’image de pays ouvert et multiculturel caractérisée par un haut niveau de qualité de vie et celle de l’économie canadienne en pleine expansion qui requiert un apport migratoire pour approvisionner sa force de travail (Santana, 2005) ont suscité des idées qui nourrissent les imaginaires sur les avantages de l’immigration au Canada (Herrera, 2005). Cela a contribué à stimuler l’émigration sud-américaine des élites techniques et professionnelles qualifiées vers le Canada au cours des dernières années.