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2.3. Les ressources culturelles et symboliques

2.3.2. L’acquisition, la mobilisation des ressources et la positionnalité

Anthias et Yuval Davis (1992) affirment que le genre (sexe social), l’ethnie et la classe en tant que catégories sont les moyens par lesquels les groupes sociaux sont produits et organisés. De cette façon, les formes d’exclusion sociale sont en corrélation pour déterminer la position des individus, en conditionnant leur capacité d’accéder aux ressources matérielles et symboliques (Anthias, 2001 ; Knapp, 2005). En d’autres termes, ces catégories sociales sont constituées comme un mode de classification et elles reflètent les ontologies sociales autour de la différence, pour leur assigner une valeur dans les diverses sphères de l’interaction humaine (Anthias, 1991, 1992a, 1996 et 1998a ; Anthias et Yuval Davis, 1992).

De façon générale, Anthias (2002) affirme que les ressources constituent des éléments qui dépendent du positionnement social à l’intérieur d’une gamme de pratiques sociales. La notion de matérialité n’est donc pas limitée à l’aspect économique. Une fois que « le matériel » est formulé autour de l’idée de la répartition des ressources et de leur placement hiérarchique, il faut, selon l’auteure, déterminer comment les différents types de ressources sont socialement valorisés. Cette valorisation peut être culturelle et/ou symbolique, parce que les ressources économiques possèdent une valeur culturelle, et les ressources culturelles ont une valeur économique.

Ce qui est important est surtout la notion voulant que le capital social et culturel puissent être convertis en capital matériel ou économique et devenir constitutifs du positionnement de classe ou d’appartenance ethnique/raciale (Bourdieu, 1980). Et comme tout capital économique, celui constitué par des ressources matérielles – qui donnent un pouvoir à son détenteur –, peut devenir un capital symbolique ayant une reconnaissance particulière au sein de la société.

Bien que Bourdieu n’ait pas appliqué cette théorie aux populations immigrées, nous croyons qu’il est plus qu’approprié d’étudier dans quelle mesure les immigrantes qualifiées peuvent employer leurs ressources matérielles et culturelles pour accéder

symboliquement à une position sur le marché du travail. La prise en considération de cette approche obéit à l’importance de considérer l’agentivité des travailleuses qualifiées, car le fait de pouvoir disposer de ressources contribue à créer des sentiments de confiance et de continuité (Giddens, 1994), qui sont fondamentaux dans un cadre où l’instabilité et les attentes à l’égard de l’avenir sont concomitantes d’un nouveau contexte et d’une toute nouvelle positionnalité translocationnelle.

Il y a toujours une rétroaction entre les divers types de capital qui agissent comme des moyens dont l’individu dispose selon son positionnement. Comme le précise Anthias :

« Bourdieu’s notion of cultural capital (1990) goes some way in acknowledging the role of cultural resources as a form of capital. However, the analogy with capital is too focused around how they might enter into providing access, in the final analysis, to economic resources. But economic resources are not the most valuable resource from the point of view of social positioning, at least not in any essentialist way. Economic resources have to be endowed with a symbolic or cultural value for them to be seen as socially meaningful, in producing social hierarchies relating to life conditions and life chances. » (Anthias, 2001 : 379- 380).

Dans ce sens, Bolzman (1994 : 105) définit le système de ressources d’un immigrant comme « l’ensemble de moyens d’ordre socio-économique, relationnel, culturel et psychosomatique dont dispose une personne et qui peuvent être mobilisés dans le contexte où elle évolue ». Deux mots clés se dégagent de cette définition : mobilisation et utilisation. Si nous parlons de ressources, c’est justement pour faire référence à cet ensemble de moyens, constitué par des groupes de référence, des connaissances, des informations, des croyances, des systèmes de valeurs, des savoirs acquis progressivement à travers l’expérience (comment réagir, quoi dire, où, à qui, etc.), des sentiments positifs tels que l’espoir et le compromis avec la carrière, la connaissance d’autres langues, la capacité d’établir des relations par la sociabilité, etc.

Dans les termes de Bourdieu, cette définition correspond d’une certaine manière à la notion de « capital culturel ». Selon cet auteur, le capital culturel se rapporte à trois types de ressources qu’une personne peut posséder : les ressources incorporées (savoir et savoir-faire, compétences, forme d’élocution, etc.), les ressources objectivées

(possession d’objets culturels) et les ressources institutionnalisées (titres et diplômes scolaires). Ces ressources constituent un capital, parce qu’on peut les accumuler au cours du temps et, dans une certaine mesure, les transmettre aux enfants, ce qui est une condition de la reproduction sociale (Bourdieu, 1980).

D’une façon particulière, en considérant qu’une forme incorporée de capital culturel constitue l’habitus culturel, qui se construit par la socialisation successive, on peut inclure dans ce type de capital celui incarné dans la personne elle-même en tant que dispositions durables de l’esprit et du corps : attitudes et comportements appris selon le genre, la classe et l’appartenance ethnique. L’identification de cet ensemble de moyens implique donc de reconnaître que ces ressources peuvent changer selon les caractéristiques socioculturelles, comprenant, entre autres, les orientations de classe, ethniques et raciales, du pays et de la région d’origine, de genre et d’âge.

Ainsi, la capacité des immigrantes de mobiliser les ressources à leur disposition (Bolzman, 1994; Dallalfar, 1994; Carbajal, 2001) dépend, d’un côté, du positionnement des immigrantes dans la société d’origine autant que dans la société de réception, selon la valorisation symbolique et la reconnaissance de ces ressources. D’un autre côté, la considération de l’importance des ressources culturelles et symboliques demeure en étroite relation avec le fait que la valeur indiquée pour chaque forme de capital n’est pas universelle, mais qu’elle dépend plutôt du contexte spécifique (Kelly et Lusis, 2006). Dans ce sens, nous retenons la définition de Bourdieu, pour qui, il existe un type de capital spécifique à chaque champ social, qui détermine la structure et qui constitue l’enjeu des luttes personnelles et de groupe. La mobilisation des ressources est potentiellement touchée par une variété de contraintes structurelles de contexte, y compris la politique d’immigration, la philosophie et l’organisation des programmes d’établissement et d’intégration, l’accessibilité aux services de santé et aux programmes sociaux, l’intégration globale des économies ainsi que la présence de discours et d’attitudes envers les immigrantes sur le marché du travail et dans la société en général (Jasso et Rosenzweig, 1997). La prise en considération ou l’évaluation d’une ressource ou d’un capital dépendra donc des normes et des systèmes de valeurs sociales du

contexte socio-spatial spécifique dans lequel l’individu se situe à un moment particulier. En effet, les ressources culturelles et matérielles qui tendent à être valorisées symboliquement dans la société d’accueil peuvent avoir des conséquences sur l’intégration économique des immigrantes (Anthias, 1998 ; Riaño, 2004 et 2007).

Dallalfar (1994) a analysé comment des femmes iraniennes ayant de hauts niveaux d’éducation à Los Angeles font usage de leurs ressources de genre ainsi que de leur composante ethnique au moment où elles créent de petites entreprises dans des milieux où le travail et l’activité sociale convergent. Dans son étude, cette auteure constate comment les domaines public et privé se fusionnent dans les milieux de travail dans lesquels les informations concernant la communauté et leurs nouveaux membres, les possibilités d’emploi et surtout les besoins de produits et services sont vécus simultanément. Comme dans l’approche préconisée ici, cette auteure utilise une définition large des ressources, qui ne sont pas confinées au capital humain ou au capital social. Dans ce cadre, les ressources financières et sociales peuvent être perçues comme faisant partie de la position de genre, de classe et d’appartenance à un groupe ethnique (Light et Karageorgis, 1994). Pour elle – de même que pour d’autres auteures comme Bhachu (1988), Dallalfar (1989) et Westwood et Bhachu (1988) –, les ressources déployées par les immigrantes comprennent les qualifications, les attitudes, les valeurs et la connaissance qui accompagnent la position d’une femme dans la structure ethnique et de classe (en tant que membre d’un groupe), et qui aident à former leurs aspirations à des buts tels que l’emploi requérant une éducation professionnelle plus importante.

Selon Dallalfar, les ressources ethniques et de genre sont des dispositifs socioculturels du groupe entier qui sont activement employés par les immigrantes dans leur intégration, et dont elles bénéficient passivement. Entre autres éléments, ces dispositifs incluent des pratiques culturelles, des attitudes, des normes ainsi que des systèmes traditionnels de valeurs, et des institutions culturelles et sociales comme les systèmes de mariage et de famille, la solidarité ethnique, les réseaux sociaux33, la confiance,

etc. (Dallalfar, 1994). Plusieurs de ces ressources ethniques féminines de groupe reflètent les différentes sortes de ressources qui sont définies dans cette étude comme matérielles, culturelles et symboliques.

2.4. L’intersection du genre, de l’ethnicité-race et de la classe dans l’intégration