• Aucun résultat trouvé

2.3. Les ressources culturelles et symboliques

2.3.1. L’utilisation des ressources et l’intégration socioéconomique

En termes généraux, la plupart des études portant sur l’intégration socioéconomique considèrent que les ressources utilisées par les immigrants qualifiés peuvent être définies comme des outils qui, en fonction de leurs caractéristiques, aident ou gênent l’accomplissement des buts liés à l’intégration socioéconomique (Potter, 1999). Les types de ressources qu’une bonne partie des études sur l’intégration socioéconomique incorporent habituellement sont : d’un côté, les éléments du capital humain, entendus comme l’investissement combiné d’une personne sur elle-même sous forme d’éducation, d’expérience professionnelle et de développement spécifique de compétences dans sa vie, et d’un autre côté, le capital social qui est mis en scène comme le facteur permettant la mobilisation d’autres ressources pour s’intégrer à la vie économique dans la société d’accueil.

Les analyses du capital humain tentent habituellement d’expliquer les différences de revenu, les promotions, la concentration et la participation au marché du travail des

populations autochtones et étrangères, en mesurant, entre autres variables, leur niveau d’éducation, la compétence, le prestige professionnel, les capacités linguistiques et l’expérience dans le domaine de formation (par exemple, Abbott, 1989 ; Plage et Worswick, 1993 ; Bach et Argiros, 1991; Baker et Benjamin, 1994 ; Borjas, 1990 ; Chiswick, 1992 ; Coulson et Devoretz, 1993 ; Goldlust et Richmond, 1974 ; Nogle, 1993 ; Bagagiste, 1965 ; Worswick, 1996). La plupart de ces analyses précisent que le capital humain des femmes, tel que défini ci-dessus, est généralement inférieur à celui des hommes, en raison du double rôle de mère-femme au foyer et de travailleuse30 et des occasions moindres des femmes d’accéder à de meilleurs niveaux d’éducation dans la société d’origine (Boyd, 2002 ; Piper, 2003 ; Potter, 1999).

Par ailleurs, dans la documentation générale sur le capital social et les réseaux sociaux, ceux-ci sont perçus comme un système complexe de relations, de rapports interpersonnels et de rôles sociaux qui servent d’appui et de sources de communication et d’information aux immigrants (Baur et al., 2000; Crisp, 1999 ; Massey, et al., 1993). Ainsi, au niveau du groupe ethnique, les explications du succès ou de l’échec économique des immigrantes s’appuient sur les caractéristiques de la communauté ethnique et sur le rôle des liens et des réseaux ethniques. Au niveau général, plusieurs discussions ont eu lieu autour des avantages et des contraintes créées par les liens coethniques forts lorsqu’ils agissent sur la mobilité professionnelle immigrante à l’intérieur et en dehors de l’enclave ethnique. Les diverses études à ce sujet ont démontré combien l’existence d’une communauté ethnique à laquelle s’identifie l’immigrant – ou le nouvel arrivant – constitue un facteur important de son insertion dans le pays d’accueil, étant donné qu’elle constitue en quelque sorte un réservoir de coutumes, de modes de vie et de valeurs partagées au quotidien. En parlant des immigrants en général, Bertot et Jacob (1991), qui ont décrit trois phases aux processus d’insertion, proposent que le soutien reçu de la communauté serait bénéfique au nouvel

30 Boyd (1992) et Worswick (1996) expliquent que les arrêts de travail rendus nécessaires pour soutenir et élever des enfants ont pour effet que les femmes, par rapport aux hommes, sont confrontées à un inconvénient de plus sur le marché du travail, au même titre que les pratiques qui accordent moins de valeur à l’éducation et à la carrière des femmes, et les empêchent d’accéder sans cérémonie et efficacement aux réseaux, qui sont de plus en plus essentiels pour accéder à l’information rare et essentielle.

arrivant, car il pallierait aux multiples difficultés rencontrées en terre d’accueil : perte de statut, non-reconnaissance des diplômes, perte du sentiment de contrôle, pauvreté, anomie sociale, etc. (Jacob et Blais, 1992 ; Bernier, 1993).

Il faut noter qu’il est possible de se rendre compte qu’une bonne partie de ces recherches et analyses constatent, décrivent, expliquent ou dénoncent la précarité des emplois occupés par les femmes et que celles-ci inventent des stratégies comme l’entrepreneuriat ethnique. Une forte critique adressée à une bonne partie de ces travaux note cependant que la plupart sont basés sur le modèle de travail génériquement divisé, qui reprend la dichotomie entre l’homme rationnel orienté vers la haute productivité économique, et la femme associée à la culture et aux activités reproductives (Beaverstock, 1996 ; Dallalfar, 1996 ; OECD, 2002 ; Oso-Casas, 2006).

En outre, il ne faut pas négliger le fait que l’analyse du regroupement ethnique comme catégorie sociale est susceptible de démontrer une hétérogénéité plus ou moins importante à l’intérieur des groupes. Ainsi, les individus d’une même région de naissance, et plus particulièrement les femmes, sont susceptibles d’avoir des caractéristiques phénotypiques ou culturelles différentes. Par exemple, la couleur de la peau, la langue parlée ou la religion pratiquée par les répondantes risquent de varier entre les individus d’un même groupe, comme c’est le cas pour les Sud-américaines. De plus, le contexte de relations majoritaires-minoritaires, interminoritaires et intracommunautaires ainsi que les relations externes et internes par rapport au pays, à la société d’origine et d’établissement (Bilge, 2004), influenceront de façon plus complexe l’agir dans le domaine socioéconomique. Il est donc important de préciser que les individus à l’intérieur des groupes ne formaient pas nécessairement une « communauté » avant leur migration, et que ce regroupement viserait à illustrer le processus par lequel les inégalités se déploient dans la société d’accueil (Fortin, 2002). Cette illusion d’unité des « groupes » constitue ainsi un enjeu essentiel dans la désignation des groupes d’immigrant(e)s (Labelle, 2006) qui permet de comprendre la complexité du processus d’intégration dans le contexte postmigratoire.

Plus récemment, il est possible noter que quelques études incluent l’analyse des divers types de capital dans les mesures d’avantages personnels (Potter, 1999 ; Tsukashima, 1985 ; Vega et autres 1991 ; Reitz et Sklar, 1997). Les ressources peuvent, dans cette vision, prendre une variété de formes, telles que le niveau d’éducation, les qualifications, l’expérience professionnelle, les compétences linguistiques (ressources de capital humain) ; les réseaux sociaux (ressources de capital social) ; l’argent et autres éléments productifs (ressources matérielles) ; la connaissance des coutumes du monde occidental ou « des pays du Nord » et les valeurs et croyances occidentales (ressources culturelles) ; ainsi que les éléments de personnalité (ressources psychologiques). Cependant, bien qu’il soit possible de trouver plusieurs recherches analysant d’autres types de ressources31, la présence féminine dans ces études est relativement peu traitée. En effet, les recherches sur les ressources culturelles des élites professionnelles32 tendent à se concentrer sur le répertoire culturel d’un individu : les valeurs, les coutumes et les croyances qui sont fortement corrélées avec le capital humain (Erickson, 1996 ; Nee, Sanders et Sernau, 1994).

Dans des études récentes, quelques chercheurs ont identifié des différences importantes dans les résultats de l’intégration socioéconomique de diverses catégories d’immigrantes qui n’ont pu être expliquées par les approches habituelles, telles que la perspective du capital humain et les variables démographiques. On dénote, par exemple, qu’un certain nombre de ressources et de facteurs au niveau personnel ont d’importantes implications pour les immigrants qualifiés, tels que la motivation d’une personne à travailler à l’étranger (Meijering et van Hoven, 2003). Beaverstock (1991) a identifié trois principales motivations individuelles qui influent sur la décision de travailler à l’étranger des immigrantes : la recherche de perfectionnement de leur carrière, le

31 À titre d’exemple, voir Abbott, 1989 ; Plage et Worswick, 1993 ; Bach et Argiros, 1991 ; Baker et Beaverstock, 2002 ; Benjamin, 1994 ; Borjas, 1990 ; Chiswick, 1992 ; Coulson et Devoretz, 1993 ; Goldlust et Richmond, 1974 ; Nogle, 1993 ; Bagagiste, 1965 ; Worswick, 1996.

32

Par exemple, il y a dans ces recherches, celles qui se concentrent sur la théorie des ressources culturelles de Bourdieu (1980), en démontrant l’importance de la connaissance des valeurs et des croyances libérales démocratiques occidentales (Pellegrino, 2003) et des « raccordements culturaux » (Fawcett 1989) qui facilitent l’intégration des travailleurs qualifiés (DiMaggio et Mohr, 1990 ; Hagan, 1994).

développement personnel et le désir d’un meilleur revenu financier. D’autres motivations comprennent le désir d’échapper aux conditions de vie défavorables, en particulier des pays en développement (Tzeng, 1995), et le désir de vivre à l’étranger (Amit-Talai, 1998).

Il est possible également de noter un certain nombre d’études qui considèrent qu’il y a des éléments culturels et personnels ayant une haute valeur symbolique qui jouent un rôle fondamental dans le processus d’intégration. Par exemple, Ho (2006) souligne le rôle de l’identité sociale, comme le sexe et l’appartenance ethnique, dans les trajectoires de carrière des travailleuses immigrantes en Australie. De même, des auteures comme Junankar, Paul et Yasmeen’s (2004), dans une étude en Australie, ont constaté que les compétences éducatives ne constituent pas une variable importante de l’intégration des immigrantes provenant d’Asie.

Robinson et Carey (2000), en étudiant le cas des femmes médecins indiennes au Royaume-Uni, ont souligné la nature « multicouches » et très complexe de cette migration. Leur étude a révélé que la migration en provenance de l’Inde évolue au sein de l’héritage colonial britannique en s’appuyant principalement sur l’aspect culturel de l’honneur. De même, Goss et Lindquist (1995) suggèrent que la compréhension des différents facteurs culturels joue un rôle central dans la compréhension de la façon dont la migration des compétences est différenciée selon d’autres critères que les compétences, tels que le sexe, la race et l’ethnicité. Dans une étude semblable, Bevelander (1999) a démontré l’impact visible de l’identité sociale des rôles comme l’âge, le sexe et l’appartenance ethnique sur les trajectoires de carrière des immigrés en Suède. Les niveaux d’emploi dans cette étude semblent être plus élevés chez les hommes mariés que chez les femmes, ceux-ci ayant peut-être une meilleure économie, à cause des pressions qu’ils exercent suite à l’appui de leurs familles dans ce pays.

Au Canada, les études de Gilles et Preston (2003), Man (2004) et Nedelcu (2005a) démontrent aussi l’importance de prendre en considération d’autres ressources pour affronter les contraintes sociétales et le marché du travail.