• Aucun résultat trouvé

D) Intégration professionnelle en voie ascendante

6.2.2. La dimension intersubjective des logiques d’action

Comme l’affirme Claudio Bolzman (1996), même lorsque les acteurs sociaux se trouvent dans des situations semblables au point de vue de leurs ressources, il existe des différences quant à la logique qui gouverne leur mobilisation. Dans ce sens, nous utiliserons, dans notre cadre d’analyse, la notion de logique d’action pour rendre compte de la façon selon laquelle les immigrantes sud-américaines définissent leurs stratégies d’intégration socioéconomique. Ainsi, nous tenterons de distinguer différentes logiques d’action autour desquelles se structure le choix d’une ou de plusieurs stratégies d’insertion sur le marché de l’emploi chez ces femmes.

Les logiques d’action sont associées au système de valeurs que l’individu définit socialement. À travers les pratiques individuelles, les récits de vie fournissent des renseignements sur les systèmes de valeurs, sur les normes et sur les principes organisationnels et les représentations sociales telles qu’elles sont intériorisées et négociées par les sujets. Ces logiques s’entrecroisent, c’est pourquoi il est difficile de les trouver à l’état pur dans un seul mode de vie. Pour construire l’analyse de ces logiques d’action, il nous semble important de définir d’abord la valeur sous-jacente à partir de laquelle se structure le mode de vie. Cette valeur est en lien direct avec le projet migratoire. En effet, ces femmes ont immigré en cherchant à atteindre des buts migratoires, il est donc compréhensible que leurs conduites soient orientées vers la réalisation de ces objectifs. Cependant, la façon d’agir n’a pas une structure linéaire. Plusieurs critères s’installent : la temporalité pour accomplir les buts, l’évolution des points de référence personnelle, familiale ou du groupe, les changements socioéconomiques sur le marché du travail, dans le contexte de réception, etc.

socioéconomique reprennent trois critères : la valeur sous-jacente à partir de laquelle se structure le mode de vie, qui est en lien direct avec le projet migratoire ; le délai établi pour accomplir les buts et les attentes, c’est-à-dire que les références de ces femmes peuvent bien se situer entre le passé, le présent et l’avenir ; l’état des ressources, qui influencera l’investissement en ressources culturelles et leur validité symbolique dans le pays d’accueil.

La plupart des femmes expriment, d’une manière ou d’une autre, une valeur principale autour de laquelle leur mode de vie s’organise et permet d’établir un projet migratoire (familial, d’émancipation personnelle ou d’autoaffirmation). Cependant, cela ne veut pas dire que leur trajectoire de migration peut avoir seulement un type de connotation. Les femmes interviewées sont plutôt centrées sur le présent et sur les problèmes auxquels il faut faire face pour atteindre les buts du projet migratoire. Il s’agit de vivre dans le présent en ayant toujours l’idée de ce qui va advenir, et en se référant toujours au mode de vie passé dans le pays d’origine, mais surtout en comptant sur le soutien des ressources disponibles.

Compte tenu du projet migratoire, des attentes et des ressources déployés, les logiques que nous avons pu trouver sur le terrain sont plus ou moins les suivantes :

La logique adaptative

Étant donné que la plupart des femmes ont généralement un projet migratoire d’établissement familial à long terme, les femmes de notre étude concentrent leurs efforts et leurs énergies sur les gains monétaires. Elles dirigent leurs attentes sur l’avenir de leurs enfants et, pour l’instant, le plus important est assurer les meilleures conditions de vie possible. Pour l’établissement, plusieurs d’entre elles ont apporté des sommes d’argent importantes, ont compté sur une aide financière de chez-elles et dépendent du temps de séjour à Montréal, ces revenus étant destinés à la satisfaction des besoins essentiels. Avec le temps, c’est une logique pratique qui s’est installée, mais en même

Ainsi, certaines femmes peuvent se sentir bien à Montréal sans nécessairement s’identifier totalement à la société de réception. Elles apprécient plusieurs aspects de la société d’accueil, comme le fait de se trouver dans une société ouverte et permissive par rapport à la mobilité sociale. Dans ce sens, il y a présence d’un discours nuancé sur la politique de migration et sur les Québécois en général : elles évaluent leur séjour de manière très rationnelle en s’appuyant sur les expériences positives qu’elles ont vécues dans le pays de réception et en pensant à s’installer « ici » définitivement.

La logique intellectuelle

Dans la logique intellectuelle, ce sont les études, la carrière et le projet personnel ou familial à venir qui occupent une place très importante dans la vie de l’immigrante. En mettant le plus d’efforts possible sur leurs études ou sur un poste requérant de bonnes qualifications, elles considèrent qu’améliorer leur position dépend de leur labeur personnel. Pour elles, le fait d’être indépendantes par rapport aux idées traditionnelles de leur entourage dans leur pays d’origine, par rapport à leur famille élargie ou aux systèmes basés sur l’injustice sociale est très important. Ainsi, entreprendre des activités quotidiennes, choisir des amis et la manière d’évaluer les autres personnes du cercle social suivront des critères d’ordre intellectuel. Ces femmes sont marquées par leur passé ou par le travail intellectuel qu’elles faisaient dans leur pays et elles ne voudraient pas perdre toutes ces ressources. Ainsi, c’est l’ensemble des valeurs placées dans le projet migratoire qu’elles veulent comprendre dans leur insertion socioprofessionnelle et dans leur vie à Montréal.

La logique émotionnelle

Bien que la réalisation des buts familiaux et personnels au niveau professionnel soit très importante, pour toutes, le désir d’être reconnues non seulement par leur entourage familial et par leurs amis, mais aussi par l’entourage social du contexte migratoire est indispensable. Ne pas pouvoir travailler dans leur domaine d’études, ne pas être reconnues à cause de leurs capacités ou vivre des expériences d’isolement malgré le fait

émotionnelles. Il est possible ainsi de constater que les attentes et les aspirations que les professionnelles sud-américaines avaient envers la société réceptrice au moment de partir de leur pays se confrontent à des images de la réalité qu’elles trouvent très difficiles à dépasser. Ainsi, après un certain temps dans la société d’immigration, plusieurs vivent un fort sentiment d’isolement ou même une énorme dépression nerveuse. Les différentes façons de réagir à cette situation sont de chercher l’appui de la famille, de l’aide psychologique, simplement de penser à la possibilité de rentrer ou d’essayer un autre projet migratoire dans un autre pays. Dans ce que nous avons trouvé, cette logique interagit fortement avec les autres, et l’utilisation de ressources personnelles et identitaires est l’élément clé pour affronter les difficultés et s’adapter au contexte postmigratoire. Ainsi, pour la plupart d’entre elles, s’identifier avec la recherche du bien-être de leur famille et se concentrer sur leurs relations affectives est la stratégie de contournement la plus utilisée pour faire face à la réalité.