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CONCEPTS ET MESURES

II.2. Notion de la ségrégation

II.2.3. Mesures de la ségrégation

Dans son livre: la ségrégation dans la ville (1994), Jacques Brun énonce que les objectifs de la mesure de la ségrégation répondent à deux grandes catégories de questions dont la première concerne le degré de la ségrégation d’un espace donné par rapport aux autres et la progression ou la régression de cette dernière dans cet espace. Quant à la deuxième, elle s’intéresse de vérifier le classement des unités spatiales selon qu’elles sont plus ou moins ségréguées. Ceci nécessite une rigueur mathématique dans l’étude des configurations spatiales qui détermine la composition sociale des unités élémentaires: étendue et localisation des regroupements entre unités similaires, dessin des limites. La recherche est réalisée par une comparaison de ces formes dans le temps et dans l’espace. « Il n’y a en réalité aucune incompatibilité entre ces deux familles de questions. Mais il se trouve que, parmi les instruments d’analyse les plus usuels, les uns répondent quasi exclusivement aux questions du premier type : ce sont les « indices de ségrégation » ; les autres- l’analyse factorielle et ses dérivés- répondent surtout à la deuxième série d’interrogation» (Brun J., 1994).

Pour répondre à la première catégorie de questions, des outils d’analyse usuelle, qui permettent d'évaluer sa distribution dans l'espace urbain et dont l'origine remonte à l'école de sociologie urbaine de Chicago, dans les années 1920. Dans cette période, Burgess a énoncé la ségrégation résidentielle pour la première fois; celle de la compétition des groupes ethniques (juifs, italiens, polonais, noirs…) pour l'occupation de l'espace de la ville et puis réintégrée

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76 dans l’analyse de la différenciation sur une base économique et culturelle pour expliquer la croissance de la ville.

Le recours à des indices constitue l’une des premières étapes dans cette histoire de la mesure de la ségrégation résidentielle. Après-guerre, Duncan et Duncan (1955) proposent leurs indices de dissimilarité des groupes selon des critères sociaux. Auxquels on peut rattacher les indices de «ségrégation» et de «redistribution». En effet la guerre des indices est déclenchée en 1946 par un groupe de sociologues de l’Université de Washington (Seattle).

O.D. Duncan et B. Duncan, chercheurs du département de sociologue de l’Université de Chicago, apportent les arguments les mieux construits en faveur de l’indice le plus efficace, l’indice de dissimilarité. (Rhein C., 1994). Des indices complémentaires ont été proposés afin de mesurer d'autres facettes de la ségrégation. Les sociologues Douglas Massey et Nancy Denton proposent en 1988 cités par J. M. Wachsberger et al., en 2015, de considérer la ségrégation comme un phénomène comprenant cinq dimensions : égalité, exposition, concentration, agrégation et centralisation, pour rassembler la totalité de ce qu’on appelle la « ségrégation ».

Indice d’égalité (evenness) :

Il s’agit de l’indice de ségrégation ou de dissimilarité qui est la somme des différences entre la proportion d’un groupe considéré comme vivant dans chaque quartier et la proportion du reste de la population (ou d’une autre population) vivant dans les mêmes quartiers. Il peut s’interpréter comme la proportion de personnes d’un groupe devant déménager pour assurer une égale répartition de cette population dans les différents quartiers.

Indice d’exposition (exposure) :

C’est l’indice d’isolement ou d’interaction qui est la somme des produits de la part d’un groupe considéré vivant dans chaque quartier par la proportion d’habitants du quartier qui ne sont pas du même groupe. Il peut s’interpréter comme la probabilité pour un individu donné d’entrer en contact, au sein de son quartier, avec un individu d’un autre groupe.

Indice de concentration (concentration) :

Il calcule la différence entre le rapport de la population du groupe dans l’unité spatiale sur la population du groupe dans la ville et le rapport de l’aire de l’unité spatiale sur celle de la ville. Il varie de 0 à 1 et peut s’interpréter comme la proportion du groupe qui devrait déménager afin d’obtenir une densité uniforme à travers toutes les unités spatiales.

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Indice de regroupement spatial (clustering) ou agrégation spatiale:

Il exprime le nombre moyen d’individus d’une unité spatiale d’un groupe comme une proportion totale des unités spatiales environnantes. L’indice de regroupement absolu varie de 0 à 1 et peut s’interpréter comme la proportion d’un groupe considéré regroupée dans des zones de forte concentration.

Indice de centralisation (centralization) :

Il exprime la proportion d’un groupe qui réside dans le centre-ville. L’indice de centralisation absolue peut s’interpréter comme la part d’un groupe qui devrait déménager afin d’obtenir une densité uniforme du groupe autour du centre de la zone d’étude. (Massey et Denton, 1988 cité par Wachsberger J. M. et al., 2015). La centralisation est un composant de la ségrégation spatiale. Elle est différente d’une ville à l’autre. Autrement dit la présence d’un noyau historique, sa proximité révèle l’opportunité variée d’emploi et de services.

L’éloignement du centre est qualifié comme la composante de la ségrégation spatiale.

L’approche de la ségrégation revient à l’analyse de l’inégalité d’accès à la ville en termes d’emploi et d’aménités urbaines (Joseph Isaac et Grafmeyer Yves, 2009 cités par Nguyen Q., 2014). La quantification de l’éloignement est mesurée soit en termes de : temps d’accès ou distance (selon la disponibilité des données existantes).

Ces indices permettent le calcul de la mesure de la ségrégation, mais ne concrétisent pas une réponse claire à cette dernière. Avec l’avènement des systèmes d’information géographique, de nombreuses améliorations et raffinements ont été apportés à ces indices de sorte que tout praticien peut désormais choisir entre une multitude de façons de mesurer la ségrégation. Par exemple le travail d’Apparicio Philippe en 2000 qui a développé un outil informatique « seg.mbx » dans Mapinfo pour cartographier le degré de ségrégation à travers le quotient de localisation (une mesure d’égalité) et l’indice d’entropie (une mesure d’exposition). (Apparicio P., 2000). Un autre travail de Trivadar et al., en 2014, présentant l’interface internet OASIS (Outil d’Analyse de la Ségrégation et des Inégalités Spatiales) permettant de faciliter des indices de ségrégation. (Nguyen Q., 2014).

L’analyse multivariée est souvent présentée dans la littérature comme une réponse efficace à la deuxième catégorie de questions. Dans la littérature américaine la formation des ghettos ou des « poches de pauvreté » dans la littérature européenne. Cette ségrégation est liée en partie à l’ethnicité dans le traitement de la première catégorie de questions. Cette méthode d’analyse présente plusieurs avantages et particulièrement celui de la multidimensionnalité,

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78 qui rend l’analyse plus lisible via la possibilité de cartographier les résultats. La méthode de l’analyse factorielle est une analyse multivariée, se divise aujourd’hui en deux méthodes:

l’analyse en composantes principales (ACP) et l’analyse factorielle des correspondances (AFC). Cette analyse offre la possibilité de cartographier les coordonnées des unités sur les axes factoriels, ce qui facilite la lecture des données initialement invisibles. L’AFC met en évidence des proximités de structure (valeur relative) tandis que l’ACP révèle celles de niveau (valeur absolue) entre individus. (Nguyen Q., 2014).

Il semble également très important de se tourner vers la recherche qui a explicitement donné son point de départ dans l’espace lui-même. Des géographes comme Harvey (1996) et Le soja (1989, 1997, 2000), par exemple, ont été les plus influents dans le débat sur les questions sociales ces dernières années, introduisant et soulignant l’importance de leur dimension spatiale pour un public plus large. Les écrits de Lefebvre sur l’espace (1974) constituent de solides fondements philosophiques pour bon nombre d’entre eux. L’analyse spatiale a également connu un développement rapide en ce qui concerne son côté plus analytique, où le développement du SIG a été déterminant. Les données géographiques peuvent maintenant être analysées en quantités et à une vitesse très rapide. (Marcus L., 2007).

Néanmoins, à la micro-échelle du comportement humain dans l’espace urbain, il existe des problèmes descriptifs qui entravent l’application réussie des outils puissants présentés par le SIG (Talen, 2003). À cette échelle, les unités géographiques traditionnelles, telles que les zones ou les centres de gravité, s’avèrent souvent trop grossières. C’est précisément là que la recherche sur la syntaxe spatiale, avec ses racines dans la morphologie architecturale et urbaine, s’est avérée si réussie, tant en ce qui concerne le développement de nouveaux moyens descriptifs, tels que la carte axiale, saisir la micro-échelle du comportement humain et élaborer des théories sur la relation entre les systèmes spatiaux tels que les bâtiments et les villes, et la vie sociale. (Hillier et Hanson, 1984) et (Hillier, 1996). (Marcus L., 2007).

Dans son travail « Progress in Planning », Laura Vaughan (2007) a montré comment la syntaxe spatiale peut être utilisée comme cadre analytique pour étudier l'espace en tant que dimension de problèmes sociaux tels que la ségrégation. Pour Vaughan, la forme spatiale peut être un facteur intervenant dans ce type de problèmes urbains. Plutôt que d’être un «concept flou», qui ne peut être catégorisé qu’en termes sociaux, économiques ou ethniques, il a été montré que la ségrégation était une fonction mesurable de la forme urbaine des villes.

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79 Bill Hillier et Laura Vaughan (2007) ont fourni un modèle explicatif, de la façon dont les villes s’adaptent aux différences en organisant des modèles d’accessibilité selon le degré de coprésence requis par l’activité contenue dans chaque espace, un facteur clé dans les processus d’auto-organisation qui font des villes ce qu’elles sont. La théorie logique en deux échelles de Hillier et al (1993), constitue le «moyen de relier le local au global et de réaliser cette compression des échelles, le sentiment d’être dans un endroit localement identifiable et fait partie d’un système global beaucoup plus vaste, à la fois». (Hillier et al., 1993).

Lars Marcus (2007) a montré que, lorsque l’espace public est conçu pour être ségrégué plutôt que de faire naturellement partie d’un réseau intégré de rues, il peut avoir de profondes répercussions sur la capacité des résidents à tisser des liens sociaux entre eux et à travers la ville. Puis Ruth Conroy Dalton a montré que dans les zones de logement sous forme de labyrinthe, peut développer naturellement de nouveaux modèles de mouvement, et peut augmenter une participation sociale et économique, en réduisant la ségrégation spatiale.

Selon Laura Vaughan (2007), les décisions en matière de conception et de planification peuvent avoir un effet parfois inattendu sur des problèmes tels que l'isolement social et la ségrégation économique. Elle a prouvé que l’organisation des zones défavorisées avec des changements judicieux dans l’utilisation et la classe du sol entre chaque face du bloc de la ville peuvent aider à contrôler la mixité de la variété des cultures et des classes à une échelle fine, de manière à ce que l’interdépendance des gens qui composent les villes soit maintenue par la proximité, sans aucune ressemblance. Dans une certaine mesure, les idées actuelles, comme le bloc urbain à usage mixte, suivent ces principes.

Lars Marcus (2007)a mis l'accent sur l'importance d'intégrer l’espace public des quartiers.

Tandis que Ruth Conroy Dalton (2007) a montré comment une perspective alternative sur le transport intégré peut conduire à des solutions à l'exclusion sociale et la ségrégation économique. Il est évident que la politique des transports doit tenir compte de la contribution potentielle des itinéraires piétonniers intégrés (mais pas nécessairement piétonniers) ainsi que des petits espaces publics et des parcs (Greenhalgh et Worpole, 2002) dans le renouvellement urbain. Marcus affirme que les mesures prises, pour faire face à la ségrégation, sont critiquées pour être inefficaces. La dimension spatiale de la ségrégation sociale est une dimension particulière à cette problématique. La ségrégation est évidemment un concept spatial par nature. Jose Julio Lima en 2001, propose et explique que l'étude de la forme urbaine est facilitée par certaines analyses spatiales comme celle de la syntaxe spatiale qui permettent une évaluation détaillée de la forme urbaine des villes entières. Aussi, il a fait valoir que la notion

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80 de la ségrégation socio-spatiale devrait être étudiée et enrichie par l'analyse de la forme urbaine. Cette dernière est utilisée dans son travail de recherche pour désigner la forme physique de l'espace public urbain de la ville, que nous accordons une grande importance dans notre travail de recherche et que le rôle de la structure de l’espace public urbain a souvent été sous-estimé dans des analyses antérieures de la ségrégation. La ségrégation a une dimension spatiale inhérente qui nécessite une analyse plus détaillée, à l’échelle de l’espace public urbain.

L’analyse de l’intégration, traite de l’analyse de l’espace urbain proprement dit, en ce sens que ce qui est analysé est l’accessibilité à l’espace urbain en lui-même sans tenir compte du « contenu » de l’espace, comme la population résidentielle, le commerce de détail ou les arrêts d’autobus. Il y a un point important à cette approche, puisque la différenciation de l’espace en tant que système en soi, en dehors de son « contenu », est rarement faite avec une certaine cohérence dans l’analyse urbaine. En même temps, ce que nous recherchons souvent dans l’analyse urbaine, c’est l’accessibilité à un contenu particulier dans l’espace urbain, comme ceux mentionnés ci-dessus. Dans l’analyse de la syntaxe spatiale, la carte axiale est utilisée comme un gabarit de distance à ce contenu. Il est ainsi possible d’analyser non seulement l’accessibilité à d’autres espaces, mais aussi l’accessibilité à des contenus spécifiques dans l’espace. Il est plus productif de décrire l’accessibilité réciproque entre les résidents plutôt que simplement leur emplacement géographique.

L’espace public urbain en tant que médiateur peut mettre les résidents dans des relations différentes aux attractions, telles que les services publics et privés, qui peuvent également être considérés comme un aspect de la ségrégation sociale. (Marcus L., 2007)