Outre la mesure d’´equilibre et les mesures stationnaires qui interviennent
dans le probl`eme du comportement en temps long dans l’´equation de
Fokker-Planck libre, on introduit la notion de mesure critique, d´efinie dans [MFR].
D´efinition 7.1. Soit Dun sous-ensemble ferm´e deCet soitV :D→Cun
potentiel analytique. On d´efinit
˜
Σ
V:µ7→
ˆ
DReV(z) dµ(z)−
¨
D×Dln|z−t|dµ(z)dµ(t).
Une mesure critique associ´ee `a V est une probabilit´e µ sur D telle que
˜
Σ
V(µ)<+∞ et telle que pour toute fonction h:D→Cassez r´eguli`ere, la
quantit´e
D
hΣ˜
V(µ) = lim
s→0˜
Σ
V(µ
h,s)−Σ˜
V(µ)
s
est nulle, o`uµ
h,sd´esigne la mesure-image deµpar la d´eformation de
l’iden-tit´ez7→z+sh(z), s∈C.
L’int´erˆet des mesures critiques provient du lemme suivant.
Lemme 7.2 (voir [MFR, Lemme 3.7]). Avec les notations ci-dessus, on a
D
hΣ˜
V(µ) = Re
ˆ
V
′(z)h(z) dµ(z)−
¨
h(z)−h(t)
z−t dµ(z)dµ(t)
.
Ainsi, pour un potentiel V d´efini sur D = R et une probabilit´e µ `a
support dansR, la condition de la d´efinition 7.1 est ´equivalente `a l’´equation
d’Euler-Lagrange (7.4). Par cons´equent, les mesures critiques r´eelles,
c’est-`
a-dire `a support inclus dans R, sont exactement les mesures stationnaires.
Afin d’identifier les mesures stationnaires de l’´equation de Fokker-Planck
libre, on peut donc employer les outils permettant d’identifier les mesures
critiques dans la litt´erature.
Remarque. En g´en´eral, plusieurs mesures critiques peuvent exister mais il
n’y a qu’une mesure d’´equilibre. C’est le cas par exemple pour un potentiel
satisfaisant les conditions donn´ees dans [BS4, Section 7.1], voir ´egalement la
proposition 7.10 (iii). Un point-cl´e dans la d´emonstration du th´eor`eme 1.9
est justement de montrer que pour le potentiel quartique (7.1) avecc≥ −2,
il n’y a pas d’autre mesure critique que la mesure d’´equilibre.
L’´enonc´e suivant regroupe les propri´et´es des mesures critiques r´eelles les
plus importantes qui sont utilis´ees dans la suite. Il repose essentiellement
sur le fait que la transform´ee de Stieltjes d’une mesure critique est solution
d’une ´equation alg´ebrique. On rappelle que la transformation de Stieltjes est
d´efinie par (A.1).
Proposition 7.3(voir [KS, HKL]). SoientV un polynˆome etµune mesure
critique `a support r´eel.
(i) Il existe un polynˆome R de degr´e 2 deg(V)−2 tel que
R(z) =
1
2V
′(z)−G
µ(z)
2(7.5)
presque partout pour la mesure de Lebesgue sur C. De plus, on a
R(z) = 1
4V
′(z)
2−
ˆ
RV
′(x)−V
′(z)
x−z dµ(x). (7.6)
(ii) Toute racine non r´eelle de R est de multiplicit´e paire.
(iii) Le support de µ est une r´eunion finie d’intervalles reliant les z´eros
de R.
Le point (i) est une combinaison de la proposition 3.7 et de la formule
(3.31) de [KS]. Le point (ii) est une cons´equence imm´ediate de l’analyticit´e
de la transform´ee de Stieltjes, voir [HKL, Lemme 2.6]. Enfin, le point (iii)
est issu de [KS, Proposition 3.9].
Une mesure critique µ est en fait compl`etement d´etermin´ee par le
po-lynˆomeR associ´e. Chercher les mesures critiques revient donc `a d´eterminer
tous les polynˆomes R possibles. Pour le potentiel quartique et d’autres
po-lynˆomes constitu´es de peu de monˆomes, il est possible de proc´eder de cette
mani`ere (voir [MFR, HKL] pour des exemples). Cependant, pour le
poten-tiel quartique, le polynˆomeRsera utilis´e uniquement afin de montrer qu’une
mesure critique a un support connexe. En effet, on verra dans la section 7.3
que dans ce cas, on peut retrouverµ simplement en r´esolvant une ´equation
int´egrale singuli`ere.
Proposition 7.4. Pour le potentiel V(x) =
14x
4+
2cx
2avec c≥ −2, toute
mesure critique r´eelle a un support connexe.
D´emonstration. Soitµune mesure critique dont le support est inclus dans
R. D’apr`es (7.6), le polynˆomeR associ´e `a µd´efini par (7.5) est ´egal `a
R(z) = 1
4z
6+c
2z
4+1
4(c
2−4)z
2−
ˆ
xdµ(x).z−
ˆ
x
2dµ(x)−c .
On ne peut pas trouver les racines de ce polynˆome car on ne connaˆıt pas
les deux premiers moments de µ. Toutefois, il est possible de compter ses
racines r´eelles en appliquant la r`egle des signes de Descartes, qu’on rappelle
ci-dessous.
Lemme 7.5 (R`egle des signes de Descartes). Soit
un polynˆome `a coefficients r´eels. On note p, resp. q, le nombre de
change-ments de signes dans la suite (a
n, . . . , a
1, a
0), resp. ((−1)
na
n, . . . ,−a
1, a
0),
dans laquelle les z´eros ont ´et´e retir´es. Alors, le nombre de racines
stricte-ment positives, resp. strictestricte-ment n´egatives, de P est major´e par p, resp. q,
et a la mˆeme parit´e quep, resp. q.
Par exemple, dans le cas o`u−2≤c≤0 et o`u les quantit´es ´
xdµ(x) et
´
x
2dµ(x) +csont positives, la suite des signes des coefficients ordonn´es du
polynˆomeRest
≪+−−++
≫donc, d’apr`es la r`egle des signes de Descartes,
R poss`ede 0 ou 2 racines strictement positives. De mˆeme, en consid´erant le
polynˆomeR(−z) avec les mˆemes valeurs des param`etres, on obtient la suite
de signes
≪+− − −+
≫doncR admet 0 ou 2 racines strictement n´egatives.
Au total,R poss`ede donc 0, 2 ou 4 racines r´eelles non nulles.
La distinction de tous les cas possibles est r´esum´ee dans le tableau 7.1.
Valeur
de c
Signe de
´
xdµ(x)
Signe de
´
x
2dµ(x) +c
Signes
dans R
Racines
>0 de R
Racines
<0 deR
−2≤c≤0
+ + +− −+ + 0 ou 2 0 ou 2
+ − +− −+− 1 ou 3 1
− + +− − −+ 0 ou 2 0 ou 2
− − +− − − − 1 1 ou 3
0≤c≤2 + + + +−+ + 0 ou 2 0 ou 2
− + + +− −+ 0 ou 2 0 ou 2
c≥2 + + + + + + + 0 0 ou 2
− + + + +−+ 0 ou 2 0
Table7.1 – Application de la r`egle des signes de Descartes.
Ainsi, quelle que soit la valeur de c ≥ −2 et quels que soient les signes
des quantit´es ´
xdµ(x) et ´
x
2dµ(x) +c, le polynˆome R admet 0, 2 ou 4
racines r´eelles non nulles.
Par ailleurs, toute racine non r´eelle deRest de multiplicit´e paire d’apr`es
la proposition 7.3 (ii). Puisque R poss`ede 6 racines, cela signifie que la
multiplicit´e de 0 est n´ecessairement paire.
– Si 0 n’est pas racine de R, alors R poss`ede au plus 4 racines r´eelles,
donc au moins 2 racines non r´eelles conjugu´ees. Or, d’apr`es la
propo-sition 7.3 (ii), toute racine non r´eelle est au moins une racine double,
doncR admet en fait au plus 2 racines r´eelles. D’apr`es la proposition
7.3 (iii), le support de µest donc connexe dans ce cas.
– Si 0 est racine deR, alors c’est au moins une racine double. Alors,Rest
explicite et on aR(z) =
14z
2(z
2+c+ 2)(z
2+c−2). Ceci est impossible
lorsque c > −2 d’apr`es la proposition 7.3 (ii). Quand c = −2, cela
donne R(z) =
14z
4(z−2)(z+ 2), donc d’apr`es la proposition 7.3 (iii),
le support de µest [−2,0], [0,2] ou [−2,2].
Dans les deux cas, on a montr´e que le support deµ est connexe.
Dans le document
Grandes d´eviations de matrices aléatoires et équation de Fokker-Planck libre
(Page 153-156)