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Mesurer les collaborations à l’aide de la bibliométrie 2.2

Tel que démontré précédemment, la collaboration peut prendre plusieurs formes et mener ou non à des extrants mesurables, ce qui rend difficile de mesurer les collaborations à l’aide d’une

méthode unique (Lundberg et al., 2006). Plusieurs méthodes sont utilisées à travers les différents secteurs technologiques pour mesurer l’étendue des collaborations. Une méthode fréquemment utilisée dans la littérature est la bibliométrie (Abramo et al., 2009; Butcher et Jeffrey, 2005; Meyer et Bhattacharya, 2004; Subramanyam, 1983). La bibliométrie se définit comme l’étude des publications via le décompte et l’analyse de ses diverses facettes à l’aide d’outils mathématiques et statistiques (Pritchard, 1969). L’analyse des publications permet d’analyser la production d’articles scientifiques, les collaborations et l’identification de joueurs clés. Le décompte des articles scientifiques et de citations sert souvent d’analyse préliminaire dans l’étude complexe des mécanismes de production et de transferts de connaissances (Verbeek et al., 2002; Tijessen, 1992). Les rapports de recherches, les livres, les rapports de congrès et les articles scientifiques représentent les données principalement utilisées dans les études bibliométriques. La quantification de la science par ces paramètres peut se faire en fonction de plusieurs éléments, qui ont été définis par Tijessen (1992) comme étant : l’ordre de grandeur (nombre de publications), le processus de transferts et la diffusion (citations) et la structure de réseaux (co-auteurs). L’analyse des cosignataires permet aussi d’identifier certains réseaux de collaboration et les flux de connaissances entre les différents acteurs du système (Gauthier, 1998).

La collaboration scientifique entre deux ou plusieurs auteurs permet l’échange d’idée, de connaissances, d’expertise et de ressources afin d’atteindre des objectifs communs (Katz et Martin, 1997). Ces collaborations émergent fréquemment, et sont aussi maintenues, via les réseaux scientifiques et sociaux (Sonnenwald, 2007). Glanzel et Schubert (2004) ont d’ailleurs remarqué que les co-publications sont parmi les données les plus facilement accessibles et représentatives de la collaboration scientifique. Les co-publications d’articles scientifiques démontrent entre autres cette activité d’échanges de connaissances qui est un déterminant important dans la production de nouvelles connaissances. Plusieurs chercheurs ont d’ailleurs identifié l’étude des co-publications comme une méthode fiable de l’analyse des collaborations scientifiques (Abramo et al., 2009; Butcher et Jeffrey, 2005; Meyer et al., 2004; Subramanyam, 1983). Un bon nombre d’études a en effet conclut en une relation positive entre les co- publications et les activités collaboratives (Glanzel et Schuberts, 2004; Bordons et al. 2013). Une étude effectuée par Lee et Bozeman (2005) concernant les scientifiques américains a démontré que le nombre total de publications était positivement corrélé avec le nombre de collaborations. Il faut cependant demeurer prudent avec les résultats obtenus considérant le manque de résultats

couvrant plusieurs disciplines et le peu de considérations accordées aux effets externes influençant le nombre de publications comme l’âge, le statut du chercheur, son financement, etc. Les données bibliométriques permettent tout de même l’analyse de plusieurs paramètres liés aux co- publications, par exemple le nombre de co-publications, le nombre de collaborations, les types d’organisations collaboratrices (secteurs public et privé), les collaborations avec des organisations étrangères, etc. Bien que les co-publications ne soient qu’une mesure partielle de la collaboration puisqu’elle ne prend pas en compte toutes les autres collaborations ne résultant pas en une publication, il n’en demeure pas moins que cette source de données est facilement accessible et donne une bonne indication des activités scientifiques effectuées en collaboration. Il faut également être prudent dans l’analyse des co-publications en ce qui a trait à l’attribution d’effort et de reconnaissance, et ce, particulièrement lorsqu’il est question de quantifier la productivité et de l’associer à une forme de récompense (Bennett et Taylor, 2003; Shapiro et al., 1994). En effet, la contribution de certains co-auteurs peut être minime et ainsi donner un effet de distorsion entre la contribution et la mesure de productivité. Tel que souligné par Shichijo et Baba (2007), l’utilisation de la bibliométrie pour mesurer les collaborations université-industrie ne permet pas de couvrir tous les aspects de la collaboration puisque les publications sont un sous-produit et non un résultat direct. Les publications ne sont également pas une priorité pour l’industrie, qui tendra à concentrer ses ressources vers d’autres activités. Cependant, les publications représentent souvent la seule source de donnée systématique de la recherche collaborative université-industrie. Il y a plusieurs types (formes) de collaboration université- industrie et il est difficile de généraliser; ce genre d’analyse est généralement limité au secteur étudié (Shichijo et Baba, 2007). De plus, les publications ne représentent pas les différents niveaux d’interactions et l’impact sur les autres secteurs n’est habituellement pas mesuré dans une recherche bibliométrique définie par mot-clés (Vindican et al., 2009). Les conclusions d’analyses bibliométriques doivent donc être utilisées avec prudence. Afin d’évaluer l’utilisation de co-publication comme mesure des collaborations, Lundberg et al. (2006) ont comparé les données de co-publication impliquant des auteurs des secteurs universitaires et privés, avec les données de financement industriel en recherche. Les auteurs ont dénoté très peu de chevauchement entre les résultats obtenus. Ceci étant dit, la simple combinaison des deux méthodes ne serait pas non plus suffisante, car encore une fois, des collaborations n’impliquent pas automatiquement une publication ou encore un financement industriel. Ils suggèrent l’ajout

de données supplémentaires provenant de sondages afin de mieux comprendre les mécanismes de collaborations.

Analyse des réseaux de co-publication

L’analyse des réseaux sociaux (Social network analysis) est une méthode utilisée pour représenter les structures sociales et identifier les habitudes et tendances en matière d’interactions entre des groupes ou des individus. Cette méthode permet également d’identifier la présence d’acteurs hautement connectés, de gardiens, de ponts pour combler les trous structuraux, etc. (Wasserman et Faust, 1994). Dans un réseau social de co-publication, les nœuds représentent des auteurs, groupes d’auteurs ou organisations et les liens représentent les connexions; deux nœuds liés l’un à l’autre sont un lien de co-publication. Newman (2001a, 2001b, 2004) a appliqué l’analyse de réseaux de co-publication à différents secteurs d’activité afin d’étudier les patrons de collaborations en utilisant plusieurs indicateurs comme le nombre de publications, le nombre de co-publications et la distance entre les nœuds. L’analyse des réseaux sociaux permet d’identifier les structures de collaboration d’un secteur d’activité ciblé (Abbasi et al., 2011a, 2011b; Jansen et al.,2010), l’évolution des pratiques collaboratives dans le temps (Grossman, 2002; Newmann, 2001c; Barabasi et al., 2002), la position centrale de certains acteurs (Newman 2001b; Holme et al., 2002; Goh et al., 2002), etc. Les réseaux de co-publication permettent d’aborder l’étude des collaborations scientifiques sous plusieurs angles, de l’approche micro via l’étude de la position d’un auteur dans un réseau donné, à l’approche méso en étudiant certains regroupements et grappes, ou encore par une approche plus globale d’un secteur d’activité ou d’un système national d’innovation.

Arif et al. (2012) ont effectué une étude du secteur des sciences informatiques en Inde en utilisant les métriques des réseaux sociaux construits avec les co-publications afin de déterminer les tendances de collaborations entre les organisations. Les auteurs ont pu identifier avec succès certaines structures de collaborations au sein de la communauté scientifique. Abbasi et Altmann (2011) ont également étudié les réseaux de collaborations et ont pu déterminer que les mesures de degré de centralité et d’intermédiarité des réseaux de co-publication étaient positivement corrélées avec la performance des auteurs. Ils ont aussi démontré que la collaboration d’un auteur avec un autre auteur lié à plusieurs co-auteurs menait à une meilleure performance que plusieurs collaborations avec le même groupe d’auteur. Les réseaux et leurs métriques leur ont

aussi permis d’identifier les auteurs avec des positions stratégiques favorisant la productivité, les trous structuraux et les auteurs qui font le pont entre les divers regroupements de co-auteurs. Finalement, plusieurs études ont démontré des corrélations positives entre les mesures de centralité des réseaux de co-publication, le décompte de citations ainsi que la productivité scientifique. (Yan et Ding, 2009; Hou et al., 2008). Deux principales lignes de pensées émergent de la littérature quant aux stratégies de co-publication. Basée sur les fondements théoriques du capital social (Bourdieu, 1985; Portes, 1998), l’une d’elles stipule l’importance d’une forte proximité avec de forts liens entre les collaborateurs d’une communauté (réseau A Figure 2-5) et l’autre préconise une plus grande diversité de collaborateurs avec des liens plus faibles où des auteurs agiront comme pont entre diverses communautés d’auteurs (réseau B Figure 2-5). Ainsi, Colemann (1988) met de l’avant des bénéfices de la première, comme quoi une structure à forte cohésion, sous forme de clique, facilitera la collaboration et augmentera la productivité, de par la confiance qui s’établit entre les auteurs collaborant tous ensemble. La seconde stratégie est préconisée par Burt (1992) qui y va de la prémisse qu’il y a davantage de bénéfices lorsqu’il y a une diversité de liens pour l’accès à des connaissances, idées et projets multiples variés. Selon Burt (1995), l’information partagée par une communauté avec un haut coefficient de clique devient redondante et peut rendre le réseau inefficace. La présence de trous structuraux et de collaborateurs variés donneront accès à une plus grande variété d’informations; le potentiel innovant est donc plus grand et la performance accrue.

Figure 2-5: Type de stratégie de collaborations

Dans un même ordre d’idée, l’analyse de structure de petit-monde est utilisée afin de mesurer la connectivité des nœuds dans un réseau. Le phénomène de «six degrés de liberté » séparant un ensemble a d’abord été popularisé par Milgram (1967). Le concept, émis et vérifié par Korte et Milgram (1970), voulant que deux individus sélectionnés au hasard soient connectés par une série d’individus est maintenant accepté comme l’effet de petit monde (small-world effect). Une structure de petit monde est représentée par la présence de connexion dense entre certains nœuds

voisins (cliques) entrecoupés par certains liens entre un nombre réduit de nœuds connectant avec des cliques plus lointaines (White 1970). Watts et Strogatz (1998) ont quant à eux proposé un modèle d’analyse de réseau mettant en relation le coefficient de clique et la distance moyenne des chemins séparant deux nœuds. Un réseau est alors comparé à un réseau aléatoire composé du même nombre de nœuds et de liens afin d’observer la structure des liens du réseau étudié. En d’autres mots, la formation de clique est similaire à un réseau régulier très connecté et une distance moyenne similaire à un réseau aléatoire. La Figure 2-6 présente trois types de réseaux afin de dépeindre la structure de petit monde se trouvant entre un réseau à forte densité de connexion et un réseau aléatoire.

Figure 2-6: Structures de réseaux (Watts et Strogatz, 19998)

Le modèle fut depuis appliqué à plusieurs secteurs d’activité, notamment l’évolution d’internet (Yook et al. 2002; Albert et al. 1999). Newman (2001a, b, c) a étudié les co-publications dans diverses disciplines et a observé une structure de petit monde pour chacune d’entre elles et a conclu que cette structure influençait positivement les transferts de connaissances au sein des secteurs d’activité. Fleming, Kling et Juba (2007) en sont venus à la même observation dans l’étude des brevets. Ces caractéristiques voulant que le réseau présente une forte proximité aux nœuds voisins tout en ayant également une forte connexion globale avec les nœuds éloignés maximiseraient ainsi l’efficacité du flux d’information (Marchiori et Latora, 2000; Watts et Strogatz, 1998). Ceci rejoint les concepts discutés plus tôt voulant qu’un réseau de voisins confère des bénéfices (réseau de cohésion) tout comme l’accès à des nœuds plus éloignés pour l’accès à d’autres types d’information et une meilleure diffusion. Un acteur pouvant ainsi être bien connecté avec ses voisins tout en ayant des liens avec des nœuds éloignés et d’autres cliques maximiserait sa performance. Cet indicateur est donc intéressant afin d’analyser la structure des

réseaux en spatial et valider si une structure de petit monde est présente afin de maximiser les bénéfices qu’une telle structure puisse apporter.

Contexte spatial