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une mesure de détention peu perçue comme juste

ii. l’incompréHension majoritaire de la durée de la détention préventive

2. une mesure de détention peu perçue comme juste

Au-delà de la compréhension globale de la nature même de la mesure de détention préventive, le questionnaire

cherchait aussi à évaluer la perception de cette mesure par la personne prévenue par rapport à son propre dossier. La question 24b. demandait en ce sens

à estimer si le placement en détention préventive était considéré comme juste. Les résultats entre MAC à cette question apparaissent particulièrement contrastés.

Si au total, sur 195 réponses valides, 72% des personnes interrogées ne considèrent pas le placement en détention préventive comme juste,

on relèvera des taux entre 88 et 100% de réponses

négatives dans les MAC de Soubré, Toumodi et Grand-Bassam, alors que les MAC d’Adzopé, Abengourou et Agboville descendent respectivement à 60, 63 et même 27% de réponses négatives. Les questionnaires ayant été administrés par plusieurs bénévoles dans chacune des MAC afin de limiter les biais, la forte

différence entre les extrêmes demande à investiguer le fonctionnement propre aux administrations pénitentiaire et judiciaire locales afin d’en comprendre l’écart.

focus

- 76,5% des prévenu.es ne sont pas en capacité d’expliquer la notion même de détention préventive. - 78% des prévenu.es ne sont pas en capacité d’expliquer pourquoi leur détention préventive dure.

- Seul.es 4,2% des prévenu.es corrèlent expressément détention et jugement dans leur définition de la détention préventive.

estimez-vous que ce soit juste que vous soyez placé.e en détention préventive ? 0 20 40 60 80 100 Aben gouro u Abidj an Adzo Agbo ville Boua Daloa Grand -Bass am Sassa ndra Soub Toum odi Total 63% 79% 60% 77% 67% 100% 73% 89% 88% 72% 0% 0% 0% 7% 0% 6% 0% 0% 0% 0% 1% 37% 21% 40% 67% 23% 28% 0% 27% 11% 12% 27% NSP NON OUI 27%

dépouillement de la grille tHématique

« Absence de caractère juste de la détention préventive »

Les pourcentages expriment la proportion des répondants ayant cité chacun des thèmes (deux thèmes maximum par réponse). Sur 224 observations, 132 ont une réponse effective (58,9 %) et 132 ont été codées.

20 Ces commentaires ont donc été exclus de l’analyse textuelle présentée ci-dessous relative aux commentaires formulées à la suite d’une première réponse négative.

21 « Oui, comme j’ai tué, il est mort. » ; « Oui parce que je reconnais les faits. » ; « Je suis responsable de l’infraction pour laquelle je suis en prison. »

22 « Oui, c’est la loi, ce sont les enquêtes que doivent déterminer la culpabilité. » ; « Oui en attendant que je sois situé sur les faits. » ; « Oui, la justice doit être faite. »

23 « Oui mais la durée n’est pas normale. »

24 « Oui. Mais ensuite: Parce que depuis je ne suis pas jugé et puis on m’accuse injustement. »

Les personnes ayant répondu négativement à la question étaient ensuite invitées à expliquer leur réponse. On relèvera ici que huit personnes ayant répondu qu’elles estimaient leur placement en détention juste ont toutefois aussi formulé un commentaire20. Sur cet échantillon très restreint cependant, il ressort de ces commentaires que le caractère juste de la détention est lié à la culpabilité de la personne21 ou à la reconnaissance de légitimité de la procédure judiciaire22. Par ailleurs,

deux commentaires initialement positifs mentionnent ensuite le caractère anormal de la durée23 et de l’absence de jugement24, deux thématiques particulièrement présentes dans le dépouillement des commentaires faisant suite à une réponse négative.

L’analyse des 132 commentaires expliquant pourquoi la mesure de détention préventive n’est pas considérée comme juste fait ressortir 12 thématiques mobilisées par les répondants.

nom effectifs %

absence de caractère juste car 132 40 50 60 70 80 90 100%

innocence 38 28,8%

Absence de reconnaissance des faits 21 15,9%

Condition socio-économique 16 12,1%

durée de la détention préventive 16 12,1%

irrégularité dans la procédure 15 11,4%

Absence de jugement 14 10,6%

incertitude sur son sort 11 8,3%

Absence d'explication 8 6,1%

injustice 6 4,5%

Reconnaissance de culpabilité 2 1,5%

Mode alternatif de règlement du conflit 1 0,8%

Possibilité de liberté provisoire 1 0,8%

Partie 2

De manière attendue, la plus forte thématique mobi-lisée est celle de l’innocence de la personne. La

déten-tion préventive n’est pas considérée comme juste car la détention en tant que telle ne l’est pas en

l’ab-sence de sentiment de culpabilité25. De manière plus

surprenante, les répondants mobilisent un deuxième registre assez proche mais pourtant distinct, qui est ce-lui de l’absence de reconnaissance des faits. Alors que pour la première thématique, les prévenu.es clament clairement leur innocence, dans la deuxième catégorie, les commentaires sont plutôt orientés sur une dénon-ciation de l’infraction présumée mentionnée dans le mandat de dépôt. Ici, soit les répondants reconnaissent bien l’existence de faits mais divergent sur leur inter-prétation et donc sur les conséquences judiciaires (par exemple : « C’est un accident » ; « C’était de la légitime défense » ; « Je n’ai même pas voulu tuer quelqu’un » ; « Mauvaise foi du plaignant » ; « Je n’ai pas violé la fille en question, elle a même témoigné de ce fait »), soit rejettent les faits énoncés mais sans pour autant mentionner directement leur innocence (par exemple : « Car je ne me reconnais pas dans les faits », « Parce que je ne suis pas signataire et émetteur des chèques pour lesquels je suis ici » ; « Je ne sais pas pourquoi on m’accuse de braquage » ; « Parce que je ne reconnais pas l’acte d’accusation »). Dans les deux cas, la détention

préventive n’est pas considérée comme juste car la réponse judiciaire ne semble pas légitime, car non proportionnée ou expéditive. Bien plus, six réponses

dénoncent directement le fait pour la personne préve-nue d’être victime d’une injustice de la part de

l’ins-titution judiciaire. L’analyse croisée des situations

pé-nales et des commentaires vient appuyer ce sentiment en révélant l’injustice ressentie du fait d’être détenu.e préventivement en même temps que toutes les per-sonnes potentiellement concernées par l’infraction, sans traitement différencié. Plusieurs membres d’une

même famille sont en effet placés indistinctement en détention préventive dans la même affaire, par

exemple des époux avec leurs deux fils arrêtés dans le cadre d’une bagarre ayant entraîné la mort ; des frères arrêtés ensemble à la suite d’une bagarre ; ou encore

une femme âgée détenue avec ses enfants dans un li-tige relatif à un parricide. L’incompréhension de cette femme est d’autant plus grande que, d’après ses dires, son mari s’est suicidé.

Par ailleurs, il faut soulever que dans deux réponses, la détention préventive n’est pas considérée comme juste en raison de l’aveu de culpabilité de la personne.

C’est ici le caractère préventif qui n’est pas compris

comme l’exprime un répondant en ces termes : « Parce que j’ai déjà reconnu, je ne vois pas pourquoi je suis en détention préventive ».

Cette logique va rejoindre celle associant l’absence de caractère juste à la détention préventive au fait d’être enfermé sans jugement. Des prévenu. es

répon-dront en ce sens par exemple : « Parce qu’il est incon-cevable d’être incarcéré sans être jugé », « Rester en prison sans être jugé n’est pas normal », ou encore « Si on me reproche quelque chose, on doit me juger ».

Si l’exercice de la justice étatique est ici reconnu par les répondants, la dissociation du lien entre juge-ment et privation de liberté propre à la détention préventive est par contre incompris.

Dans une dynamique similaire, il faut mentionner plu-sieurs réponses reliant l’absence de caractère juste de la détention préventive au fait de ne pas être fixé sur son sort. En ce sens, les prévenu.es affichent clairement que la seule alternative acceptable est la condamnation ou la libération. L’incertitude générée par la situation

de détention préventive est décriée ; l’ignorance est exprimée comme génératrice de souffrances. Ces

ré-ponses peuvent aussi être corrélées avec celles reliant l’absence de caractère juste au manque d’explication sur la situation carcérale. En ce sens, plusieurs réponses soulignent que les personnes ne comprennent ni l’ar-restation, ni la détention, ni sa prolongation.

L’arbi-traire de la détention pointe dans la perception des prévenu.es du fait de l’absence ou bien du manque d’explications intelligibles. Plus loin, ce ressenti

mène à celui de l’irrégularité de la procédure de mise en détention préventive. Certain. es emploient même

considèrent comme illégale une privation de liberté en l’absence de jugement, et donc la notion même de détention préventive.

La dimension d’irrégularité est ensuite à déduire des commentaires attirant l’attention sur un dysfonction-nement par rapport au déroulé légal de la procédure que les prévenu.es projettent. Une incompréhension

de la situation carcérale se fait jour ici non par in-capacité à la comprendre, mais du fait du décalage entre le fonctionnement au concret de l’appareil judiciaire et celui attendu par les prévenu.es. On

relèvera ici particulièrement l’incompréhension engen-drée par l’absence d’enquête avant la mise en déten-tion, l’absence d’audition par les gendarmes, l’absence de plaignant ou le défaut de qualité du plaignant, l’ab-sence de motif réel, la demande d’intercession par le politique, le maintien en détention après l’expiration des délais, le fait que la peine ait déjà été exécutée se-lon un mode alternatif de règlement du conflit ou en-core le fait d’être maintenu en détention par défaut27.

D’autres dénonceront enfin la confusion entre la détention préventive et la peine privative de liberté

en ces termes : « Parce que ça ressemble à ma peine, comme si je suis condamné or c’est pas le cas » et « Parce que tu n’es pas détenu en tant que tel. »

Par ailleurs, au regard de l’ensemble des

commen-taires, l’absence de caractère juste de la détention

préventive n’est, pour plusieurs détenu.es, pas liée au recours même à la détention préventive, mais au fait qu’elle dure trop longtemps selon la perception

des répondants28. En ce sens, certain.es vont avancer être en détention préventive depuis plusieurs années, d’autres évoquer l’anormalité de la situation, ou encore réclamer un jugement rapide.

Cette durée excessive va pouvoir être associée à une autre thématique fortement mobilisée par les répondants, qui est celle des conditions socio-économiques. La détention préventive n’est ainsi pas considérée comme juste en raison de facteurs propres à la personne qui rendent la privation de liberté difficilement compré-hensible au regard de sa situation personnelle, notam-ment l’âge29 et le fait de ne plus poursuivre ses activités professionnelles30, ou bien en raison de l’impact de la détention sur sa famille31. C’est ici l’existence et le

recours à une alternative à la détention préventive qui est directement questionnée par les répondants.

L’absence de caractère juste résultant de l’absence de mobilisation de solution alternative à la détention se retrouve enfin dans les deux derniers commentaires soulignant la possibilité de rechercher l’issue de l’af-faire autrement qu’en justice, ainsi que celle de laisser la personne en liberté et l’appeler en cas de besoin.

focus

- 72% des prévenu.es ne considèrent pas le placement en détention préventive comme juste.

- la dissociation du lien entre jugement et privation de liberté propre à la détention préventive est incomprise, voire considérée comme illégale dans les représentations des personnes prévenues.

- l’incertitude générée par la situation de détention préventive est décriée et génératrice de souffrances psycho-logiques.

- le manque d’informations, de prévisibilité et d’adaptation de la réponse pénale à la nature de l’infraction présumée ainsi qu’à la qualité de la personne prévenue concourent à une perception négative de la justice ivoirienne.

27 Un prévenu expliquera ainsi l’absence de caractère juste à sa détention préventive : « Parce qu’ils ne trouvent pas de réponse au problème. »

28 On relèvera 12 commentaires indiquant « Ça dure trop », « J’ai trop duré » ou encore que « La durée est trop longue ».

29 Que l’âge soit élevé : « Pour mon âge, c’est pas bien que je sois en prison » ; « J’ai plus de 60 ans et je suis en prison », « Je suis âgé et les pensées me font davantage mal » ou au contraire que le/la prévenu.e soit jeune : « Parce que je dois aller à l’école ».

30 « Nous sommes ruinés », « J’ai laissé toutes mes activités et aujourd’hui cela me pèse ».

31 On regroupera ici tant les commentaires soulignant le désœuvrement de la famille en l’absence du ou de la prévenu.e (« Actuellement ma famille souffre », « Il y a mes enfants dehors qui vont à l’école et personne pour s’occuper d’eux », « Mon fils a besoin de moi ») et la rupture du lien familial engendrée par la détention préventive (« J’ai été humilié devant ma famille parce que je n’ai rien fait », « Parce que j’ai tout perdu : mes affaires, ma famille, etc. »).

Partie 2

3. une compréhension en demi-teinte de la procédure