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parent

communauté

pardon

village

chef

enquête

A l’aune de la recherche d’alternatives à la détention matérialisée par l’adoption des nouveaux codes, la

recherche d’un mode de règlement des conflits considéré comme plus légitime par les prévenu.es doit être évoquée. Pour ce faire, l’analyse qualitative

des réponses, dans le même temps où elle permet d’affiner l’explication de l’incompréhension de la procédure judiciaire ainsi que la perception d’injustices

par l’absence de mobilisation des voies de règlement des conflits considérées comme légitimes –voire évidentes et/ou incontournables-, fait ressortir une mobilisation commune d’espaces et de modalités de conciliation. En effet, l’aperçu lexical et sémantique des 143 réponses fait apparaître un nuage de mots concentré autour de 9 mots-clés, qu’il est possible d’affiner par MAC.

aperçu lexical et sémantique – principaux champs sémantiques utilisés

Le nuage représente les principaux mots-clés (tailles proportionnelles aux effectifs ; une réponse peut mobiliser plusieurs mots-clés ; fréquence minimum du nuage de mots commun global : 5).

Partie 2

famille

plaignant Abengourou parent

amiable

Toumodi Abidjan pardon parent plaignant enquête plaignant enquête

amiable

Grand-Bassam village famille chef Bouaké parent communauté village Daloa village parent chef Soubré parent chef Sassandra communauté village amiable plaignant Adzopé communauté famille enquête Agboville enquête enquête chef plaignant pardon

amiable

village pardon

famille

amiable

plaignant parent communauté pardon village chef enquête

Dans la sémantique employée sur les dix MAC, le

règlement à l’amiable est sollicité par 36 prévenu. es.

Souvent employée seule, l’expression est parfois complétée. Ainsi, en déclarant « A l’amiable pour éviter les misères de la prison », un prévenu mobilise expressément le règlement à l’amiable comme alternative à la détention. Un autre indique quant à lui que son affaire a été réglée « à l’amiable depuis 2009 » par les familles et exposera tout au long de ses réponses son incompréhension ainsi que l’injustice de l’engagement d’une procédure étatique additionnelle, d’autant plus différée. D’autres précisent comment opérer un règlement à l’amiable. Cela peut être « en remboursant la somme due », c’est donc une logique de réparation qui est prônée ; « par une confrontation entre moi et l’accusation », ici une dynamique de

conciliation est réclamée et souligne certainement l’écueil d’une procédure négligeant le dialogue et privant la personne prévenue de sa parole,

comme abordé précédemment. Dans une dynamique similaire, un autre demande un règlement à l’amiable afin de confronter son accusatrice « car elle demandait 300 000 à faire sur son compte sans qu’on ne la voit ».

La volonté d’instaurer le dialogue entre la personne prévenue et la victime, ou parfois la famille de la

victime, est par ailleurs fortement présente à travers la volonté de demander pardon, comme le répond ce prévenu : « A l’amiable en demandant pardon à travers des hommes de Dieu ». Ce sont enfin des

espaces légitimes de règlement du différend qui sont

mobilisés par les répondants : « A l’amiable en famille car c’est un problème de famille », « A l’amiable au sein

51 « En réglant le problème en famille puisque c’est un cousin », « En famille comme c’est un problème de famille », « Comme c’est une affaire qui s’est passée en famille, on pouvait régler entre nous en famille », « C’est une affaire familiale donc on peut le gérer en famille ».

52 On soulignera ici que le terme est employé au pluriel par les répondants mais en raison de la lemmatisation nécessaire à l’analyse pertinente des données, ce terme apparaît au singulier dans la synthèse.

de la cour royale », « A l’amiable comme on se connait tous à Afféry ».

Une logique identique se retrouve dans les termes mobilisés ensuite quantitativement, dans lesquels ressortent particulièrement « Famille » (30), « Chef » (12), « Parent » (9), « Village » (9), et « Communauté » (6). L’analyse des verbatim employant le terme « Famille » mettent tout d’abord en exergue la volonté pour les répondants de traiter les affaires de famille en famille51; mais aussi que certains problèmes peuvent par

essence être réglés en famille au sens d’alternative acceptable à la justice étatique en raison du lieu ou de la nature de l’infraction : « Etant donné que le

coup de fusil a été accidentel à la chasse, je pense qu’on pouvait régler avec les familles », « Le règlement pouvait se faire entre nos familles, le lieu du drame étant dans mon village maternel ». Ensuite, les répondants mentionnent l’intérêt de faire appel à la famille plutôt qu’à la justice étatique : « En famille, ils ont le pouvoir de mieux régler », « En famille, on pouvait parler sans problème », « Les deux familles pouvaient s’asseoir et trouver une solution commune », « On pouvait avec une délégation de ma famille demander pardon à la femme », « Les différentes familles pourraient le régler dans notre communauté ». Les personnes prévenues soulignent une nouvelle fois dans ces réponses ce qu’elles privilégient dans la procédure de règlement

du conflit : une autorité légitime, du temps, un espace de dialogue et de pardon, l’importance du collectif et non l’isolement, ni de la personne soupçonnée, ni de la victime.

Cette dimension collective de la conciliation se retrouve fortement dans les verbatim associés à la mobilisation du terme « Parent »52 ou encore « Communauté », comme par exemple dans les réponses : « On devait bien parler avec les parents de celle que je suis accusée d’avoir violée », « Les parents pouvaient la régler », « Avec les parents de la victime en demandant pardon », « Communauté villageoise », « Avec nos communautés nous réglons souvent toute sorte de conflit ». On notera toutefois l’emploi, sciemment, du terme « Parent » plutôt que « Famille » par les

prévenus mineurs qui vient spécifiquement souligner

une difficulté de procédure par rapport à ce public

vulnérable : « Si mes parents arrivaient à la police avant

mon déferrement », « Si mes parents arrivaient plus tôt à la gendarmerie ». Ces réponses laissent à penser que des mineurs ont été envoyés en détention dans

l’attente de leur jugement en l’absence de leurs parents pour les accompagner dans leur procédure, accentuant leur incompréhension, leur désœuvrement, ainsi que la souffrance inhérente à la détention. S’ajouteront ensuite la distance du lieu de détention, les grandes difficultés à pouvoir interagir avec l’enfant et à pouvoir intervenir au niveau judiciaire au regard du profil socio-économique des familles.

Enfin, les verbatim associés à l’usage des termes « Village » et « Chef » font quant à eux référence à l’autorité considérée comme légitime pour intervenir dans le processus de règlement du conflit53 : l’arène

ainsi plébiscitée est celle villageoise et l’autorité de la chefferie est reconnue. Au-delà de ces vocables

spécifiques, on soulignera par ailleurs dans une logique proche que deux répondants mentionnent des espaces et modalités spécifiquement prévues pour faciliter le règlement des conflits en dehors de la justice étatique : « La cour royale a un tribunal, on aurait pu régler le problème au village », « Compte tenu de l’alliance entre Gouro et Sénoufo, on pouvait trouver une solution (cérémonie de pardon) » et trois font référence aux autorités religieuses : « A l’amiable en demandant pardon à travers des hommes de Dieu », « Imam », « Moi je suis musulman, en dehors de ça je ne connais rien ». Malgré ce plébiscite, les risques liés au recours aux modes de règlement des conflits relevant de ce qui est qualifié de « justice traditionnelle », sont toutefois identifiés de longue date. La table ronde d’experts sur « La surpopulation des prisons en Afrique de l’Ouest » réunie par le CICR à Abidjan les 14 et 15 janvier 2019 souligne ainsi : « pour la justice traditionnelle, bien que divers pays tendent à la promouvoir, beaucoup de risques sont relevés à savoir :

- La stigmatisation de certains groupes et les inégali-tés dans le traitement (héritage, divorce) ;

- Le développement de la « justice au quartier » avec tous les risques que cela comporte ;

- Risques de franchir des « lignes rouges » dans la limitation du pouvoir des magistrats ;

- Risques entre les tolérances sociales et les interdic-tions légales (Polygamie en Guinée) ;

- Au niveau des perceptions, les sanctions légales font moins peur que les sanctions sociales ; d’autre part, être envoyé en prison fait honte à la famille (risque d’exclusion sociale) ;

Partie 2

des inégalités dans la justice ;

- Peines alternatives perçues comme « imposées par les bailleurs », pourtant elles existent bien dans la société traditionnelle africaine, d’où la nécessité de capitaliser les bonnes pratiques locales afin de déve-lopper une réflexion africaine pour l’Afrique ; - Le coût des peines alternatives supposées onéreuses

appelle une évaluation objective et comparée des coûts entre l’application des peines alternatives et ceux de l’incarcération ;

- La question de la sécurité du justiciable doit être prise en compte en faisant comprendre à la com-munauté que la peine alternative reste une peine à part entière ;

- Confier la justice à la communauté peut impliquer une sortie de la justice. »54

On ajoutera à ces risques, en matière pénale spécifiquement, la perception de l’absence d’une

position commune et partagée sur la nature de l’infraction qu’il apparaît légitime de pouvoir régler au sein de l’arène villageoise et/ou communautaire.

En effet, alors qu’un prévenu va par exemple déclarer au cours de l’enquête « Avec la chefferie du village, même les affaires de meurtre sont réglées au village », un autre dira « En cas de meurtre la justice doit savoir qui a commis ce meurtre ». Plus loin, les entretiens réalisés auprès de justiciables ivoiriens ne permettent pas d’afficher un consensus sur une possible ligne de partage entre justice « traditionnelle » et justice étatique. Un répondant suggère cette absence de consensus par ces mots : « Le plaignant n’allait jamais accepter de régler le problème entre les deux familles ». La diversité des positions semble a priori refléter ici à la fois le syncrétisme à l’œuvre en matière de modes de règlement des conflits et l’absence de caractère figé des mécanismes qualifiés de « traditionnels », qui contribue certainement à la perception de leur légitimité.

Si ces risques généraux ne sauraient être ignorés, l’enquête réalisée auprès des prévenu.es invite à penser ces alternatives à la détention de manière nouvelle par rapport à la temporalité précédant le jugement, dans une synergie avec le système étatique de justice susceptible de neutraliser certains de ces risques. En effet, parmi les motifs justifiant la détention

dans l’attente du jugement, sont régulièrement

évoquées par les magistrats l’absence de garanties de représentation ainsi que la protection de l’ordre public par crainte de la vindicte populaire55. Or, dans le processus de règlement des conflits les concernant, les prévenu.es revendiquent majoritairement son ancrage dans une assise territoriale précise ainsi que son caractère collectif. Réinterrogeant certainement

les fondements même d’un système pénal centré sur l’individu, la mobilisation d’une communauté - dont les contours pertinents seraient à définir au cas par cas - pourrait contribuer à imaginer une alternative à la détention préventive, ou à tout le moins, une alternative à la détention préventive directe et systématique. Elle serait en effet susceptible

d’en réduire la durée et la portée socio-économique et pourrait contribuer à une meilleure compréhension de la procédure judiciaire, y compris si la détention s’impose finalement. La mobilisation des médiateurs

considérés comme légitimes par l’ensemble des parties pourrait ainsi permettre d’adapter les mesures de contrôle judiciaire dans un contexte où les autorités en charge de ce contrôle sont en nombre insuffisant, d’autant plus si cette mobilisation

est perçue comme un préalable incontournable à toute procédure ainsi que l’expriment ces réponses : « On pouvait demander notre avis auprès du chef du village d’abord » et « Y’avait pas autre choix, la prison est un lieu de marketing. Tous les problèmes sont transférés à la gendarmerie sans passer par le chef du village ». Elle laisserait aussi du temps à une procédure majoritairement perçue jusqu’à présent comme expéditive, ainsi que l’exprime ce prévenu en ces termes : « Si l’affaire n’avait pas été précipitée, ça allait trouver une solution à l’amiable ». Plus loin, l’ouverture d’un espace de conciliation viendrait résorber le sentiment prégnant évoqué par les prévenu.es d’être privé.es de leur parole ainsi que de la possibilité de se défendre au cours de la procédure judiciaire. Il serait

aussi susceptible d’instaurer une arène de confiance propre à la révélation de la vérité et permettant de dépasser le règne de l’aveu sur les moyens de la preuve. Alors que certaines victimes décident de quitter

leur village après avoir été victimes d’une infraction, c’est enfin la considération de la victime qui pourrait

être repensée au sein d’une procédure favorisant les échanges intra-communautaires. Cette dimension

mobilisée par 11 prévenu.es. En toute hypothèse, au-delà même de la proposition de pistes d’alternatives,

les besoins exprimés par les prévenu.es sont à entrevoir dans les contours qu’ils proposent d’une procédure à considérer dans toute sa complexité en termes d’acteurs, d’espaces et de temporalités pour rendre justice, afin qu’elle soit susceptible à leurs yeux de favoriser un processus de règlement du conflit légitime et efficient par rapport à leur propre projection de la justice.

Pour conclure, il faut souligner la mobilisation par les répondants de deux derniers champs thématiques quand ils évoquent un autre mode de règlement, qui font cette fois-ci directement référence aux manques

de la procédure mise en œuvre à leur encontre :

l’enquête (7 répondants) et le plaignant (6 répondants). Ce n’est donc pas tant un autre mode de règlement qui est évoqué ici que d’autres modalités dans la mise en œuvre de la procédure judiciaire étatique. Ce sont les points de tension qui deviennent saillants dans ces réponses. Relativement à la référence au plaignant, on

soulignera que les répondants relèvent notamment le poids de la machine étatique qui vient écraser toute dimension conciliatrice : « Parce que c’est le

seul procureur qui me poursuit sans plaignant », « Les plaignants même ne voulaient pas que l’affaire arrive à la justice, c’est la police qui a voulu que

le juge soit saisi. Le prêtre et son collaborateur proche ont négocié pour ma libération », « Sans l’appui d’un préfet en visite dans la région qui a poussé l’affaire plus loin ». Par rapport à la référence à l’enquête, les répondants mettent particulièrement en avant l’incompréhension, plus loin que celle d’une

détention avant jugement, d’une détention avant enquête, à tout le moins diligente. On mentionnera

par exemple les réponses suivantes à fins d’illustration : « On devrait me laisser dehors et puis faire les enquêtes »,

« On devait faire les enquêtes avant de me mettre en prison », « Je pense qu’une meilleure enquête aurait tout arrêté », « Préalablement les enquêtes devaient être faites avant de m’enfermer », auxquelles on ajoutera ces réponses mobilisant d’autres vocables : « Par des analyses médicales qui auraient dû se faire sur le corps de mon épouse », « Les corps habillés doivent mieux faire leur travail ». Complétant cette logique, trois prévenu.es mentionnent expressément la liberté provisoire comme alternative : « Je n’ai pas besoin d’être détenue. J’aurai dû rester à la maison et me présenter au juge », « Liberté provisoire », « Par la liberté provisoire et m’appeler en cas de besoin ».

focus

- Pour 66,5% des prévenu.es, une alternative aurait pu être proposée à la détention.

- les règlements à l’amiable, en famille, par les chefs et au sein des villages et/ou communautés, sont particulièrement mobilisés comme modalités et espaces de conciliation légitimes.

- les prévenu.es privilégient dans la procédure de règlement du conflit à la fois une autorité légitime, du temps, un espace de dialogue et de pardon, l’importance du collectif et non l’isolement, ni de la personne soupçonnée, ni de la victime.

- Si les risques généraux liés au recours aux modes de règlement des conflits qualifiés de « traditionnels » ne sauraient être ignorés, des alternatives à la détention peuvent être pensées de manière nouvelle par rapport à la temporalité précédant le jugement en s’appuyant sur ces mécanismes, en synergie avec le système étatique.

Partie 3

cadre normatif