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Les jeux de chimie ne sont plus ce qu'ils étaient. Les histoires d'explosions dans son jardin appartiennent au domaine du fantastique. Les composants chimiques sont absents des kits ludiques chimiques d'aujourd'hui. Comment en sommes-nous arrivés là ?

Cet équipement chimique de la marque Merit a été déniché sur un marché aux puces bruxellois. Sur la boîte, l'illustration de deux adolescents en train de préparer des solutions chimiques dans leur laboratoire amateur. Yeux scintillants et visage empourpré, ils portent des chemises blanches imma- culées et des cravates. Leurs bras de chemise retroussés et un petit tablier noué à la taille laissent à penser que la manipulation du matériel de la boîte pourrait à peine être salissante en causant quelque éclaboussure. Les cheveux clairs et bien peignés promettent que les expérimentations ne seront pas décoiffantes ! Au premier plan, est déployé leur kit « Équipement Merit : instructif, inoffensif et amusant. Contient une excellente sélection de substances chimiques et d'appareils. Instructions complètes comprises ». Les acheteurs potentiels ne peuvent être que rassurés. Leurs enfants vont apprendre, tout en étant en sécurité et en s'amusant. Que demander de plus.

Le kit a été assemblé en Angleterre par le fabricant de jouets J & L Randall. L'état des accessoires et des matières chimiques semble indiquer qu'il n'a été que très peu utilisé. Ont résisté aux aléas du temps: un entonnoir, une spatu- le, une mesure, du papier de tournesol, des bouchons en liège, du fil de fer, un verre de montre, deux éprouvettes vides, une brosse, du papier buvard et une brochure bilingue Français-Néerlandais comportant des instructions. La lampe à l’alcool et la pince, également vendues avec le kit, ont disparu.

Les dix composants chimiques proposés se déclinent en une centaine d'expériences. Une petite quantité de sulfate de cuivre sert à faire des cristaux. La poudre de tournesol permet de vérifier l'acidité d'une solution. Avec du chlorure de cobalt, le chimiste amateur crée de l'encre invisible. Mais les instructions vont au-delà du contenu de la boîte et poussent les apprentis-chercheurs à expérimenter avec toutes les substances utilisées au quotidien dans leur foyer. Par exemple, on les encourage à mélanger l'eau oxygénée et l'eau de javel pour que de l’oxygène s’en dégage. Le laboratoire ne se confine plus à la boîte de jeu mais entre dans la maison. L'apprentissage sort de la sphère du théorique et entre dans celle du concret.

cultures populaires, cultures informelles

Le commerçant précise que les matières et les expériences décrites dans la brochure ont été choisies en raison de leur complète absence de danger. « Ainsi les plus grands plaisirs et bénéfices peuvent être obtenus des appareils, sans pour cela risquer de s'attirer des résultats fâcheux ». Le fait de pouvoir enflammer du sulfate de cuivre (classifié aujourd’hui, selon le système international d’étiquetage des matières dangereuses ,“ SGH 07 Toxique, irritant, sensibilisant, narcotique” et “ SGH 09 Danger pour le milieu aquatique”) n’interpelle personne.

Au début du 20e siècle, les équipements chimiques pour enfants comportent

des substances comme des cyanures ou de l'uranium. Aux États-Unis, leur production augmente après la Deuxième Guerre mondiale avec le nouvel attrait de la recherche et le succès du projet Manhattan qui vise à produire la bombe atomique. Ce projet tenu secret jusqu’en mai 1945 éclate au grand jour avec l’explosion de la première bombe, visible à plus de 16 km et déga- geant plus de 22000 tonnes de TNT. Dans les années 1940-1960, le public est envahi par les nouvelles merveilles de la science qui entrent dans les maisons et qui entretiennent la fascination des jeunes. À cette époque de la surconsommation et de la surproduction apparaît la notion de protection du consommateur.

Les années 1970 sont marquées par une perte de confiance en la science gouvernementale et par la montée des mouvements écologistes et anti-nucléaires. Une séries de directives adoptées par l'Europe sont l'expression de ce contexte international : la classification et l’étiquetage des produits dangereux, la limitation de la mise sur le marché et de l’emploi de certaines substances dangereuses, la promulgation des premières lois de la protection des consommateurs. Un long chemin a été parcouru en quelques décennies... Petit à petit, la magie de la science comme carrière s'estompe et avec elle, la demande pour de tels équipements. Leur chute traduit la disparition généralisée de la pratique de la chimie comme loisir.

photographie de Daniel Cohn-Bendit, réalisée le 6 mai 1968 devant la Sorbonne par Gilles Caron, photographe de presse de l'agence Gamma

T

out le monde connaît cette célèbre photographie de Daniel Cohn-Bendit, réalisée le 6 mai 1968 devant la Sorbonne par Gilles Caron, photographe de presse de l'agence Gamma. Elle est devenue symbolique des événements de mai 68. Pourtant, elle est restée quelques années inaperçue.

Daniel Cohn-Bendit fait face, central, souriant, goguenard, provocateur mais pas agressif, à un policier impassible. Au premier plan également (mais qui n'attire pas l'œil tout de suite), on aperçoit l'épaule d'un autre policier. Au fond, on distingue d'autres étudiants et policiers.

La photo est verticale en noir et blanc ; la lumière et les contrastes jouent donc un rôle important dans son esthétique. Cohn-Bendit est lumineux, cet effet est renforcé par le contraste créé par la tenue foncée du policier. Une ligne diagonale fictive, que l'on pourrait tracer au-dessus des têtes des deux principaux protagonistes, ou plutôt qui relierait les deux regards, crée le mouvement de la photo. Elle glisse du haut vers le bas mais le regard de Cohn-Bendit la renvoie aussitôt du bas vers le haut, vers celui du policier,

1968