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inversant le rapport de force. Le policier est plus grand, plus proche, il domine Cohn-Bendit. Mais ce regard, le sourire, et l'attitude renversent la puissance. Les deux policiers sont au premier plan, ils occupent une grande partie de la photo, l'assombrissant, mais c'est le centre, le visage de Cohn-Bendit qui s'impose.

Ce 6 mai, Daniel Cohn-Bendit est convoqué avec d'autres étudiants en conseil de discipline. De nationalité allemande, il risque l'expulsion du territoire. Il apparaît cependant détendu, sûr de lui. Plusieurs photographes de presse sont présents. Gilles Caron, lui, suit les événements depuis plusieurs semaines. Il a déjà rencontré Daniel Cohn-Bendit et l'a déjà photographié. Il saisit là un instant magique. Tout 68 est là, dans ce regard et ce sourire : la jeunesse qui défie le pouvoir et lui tient tête, un pouvoir qui ne sait comment réagir… La photo est mythique au sens sémiologique : cette opposition entre deux symboles devient le signe de mai 68.

Pour autant, cette photo ne devient pas célèbre tout de suite : elle ne paraî- tra ni dans Paris-Match, ni dans l'Express qui préféreront celles d'autres photographes. Elle sera publiée dans une revue spécialisée, quasi-confi- dentielle, Journalistes, Reporters, Photographes n° 15. C'est après la mort de Caron, à l'occasion des 10 ans de l'agence Gamma, en 1977, que cette photographie est reconnue.

Elle sort dans plusieurs journaux et s'inscrit alors dans la mémoire collective. Elle représente aussi la photo de presse, l'instantané qui fixe à la fois la réalité et le symbolique. Le bon cliché au bon moment, l’œil du photographe, sa capacité à cerner l'essentiel, l’humain et le symbolique. Toutefois, cette photo introduit à mon sens quelque chose de nouveau. Car ce que l'on sait moins, c'est que Caron prend juste auparavant une quinzaine de cli- chés ce jour-là, dès l'arrivée des étudiants. Une de ces photos, prise juste quelques instants précédents, nous apporte un éclairage nouveau dans l'interprétation. L'angle est presque le même. Gilles Caron est placé au même endroit. Cohn-Bendit le voit. On l'a déjà écrit, il sait qui est Gilles Caron et donc, le reconnaît. Le regard de l'étudiant fixe le photographe, il semble même fixer le regard du photographe à travers l'objectif. Entre les deux hommes, il y a l'appareil photographique. Un objet technologique qui s'insère dans la relation, la construit même. Il est évident sur cette première

cultures populaires, cultures informelles

photo que Cohn-Bendit comprend très vite l'avantage qu'il peut tirer de la présence du photographe, et surtout de son appareil. En une fraction de seconde, celle même de ce cliché, les deux hommes se comprennent, par l'intermédiaire de l'appareil photographique. La photographie suivante est improvisée, mais aussi mise en scène par Cohn-Bendit qui se retourne vers le policier et arbore son attitude. Cependant, il n'y a aucune concertation entre le photographe et son sujet.

Il y a un sujet qui joue avec la situation, l'appareil, le policier mais aucunement avec le photographe dont il imagine la pertinence. Caron effectivement, sait comprendre et saisir l'instant. Cette photographie est sans doute la première photographie moderne, la première d'une nouvelle ère. Celle où le sujet se met en scène, maîtrise son image. Il est co-auteur de la photo en quelque sorte. Il sait, il espère l'effet qu'elle produira. Il n'est pas l'objet d'un photographe qui met en valeur sa propre vision du sujet, il y a co-construction de la photographie et de la réalité produite.

Aujourd'hui, les smartphones permettent de se passer du photographe. Le selfie offre au sujet lui-même le contrôle de son image. Les réseaux sociaux permettent ensuite une diffusion simple, peu onéreuse et rapide. La réalité cède alors souvent à l'image narcissique car n'est pas Caron qui veut.

Même si sa célèbre photo doit beaucoup à la réaction de son sujet, il faut un sacré talent pour saisir tant de symboles mais aussi l'importance de l’angle, de la lumière, d'un cadrage en quelques millièmes de secondes. La technologie, en matière artistique, ne remplace pas l'homme. Elle modifie sa manière de s'exprimer, mais c'est toujours lui qui représente sa réalité.

Station Mirabeau en 1979 : la vue permet d'observer le montage du feeder de l’éclairage normal avec son négatif de la partie supérieure (Harald Jahn)

1979

C

ette photo réalisée en 1979 figure une transition de 1900 à nos jours, à mi-chemin d'une histoire urbaine. En voici des extraits sous la forme d’éléments implicites au travers de cette image à la fois ancienne et moderne. Bien que sage comme une image, elle cache mouvement et circulation. Elle dit plusieurs époques avec son lot d'avancées technologiques.

Qu'est ce qui brille dans les entrailles de Paris ? Est-ce une mine d'or ? Une carrière de cristaux ? La Ville lumière porte en elle brillance et éclat. La lumière de Paris brille de l'intérieur. On dirait un oracle de YiKing ! Pourtant c'est bien la science qui se trouve au cœur de la question.

Reprenons les choses depuis le début. Nous sommes en 1900. L'année d'inauguration du Métropolitain. Les voyageurs pénétrant dans les stations de métro sont éblouis. Au propre comme au figuré ! Bien que les stations