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B. Propriétés physico-chimiques des vésicules géantes

B.1 Modélisation physique de la vésicule

B.1.2 La membrane à l’échelle macroscopique : un milieu continu 11

Plaçons-nous maintenant à plus grande échelle. On peut alors considérer la mem-brane comme un milieu continu puisque les distances observées sont grandes devant la taille des molécules.

Dans l’énergie élastique vont entrer plusieurs modes de déformation : un terme d’extension-compression de la membrane, un terme lié à la courbure, ainsi qu’un terme de cisaillement. Ensuite nous examinerons le fait que la membrane est com-posée de deux feuillets, et les conséquences pour l’énergie élastique.

B.1.3 Premières théories sur l’énergie élastique d’une membrane

Elles ont été proposées par Canham et Helfrich indépendamment [Canham, 1970; Helfrich, 1973a]. On pourra se reporter à la fig. I.8pour une illustration des différentes déformations.

La première déformation est l’extension-compression, dont l’énergie Hext peut-être mise sous la forme

Hext = 1 2χce µ ∆A A ¶2 (I.1.1) et dépend quadratiquement de l’augmentation ou de la diminution relative de sur-face. Cette déformation est très limitée pour les bicouches lipidiques (1 à 2 %). En effet au delà d’une tension critique de lyse (environ 10−3N/m), un pore s’ouvre irréversiblement et la vésicule est détruite. χce est de l’ordre de 0.2 N/m pour des membranes lipidiques [Evans and Rawicz, 1990].

Dans le cas où la membrane n’est pas en phase liquide mais en phase cristal liquide ou polymérisée, alors un terme de cisaillement doit être pris en compte . Si µcis est le module de cisaillement, λ le taux d’extension latérale (λ = L0+ ∆L

L0

), alors l’énergie due au cisaillement prend la forme [Sackmann, 1989] :

B. Propriétés physico-chimiques des vésicules géantes surface étirée surface compressée (a) (b) (c) (d) (e) devient droit incliné axe neutre

Fig.I.8 – Différents modes de déformation d’une membrane pris en compte dans le hamiltonien de Canham-Helfrich. (a) Une vue schématique de la membrane d’une vé-sicule ; (b) Courbure de la membrane ; (c) Extension/Compression de la membrane ; (d) cisaillement (valable pour les membranes polymérisées ou en phase gel unique-ment) ; (e) inclinaison des molécules (d’après [Canham, 1970; Helfrich, 1973a])

Un terme d’inclinaison des molécules est aussi rajouté par Helfrich, nous le don-nons ici pour mémoire, mais nous le négligerons par la suite car il n’intervient que pour certaines phases cristal liquide (par exemple Pβ′). Si n désigne le vecteur uni-taire normal à la membrane localement, et d le vecteur uniuni-taire correspondant à la direction moyenne des moléculesa, si on note kt le module de rigidité élastique d’inclinaison, alors on peut écrire le terme d’énergie comme

Hincl = 1

2kt(n∧ d)2 (I.1.3)

Enfin, il faut encore compléter cette énergie par le terme dû à la courbure de la membrane ; là encore, c’est des théories d’élasticité de cristaux liquides qu’est venu ce terme. On montre que la manière la plus générale d’écrire l’élasticité de courbure, à partir d’une forme quadratique est équivalente à la forme

Hcourb = 1

2κ(c1+ c2− c0)2+1

2κGc1c2 (I.1.4)

où κ est le module de rigidité de courbure, κG est le module de rigidité de cour-bure gaussienne, et c1 et c2 les deux courbures principales de la membrane, c0 la courbure spontanée. Cette dernière rend compte de la courbure la plus adéquate à la forme des lipides (voir § I.4 p. 7). Le théorème de Gauss-Bonnet montre que le

a. Ce vecteur correspond au vecteur directeur dans la théorie de l’élasticité des cristaux liquides de Frank.

Matériau Module de Module de Module de cisaillement compressibilité rigidité de courbure

µcis (J/m2) χce (J/m2) κ (J) Laiton 110 100 10−15 Polyéthylène 5 5 5× 10−17 Caoutchouc 0.05 0.06 5× 10−20 Globule rouge 6× 10−6 - 7× 10−20 Vésicule de DMPC 0 0.145 1.2× 10−19

Tab. I.1 – Modules élastiques de quelques matériaux d’après [Sackmann, 1989]. Prenant l’épaisseur d’une membrane h (supposée fixe) et connaissant le module de compressibilité volumique G, on a χec = hG, de même à partir du module élastique E, on a κ = Eh3/12(1− ν2

p) où νp est le rapport de Poisson, et µcis= Eh/2(1 + νp) [Landau and Lifschitz, 2000]

produit des deux courbures principales intégré sur la vésicule est un invariant topo-logique ; par conséquent, lorsque les vésicules ne changent pas de topologie (pas de formation de poignée), nous omettrons le terme de courbure gaussienne.

La tension de la membrane a plusieurs origines : une enthalpique σ = ∂F

∂A et

comme nous le verrons plus loin, une entropique. Lorsqu’on tire sur la membrane, on peut la mettre sous tension, et l’énergie libre F de la membrane va varier avec l’augmentation d’aire visible au microscope ∆Ap. L’aire microscopique de la mem-brane reste fixeb et donc il peut ne pas y avoir de contribution du terme d’étirement-compression. On va ainsi retrouver la définition classique de la tension de surface, σ = ∂F/∂A, et on aura le terme d’énergie

Htens = σ∆Ap

A (I.1.5)

On va discuter plus loin de la signification précise de ce terme.

On va finalement pouvoir écrire l’énergie d’une vésicule, dans le régime où on n’étire pas la membrane et où donc l’énergie d’étirement ne jouera pas de rôle, en négligeant les termes d’inclinaison et de cisaillement comme

H = ZZ A · 1 2κ(c1+ c2− c0) + σ∆A A ¸ dS (I.1.6)

connu sous le nom de Halmiltonien de Canham-Helfrich.

On pourra se reporter au tableau I.1 pour se rendre compte des ordre de grandeur en jeu. Pour une revue on pourra se reporter à [Sackmann, 1989; Duwe et al., 1989].

b. En effet on ne fait que déplier le froissage submicroscopique de la membrane, et donc seule l’aire visible au microscope varie.

B. Propriétés physico-chimiques des vésicules géantes B.1.4 Vers le modèle ADE

Il reste un aspect microscopique qui n’est pas pris en compte dans les termes de l’énergie élastique : le fait que la membrane soit composée de deux feuillets de lipides. Il est possible d’écrire un terme de friction entre les deux feuillets : il relie la force par unité de surface Σ due à la friction à la vitesse d’une membrane par rapport à l’autre et à un coefficient bs, par la formule :

Σ≡ bsv (I.1.7)

d’après [Evans and Sackmann, 1988] et [Merkel et al., 1989; Yeung and Evans, 1995; Pott and Méléard, 2002]. Dans ce dernier article on trouve une estimation de bs pour SOPC de 10−8N.s/m3.

De plus, le nombre de lipides sur les feuillets externe et interne peut être différent, ce qui peut induire une courbure de la membrane. Dans un premier temps, s’est développé le modèle dit bilayer coupling, où le nombre de lipides sur chaque feuillet est considéré comme constant mais peut être différent [Svetina, 1982; Svetina and Zeks, 1983; Svetina and Zeks, 1985; Svetina and Zeks, 1989]. Cette contrainte est ajoutée, et l’énergie de courbure est calculée par le hamiltonien de Canham-Helfrich. Par la suite, il va être attribué une énergie à cette courbure globale issue de la dissymétrie du nombre de lipides entre le feuillet extérieur et le feuillet intérieur, sous la formec:

Hcg = ¯κ π

AD2(∆Af − ∆Af0)2 (I.1.8)

où ¯κ est le module de rigidité de courbure globale , A la surface de la membrane (prise au centre de la bicouche), D est la distance entre le milieu des deux feuillets, et ∆Af = Aout− Ain est la différence d’aire entre le feuillet externe et le feuillet interne adoptée par la vésicule, alors que cette ∆Af

0 indique la différence d’aire due stric-tement à la différence de nombre de lipides. Si on ajoute à ce terme le hamiltonien de Canham-Helfrich, on obtient le modèle ADE (Area Difference Elasticity) [Miao et al., 1994]. Dans une première version, la courbure spontanée des lipides n’a pas été intégrée dans ce modèle. Ce modèle a ensuite été étendu aux LUVs [Mui et al., 1995], puis a pris en compte la courbure spontanée qui est une propriété intrinsèque des lipides (voir § B.3 p. 23), et est bien distincte de la courbure globale due à une asymétrie du nombre ou de la nature des lipides [Seifert, 1997].

On pourra consulter le tableau I.2pour un résumé des caractéristiques de chaque modèle. D’autres termes ont été proposés pour rendre compte de situations parti-culières (par exemple la formation et la stabilité de micro- et nanotubes [Kralj-Iglic et al., 2002]).