L’équipement métabolique n’est pas figé au cours de la vie et pleinement fonctionnel dès la naissance. Chez l’homme, les enfants ont notamment des capacités de glucuronoconjugaison très limitées. Les variations de pharmacocinétique expliquent les différences de sensibilité à divers traitements et nécessitent de proposer une médication spécifique pour les très jeunes patients.
Figure 31 : Diagramme de répartition du nombre de gènes impliqués dans les mécanismes de métabolisation selon leur profil d’expression et l’âge de l’animal.
D’après les données brutes de Lee et al, obtenues par microarrays sur du foie de souris
Dominant chez l'animal mature Dominant chez l'animal immature Expression constante
Augmentation tout au long de la vie
Sous-exprimé chez le fœtus, surexprimé chez le nouveau né
Phase I Phase II Phase III
69 % 72 % 57 %
Chez le rat, le système de métabolisation acquiert progressivement sa maturité. Par exemple, Fischer & Weissinger ont établi que la demi-vie du DES était presque 10 fois plus longue chez le nouveau-né que chez l’individu âgé de 25 jours parce que le nouveau-né présente une faible capacité de
conjugaison et d’excrétion biliaire du DES (Fischer & Weissinger, 1972). Selon le même
raisonnement, Taylor et al. testent l’influence de la voie d’exposition sur la toxicité du BPA chez
l’animal néonatal et démontrent que contrairement à l’adulte, les effets sont les mêmes dans le cas
d’une exposition sous-cutanée ou orale (Taylor et al., 2008). Ceci serait dû à la perte d’impact du
premier passage hépatique lors de l’exposition orale chez le nouveau-né. Le système de détoxication, immature, ne permet pas d’éliminer partiellement la molécule active avant son passage systémique et son acheminement vers ses organes-cibles.
En 2011, Corton et son équipe travaillent sur la maturation et l’évolution au cours de la vie du
système de détoxication de la souris (Lee et al., 2011). À partir de leurs données brutes générées par
analyse de morceaux de foie par microarray, j’ai observé la répartition de gènes codant pour des Cyp450, des enzymes de phase II et des protéines de phase III et isolé 5 grands profils d’expression de gènes :
1. Gènes dont l’expression est réduite chez l’animal fœtal et/ou néonatal (immature) par
rapport à l’animal adulte (6 mois). Ces gènes sont donc préférentiellement exprimés par l’animal mature.
2. Gènes dont l’expression est augmentée chez l’animal fœtal et/ou néonatal par rapport à
l’adulte. Ces gènes sont donc préférentiellement exprimés par l’animal immature.
3. Gènes dont l’expression semble constante tout au long de la vie.
4. Gènes dont l’expression augmente tout au long de la vie.
5. Gènes dont l’expression est diminuée chez l’animal fœtal mais augmentée chez le néonatal,
puis atteint un taux basal un peu plus faible pour le reste de la vie.
La répartition de ces profils selon la nature des protéines codées par ces gènes (phases I, II ou III) est présentée sur la figure 31.
La plus grande partie des gènes considérés (entre 55 et 72 % selon la phase) a une expression préférentielle chez l’animal adulte. Toutefois, l’animal immature a des outils spécifiques de métabolisation. En effet entre 25 et 40 % des gènes considérés ont une expression préférentielle chez l’animal fœtal et/ou néonatal. Par ailleurs, dans chaque catégorie de gènes étudiés, le vieillissement de l’animal induit lui aussi des modifications d’expression. Dans la plupart des cas, l’expression est réduite, mais elle peut aussi être augmentée. Ainsi parmi les Cyp, 26.5% des gènes étudiés voient leur expression modifiée à l’âge de 24 mois. Parmi les gènes codant pour des enzymes de phase II, 23.1% ont une expression modifiée chez l’animal âgé. Les gènes codant pour des protéines de phase III sont 10.9% et la proportion d’augmentation de l’expression est presque aussi importante que la proportion de diminution. Dans cette catégorie, il semble que les gènes dont l’expression était augmentée chez l’animal fœtal et néonatal soient en partie réactivés à 24 mois alors que les gènes fortement exprimés uniquement chez le néonatal sont plutôt réduits.
Phase I Période
Espèce Fœtale Néonatale Références
Cyp1a1 rat - ↘ Lui et al., 2010
Cyp1a1 rat ↗ ↗ de Zwart et al., 2008
Cyp1a1/2* rat ↘↘ ↘↘ de Zwart et al., 2008
Cyp1a2 souris ↘↘ ↘↘ Lee et al., 2011
Cyp1a2 rat ↘↘ ↘↘ de Zwart et al., 2008
Cyp1a2 humain absente ↘↘ Shimada et al., 1996
Cyp1b1 souris ↘↘ ↘↘ Lee et al., 2011
Cyp2b1 rat - ↗ Asaoka et al., 2010
Cyp2b2 rat - ↗ Asaoka et al., 2010
Cyp2b1/2* rat ↘↘ ↘↘ de Zwart et al., 2008
Phase II Période
Espèce Fœtale Néonatale Références
Comt rat - ↘ Tellgren et al., 2003
Comt souris ↘↘ ↘↘ Lee et al., 2011
Gsta3 souris ↘ ↘ Lee et al., 2011
Gstm1 & 2 souris ↘ ↘ Lee et al., 2011 ; Cui et al., 2010
Gstm humain ↘ ↗ McCarver & Hines, 2002
Sult1a1 souris = ↗ Lee et al., 2011
Sult1a1 humain ↘ ↘ McCarver & Hines, 2002
Sult1a3 humain ↗ ↗ McCarver & Hines, 2002
Ugt1a1 humain absente = McCarver & Hines, 2002
Ugt1a3 humain ↘ ↘ McCarver & Hines, 2002
Ugt2b1 rat & souris ↘↘ ↘↘ Matsumoto et al., 2002
Ugt2b7 humain ↘↘ ↘ Strassburg et al., 2002
Phase III Période
Espèce Fœtale Néonatale Références
Bcrp rat ↗ ↗ de Zwart et al., 2008
Bcrp souris = ↘ Lee et al., 2011
Mrp1 rat & souris ↗ ↗ de Zwart et al., 2008, Lee et al., 2011
Mrp2 rat & souris ↘↘ surtout chez femelle de Zwart et al., 2008., Lee et al., 2011
Mrp3 rat ↗ ↗ de Zwart et al., 2008
Mrp3 souris ↘ ↘ Lee et al., 2011
Mrp4 souris ↗ = Lee et al., 2011
Oat3 rat ↗ ↗ de Zwart et al., 2008
Oatp1a1 souris ↘↘ ↘↘ Lee et al., 2011
Oatp1a4 rat ↘ ↘ de Zwart et al., 2008
Oatp1a4 souris ↘ = Lee et al., 2011
Oatp1b2 souris ↘ ↗ Lee et al., 2011
Oatp2b1 souris ↘↘ ↘↘ Lee et al., 2011
P-gp rat ↘ ↘ de Zwart et al., 2008
En 2008, de Zwart et al. se sont intéressés à la mise en place du système de métabolisation dans le foie et le rein de rats mâles et femelles entre 21 jpc et 42 jpn. Ils ont analysés les profils d’expression
de 7 Cyp450 (phase I) et 14 transporteurs (phase III) (de Zwart et al., 2008). Il a été mis en évidence
que 2 des 5 Cyp dont l’expression a été analysée par PCR quantitative sont très peu exprimés chez l’animal fœtal et/ou néonatal. Les 3 autres sont plus exprimés chez l’animal immature que chez l’adulte. En revanche, l’activité des Cyp est largement réduite chez l’animal fœtal et/ou néonatal, malgré l’éventuelle augmentation de l’expression des ARNm. Par ailleurs, l’activité enzymatique comme l’expression des ARNm peut présenter des disparités selon le sexe. Par exemple l’expression des ARNm du Cyp4a1 est équivalente chez les 2 sexes à 21 jpc mais l’activité est forte chez la femelle et faible chez le mâle. Sur les 14 transporteurs analysés dans le foie dans cette même étude, 6 sont faiblement exprimés chez l’animal fœtal et/ou néonatal et 7 autres présentent leur expression la plus forte entre 21 jpc et 7 jpn. Ces mêmes transporteurs ont été analysés dans le rein. L’un d’eux est d’ailleurs spécifique de cet organe, il n’a pas été détecté dans le foie. La répartition des prédominances d’expression chez l’animal fœtal/néonatal et mature est globalement la même que dans le foie mais certains gènes suivent des évolutions contraires au sein de ces 2 organes : par exemple Oatp1a4 est faiblement exprimés dans le foie fœtal et néonatal alors que c’est à ces âges que son expression est la plus forte dans le rein. À l’inverse, Oat3 est fortement exprimé dans le foie fœtal et néonatal mais faiblement exprimé dans le rein à ces âges. L’équipement métabolique est donc variable au cours du temps et ces variations peuvent être différentes selon l’organe considéré et bien sûr selon le sexe de l’individu étudié.
Au vu de toutes ces données, il semble essentiel de tenir compte de l’état de maturation du système métabolique dans chaque modèle utilisé. Le système de métabolisation des œstrogènes étant lui aussi évolutif au cours de la vie, une partie des enzymes concernées est présentée dans le tableau 9. Ce tableau récapitule les variations d’expression des enzymes par rapport à leur expression à l’âge adulte. Parmi les enzymes de phase I étudiées, Cyp1a2 semble être très peu exprimée en période périnatale chez les 3 espèces considérées. L’expression de Cyp1a1 est controversée chez le rat :
rapportée comme augmentée en période périnatale (de Zwart et al., 2008) ou au contraire diminuée
(Lui et al., 2010). Cyp 2b1/2 semblent très exprimés en période néonatale. En revanche, leur activité est extrêmement faible. En phase II, les COMT sont très peu exprimés chez les rongeurs. L’expression de GST par les nouveau-nés pourrait présenter des différences inter-espèces : augmentée chez l’homme, diminuée chez la souris. Les UGT sont généralement très peu exprimées voire absentes chez l’homme et les rongeurs. L’expression de Sult1a1 en période périnatale semble dépendre de l’espèce : diminuée chez l’homme, augmentée chez la souris (à l’inverse des GST). Par ailleurs,
Runge-Morris, 1997 a montré que chez le rat mâle, le taux hépatique de Sult1e1, faible à la
naissance, augmente entre la puberté et la maturité pour ensuite diminuer jusqu’à la sénescence de l’animal. Parmi les enzymes de phase III, Bcrp, Pgp et Mrp3 présentent des variations d’expression
Figure 32 : Atteintes génotoxiques de l’ADN et mécanismes de réparation.
Les adduits sont formés par des molécules capables de se fixer sur la molécule d’ADN par liaison chimique avec les bases azotée. Leur réparation implique l’excision du nucléotide concerné et utilise le second brin d’ADN comme matrice pour combler la lésion. Les cassures simple brin et les oxydation de bases induisent le même mécanisme de réparation : seule la base est excisée et remplacée par complémentarité avec le brin non lésé. Les cassures double brin en revanche font appel à 2 mécanismes distincts : la recombinaison grâce au brin complémentaire si les 2 brins ne sont pas coupés exactement au même endroit ou la religation d’extrémités non homologues.
D’après Rass et al., 2012.
Cassure simple brin Ou altération de base
(oxydation)
Cassure double brin
Réparation : Excision de base
et homologie
Recombinaison homologue Religation d’extrémités non homologues
Adduit
Excision de nucléotide et homologie
dépendantes de l’espèce. Cependant la majorité des enzymes considérées sont peu exprimées en période périnatale contrairement à l’âge adulte. Seule 1 enzyme de phase II (Sult1a3, chez l’homme) semble plus fortement exprimée à cette période, ainsi que quelques transporteurs (Mrp1, Oat3, Mrp4 ou Oatp1b2). Ceci laisse supposer que le système de détoxication des œstrogènes est globalement immature à la naissance et ne se met en place que progressivement. Par ailleurs, les sulfatases sont très exprimées à cet âge. Ces enzymes effectuent l’action inverse des sulfotransférases : elles clivent les groupements sulfates, réduisant ainsi l’efficacité de la sulfoconjugaison. En revanche, la 17bHSD2, en charge de la conversion de E2 en E1, est fortement exprimée.
De plus, le traitement par différentes molécules au cours de la période de mise en place du système enzymatique de détoxication peut engendrer des conséquences à long terme, comme une « empreinte enzymatique ». C’est le cas par exemple de l’administration néonatale de DES, induisant une « féminisation » du système des Cyp chez le rat mâle. Cette féminisation consiste en l’abolition
de la surexpression de ces enzymes chez le mâle (Lucier et al., 1979). Le DES est une molécule
capable d’interférer dans le système hormonal d’un individu.
5. ATTEINTES DE L’ADN