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Matrones, sages-femmes, accoucheuses : flou du vocabulaire et sévérité du jugement

« Il se croit dispensé d’entrer dans aucun détail sur la nécessité

B. Trame, fil et navette : le tissage d’un discours

1) Matrones, sages-femmes, accoucheuses : flou du vocabulaire et sévérité du jugement

Le dernier tiers du XVIIIe siècle et la première moitié du XIXe siècle correspondent à un temps de flottement dans la désignation de l‘auxiliaire féminine de l‘accouchement. On observe parallèlement une polarisation du discours sur deux figures antagonistes : la mauvaise et la bonne praticienne de l‘accouchement. La production lexicographique, littéraire et documentaire du temps propose trois termes, « accoucheuse », « matrone » et « sage-femme », dont les relations (synonymie, antonymie, hiérarchie) sont diverses en fonction du cadre discursif où ils apparaissent. Les ouvrages de lexicographie permettent de suivre l‘évolution d‘un vocable sur le temps long, et de saisir les inflexions fines de signification et d‘usage qui peuvent le toucher, comme un écho assourdi des emplois dans les documents de la pratique.

Le corpus retenu pour apprécier la place respective et réciproque des trois mots recouvre une période volontairement large, pour observer au mieux les modifications dont l‘introduction dans les dictionnaires est toujours plus lente que dans l‘usage commun. Les ouvrages de référence relèvent de trois catégories. La première est constituée des dictionnaires de la langue française, à savoir les première (1694), quatrième (1762), cinquième (1798) et sixième (1835) versions du Dictionnaire de l’Académie française, le Dictionnaire universel de Furetière65, le Dictionnaire critique de la langue française de Jean-François Féraud66 et le Dictionnaire de la langue française de Littré67. Les encyclopédies forment le second groupe : l‘Encyclopédie de Diderot et d‘Alembert68 et le Grand dictionnaire universel du XIXe siècle de Larousse69. Enfin les dictionnaires de médecine constituent la troisième catégorie d‘ouvrages consultés : le Dictionnaire de chirurgie de Le Vacher (1767)70, l‘Encyclopédie méthodique (1787-1830)71, le Dictionnaire des sciences médicales édité par Panckoucke à partir de 181272, le Dictionnaire des termes de médecine, chirurgie, art vétérinaire, etc., dirigé par Bégin en 182373, le Dictionnaire de médecine, de chirurgie, de pharmacie, des sciences accessoires et de l’art

65 Antoine Furetière, Dictionnaire universel, contenant généralement tous les mots françois tant vieux que modernes, et les termes de

toutes les sciences et des arts, La Haye, A. et R. Leers, 1690.

66 Jean-François Féraud, Dictionnaire critique de la langue française, Marseille, Mossy, 1787-1788.

67 Émile Littré, Dictionnaire de la langue française, Paris, L. Hachette, 1873-1874.

68 Denis Diderot, Jean Le Rond d‘Alembert, Encyclopédie…, op. cit.

69 Pierre Larousse, Grand dictionnaire universel du XIXe siècle : français, historique, géographique, mythologique, bibliographique..., Paris, Administration du Grand dictionnaire universel, 1866-1877.

70 Thomas Le Vacher de la Feutrie, François Moysant, La Macellerie, Dictionnaire de chirurgie, Paris, Lacombe, 1767.

71 Société de médecins, Encyclopédie méthodique, médecine, Paris, Panckoucke, 1787-1830.

72 Société de médecins et de chirurgiens, Dictionnaire des sciences médicales, Paris, Panckoucke, 1812-1822.

73 Louis-Jacques Bégin, et al., Dictionnaire des termes de médecine, chirurgie, art vétérinaire, pharmacie, histoire naturelle, botanique,

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vétérinaire de Nysten (éditions de 1833 et 1855)74 et le Dictionnaire de médecine usuelle de Beaude (1849)75.

La recherche au sein de ce corpus s‘est limitée aux trois termes évoqués plus haut car l‘usage d‘autres termes est rarissime. Hapax complet, on rencontre sous la plume des administrateurs de la municipalité de Saint-Georges d‘Espéranches la désignation « tatonneuse »76. À partir de cette recherche, il a été possible d‘étudier les définitions respectives et les jeux de renvois d‘un article à l‘autre, voire d‘un ouvrage à l‘autre, opérés par les différents auteurs. Les catégories du corpus n‘ont pas donné lieu à une étude séparée car les liens entre les diverses publications sont très importants et apparaissent clairement lorsqu‘on juxtapose les articles qui en sont tirés. Les trois termes se sont révélés présents de manière inégale dans le corpus. L‘article « sage-femme » bénéficie toujours d‘une entrée, quel que soit l‘ouvrage considéré, tandis que le terme « accoucheuse » est parfois couplé au terme « accoucheur » sans disposer d‘un article particulier (Furetière, Dictionnaire de l’Académie française à partir de sa 5e version de 1835, Littré, Larousse) ou absent comme chez Beaude. Quant au terme « matrone », il fait en général l‘objet d‘une entrée, à l‘exception du Dictionnaire critique de la langue française de Féraud et du Dictionnaire de médecine usuelle de Beaude. Notons de plus qu‘un ouvrage comme le Dictionnaire de chirurgie de Le Vacher se contente de renvoyer des termes « accoucheuse » et « matrone » vers celui de « sage-femme », sans autre forme de définition. Le système des renvois pour plus ample information se rencontre plutôt dans les ouvrages de type encyclopédique. À la fin de l‘article « matrone » de l‘Encyclopédie de Diderot et d‘Alembert, se trouve ainsi un renvoi vers l‘article « sage-femme », de même qu‘à la fin de l‘article « accoucheuse » de l‘Encyclopédie méthodique. Dans ce dernier cas, le renvoi n‘est cependant pas pertinent puisque le développement explicatif prend place dans l‘article intermédiaire « matrones, sages-femmes, accoucheuses », paru en 1808, presque vingt ans avant la parution de l‘article « sage-femme », réduit à sa plus simple expression. Les dictionnaires ne sont pas en reste sur cette pratique du complément d‘article comme le montrent le renvoi à l‘article « accoucheur » pour « accoucheuse » dans le Dictionnaire de Féraud, ou encore le Dictionnaire des sciences médicales et le Dictionnaire de médecine de Pierre-Hubert Nysten dans sa première édition qui complètent l‘article « accoucheuse » par l‘article « sage-femme ».

74 Pierre-Hubert Nysten, Isidore Bricheteau, Joseph Briand, Etienne Ossian Henry, Dictionnaire de médecine, de chirurgie,

de pharmacie, des sciences accessoires et de l’art vétérinaire, Paris, J.S. Chaudé ; Montpellier, Sévalle, 1833 ; Pierre-Hubert

Nysten, Emile Littré, Charles Robin, Dictionnaire de médecine, de chirurgie, de pharmacie, des sciences accessoires et de l'art

vétérinaire de P.-H. Nysten, 10e édition, entièrement refondue par É. Littré,... Ch. Robin,... Ouvrage augmenté de la Synonymie latine, grecque, allemande, anglaise, italienne et espagnole et suivi d'un glossaire de ces diverses langues, Paris, J.-B. Baillière, 1855.

75 Jean-Pierre Beaude, Dictionnaire de médecine usuelle, 2 tomes, Paris, Didier, 1849.

76 Arch. dép. Isère, L 532, mémoire de la municipalité de Georges-d‘Espéranche, novembre 1790. Saint-Georges-d‘Espéranche, dép. Isère, arr. Vienne, cant. Heyrieux.

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L‘explication du mot est aussi l‘occasion de poser des équivalences de signification. Elles fonctionnent de « matrone » vers « sage-femme » en priorité (Furetière, Dictionnaires de l‘Académie, Bégin, Nysten, Larousse), et plus rarement de « matrone » vers « accoucheuse » (Bégin et Nysten). L‘équivalence « accoucheuse »/« sage-femme », matérialisée par l‘emploi du premier pour définir le second, est moins fréquente (Le Vacher, Féraud), tandis que le recours à « matrone » pour définir « sage-femme » n‘est présent que chez Furetière au tout début de la période. La prééminence du vocable « sage-femme » apparaît nettement à la confrontation des trois termes et des articles qui leur sont consacrés. D‘un point de vue qualitatif, les mentions d‘histoire de l‘usage linguistique présentes dans le corpus tendent quasiment toutes à faire du terme « sage-femme » la référence de l‘usage courant et surtout de l‘usage contemporain de la rédaction, réduisant l‘usage d‘« accoucheuse » et de « matrone » à une pratique obsolète ou spécialisée (juridique en l‘occurrence dans ce second cas).

Accoucheuse : on dit plutost sage-femme (Académie, 1694, Encyclopédie) ; on dit plus communément sage-femme (Académie, 1762 et suivantes, Féraud) ; le mot sage-femme, qui est synonyme, est plus usité (Nysten, 1833) ; on dit plus souvent sage-femme (Nysten, 1855) ; on dit plus ordinairement sage-femme (Larousse).

Matrone : est aussi le nom de celle qu‘on appelle proprement sage-femme (Furetière) ; qu‘on appelle vulgairement sage-femme (Encyclopédie) ; un usage assez ancien a fait succéder en France au nom de matrone, celui de sage-femme (Encyclopédie méthodique) ; il n‘a d‘usage qu‘en termes de pratique (Académie, 1762 et 1798) ; aujourd‘hui, il n‘est plus guère usité qu‘en termes de pratique (Dictionnaire des sciences médicales, Panckoucke).

Il s‘établit donc une hiérarchie lexicale qui place la sage-femme au-dessus de la matrone et au-dessus, au bout du compte, de l‘accoucheuse. Le statut de ce dernier terme n‘est cependant pas aussi tranché et l‘usage comme sa fixation normative hésitent entre l‘infériorité et l‘équivalence stricte avec « sage-femme ». La place consacrée dans les dictionnaires et les encyclopédies à cette entrée est à cet égard significative. « Accoucheuse » correspond autant à une fonction qu‘à une profession, comme le rappelait en 1788 le cahier de doléances d‘Aups (sénéchaussée de Draguignan) : « qu‘il ne soit permis à aucune sage-femme d‘exercer la délicate fonction d‘accoucheuse sans avoir fait un cours d‘accouchement »77. À ce titre, le mot revêt une certaine neutralité qui pousse le rédacteur de l‘article dans le Dictionnaire des sciences médicales à déclarer : « Ce nom convient mieux que sage-femme ou matrone à celle qui assiste la femme pendant le travail et qui donne les premiers soins à l‘enfant ». Cette préférence n‘est pas isolée puisque la motion d‘ordre présentée au Conseil des Cinq-Cents par le député de la Creuse, Jean-François Baraillon, le 14 nivôse de l‘an V, sur les établissements relatifs à l‘art de guérir, le mode d‘admission du personnel médical et la police de la médecine, n‘emploie que le terme

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accoucheuse78. Quelle explication donner à cette tentative de substitution lexicale ? Il est probable que se soit exprimée la volonté de rapprocher la dénomination féminine de la dénomination masculine, soit pour relever le prestige de la profession, soit pour subordonner plus étroitement les accoucheuses aux accoucheurs devenus officiers de santé en imposant un nom que les sages-femmes n‘utilisent en général pas pour se désigner.

Qu‘en est-il alors de la matrone ? Qu‘en est-il surtout de la comparaison entre norme et pratique ? Au corpus lexicographique correspond un corpus documentaire composé d‘une part d‘extraits des cahiers de doléances de 1788-1789 et d‘autre part d‘un ensemble de textes rédigés entre 1790 et 180379. Ce second groupe recouvre un large spectre de producteurs puisque s‘y côtoient administrations centrales ou conseils généraux de département, administrations de district, de communes, projets de législation sur l‘enseignement et l‘exercice de la médecine, correspondance préfectorale ou ministérielle, et textes rédigés par des médecins ou des chirurgiens. D‘un point de vue thématique, ces extraits s‘inscrivent dans une rhétorique de dénonciation des manques obstétricaux et des abus dans ce domaine pour réclamer la mise en place d‘un enseignement. C‘est le visage sombre de l‘auxiliaire de l‘accouchement qui est ici présenté.

Le résultat de l‘enquête lexicale sur « matrone » dans le groupe des dictionnaires a abouti à une appréciation plutôt neutre du vocable. Assez tôt vieilli, et cantonné dans une utilisation renvoyant à l‘expertise judiciaire (vérification de la virginité, de la grossesse ou de l‘impuissance masculine), le mot matrone n‘est jamais négativement connoté dans les dictionnaires ou les encyclopédies. Il bénéficie même, dans l‘article « matrones, sages-femmes, accoucheuses » de l‘Encyclopédie méthodique, d‘une présentation positive :

Ces femmes qui par état facilitent l‘accouchement, assistent les femmes en couches, reçoivent les enfants à leur naissance, ont reçu chez tous les peuples un nom qui annonce assez le haut degré de considération dont ont joui celles de ces sages-femmes qui ont mérité la confiance publique. Chez les Grecs, on les appelait maia iatrina, mère médecin ; chez les Espagnols, comadre ou partera, commère, seconde mère ou accoucheuse ; en France, matrones, dames ou mères […]

78 Motion d‘ordre de Jean-François Baraillon, député de la Creuse, membre du conseil des Cinq-Cents sur les établissements relatifs à l'art de guérir, le mode d'admission des officiers de santé et des accoucheuses, et la police de la médecine. Séance du 14 nivôse an 5 (3 janvier 1797), dans Arthur Marais de Beauchamp, Enquêtes et documents

relatifs…, op. cit., p. 222 sq.

79 Ces extraits sont au nombre de 28 entre 1790 et février 1803. Ils émanent de députés au Corps législatif (2, Creuse et Haute-Garonne), de la Société Royale de Médecine (1), du ministre de l‘Intérieur (1), d‘administrations centrales de département (6, Cantal, Ille-et-Vilaine, Gers, Côte-d‘Or, Rhône, Isère), de conseil général de département (1, Lozère), d‘administration de districts (5, Aurillac, Mauriac et Saint-Flour dans le Cantal, Saint-Marcellin dans l‘Isère, Dinan dans les Côtes-du-Nord), d‘administrations municipales (2, Saint-Georges d‘Espéranches dans l‘Isère, Dôle dans le Jura), de préfets (1, Ariège), enfin, de médecins et de chirurgiens (9, Icart du Tarn, Dubois des Côtes-du-Nord et du Finistère, Bonnieu des Côtes-du-Nord, Raillard du Cher, Mahé d‘Ille-et-Vilaine, Bonnet de l‘Aude, Pilhès de l‘Ariège).

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À l‘inverse, c‘est l‘accoucheuse qui fait l‘objet de l‘anathème le plus féroce dans l‘article de l‘Encyclopédie qui dénonce, en reprenant les propos de Boerhaave, son imprudence et sa témérité, et n‘hésite pas à rapporter le propos de La Mettrie selon lequel « il vaudroit mieux pour les femmes qu‘il n‘y eût point d‘accoucheuses »80.

Le corpus documentaire fait en revanche apparaître une utilisation clairement connotée négativement du terme « matrone ». Ce dernier n‘est jamais utilisé dans les cahiers de doléances dont la vocation est plus prescriptive que descriptive, mais il apparaît à neuf reprises dans l‘ensemble d‘extraits à partir de 1790. Il est toujours associé à un adjectif dépréciatif ou à un récit critique :

[…] les suites ont été funestes par la mauvaise manœuvre des matrones (1792)81 ; quelque matrone dont l‘ignorance dans cette partie saisit de crainte (1792)82 ; comme l‘ignorance est toujours présomptueuse, les matrones de nos jours ne doutent de rien (an II)83 ; des matrones ygnorantes (an IV)84 ; les mains meurtrières des matrones (an VI)85 ; l‘impéritie de la plupart des matrones (an VI)86 ; l‘ignorance de nos matrones (an X)87.

Cette récurrence dessine le fossé qui commence à se creuser entre « sage-femme » et « matrone », mais ce fossé est encore mouvant et les occurrences du terme « sage-femme » sont aussi, dans 15 cas sur 17, associées à une qualification péjorative. Ajoutons que l‘autodésignation peut tirer le terme « matrone » des enfers, comme le montre l‘exemple de la bretonne Gabrielle Gouïvou Dupluvinage qui signe « matrone de Lesneven » en 179188, preuve supplémentaire de la disparité sociale des discours.

Une évolution semble pourtant se faire jour dans l‘usage de la dénomination de « sage-femme ». L‘instruction est devenue un point de référence, comme le rappelle cet arrêté de l‘administration départementale d‘Ille-et-Vilaine :

[…] à l'effet principalement de procurer aux campagnes des sages-femmes instruites, et de prévenir les maux incalculables que le défaut ou leur impéritie occasionnent […]89

Ou encore cette lettre du président de l‘administration départementale de l‘Isère :

Je dois vous faire observer que vous ne devez comprendre dans ce tableau que les sages-femmes qui ont suivi les cours d'accouchement, et non celles qui n'ont pour principes qu'une routine aveugle et imprévoyante […]90

80 Herman Boerhaave (Voorhout, 1668 - Leyde, 1738), botaniste et médecin ; Julien Jean Offray de La Mettrie (Saint-Malo, 1709 – Potsdam, 1751), médecin et philosophe.

81 Arch. dép. Isère, L 532. 82 Arch. dép. Cantal, L 587. 83 Arch. dép. Côtes-d‘Armor, 1 L 594. 84 Arch. dép. Cher, 1 L 625. 85 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, L 965. 86 Arch. dép. Rhône, 1 L 531. 87 Arch. dép. Lozère, 1 N 103*.

88 Arch. dép. Finistère, 10 L 163, lettre au responsable de l‘administration municipale, 10 avril 1791. Lesneven, dép. Finistère, arr. Brest, ch.-l. cant.

89 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, L 965, arrêté du 17 mars 1792.

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Des nuances viennent compléter le terme pour différencier l‘idéal de la réalité défaillante. L‘opposition entre ville et campagne ressort au premier chef, dans la continuité du chirurgien bas-limousin Desfarges qui évoquait en 1786 « l‘ignorance des sages-femmes de la campagne » et les « Lucines instruites » de Paris et des grandes villes91. Préciser l‘origine rurale de la sage-femme amoindrit d‘emblée la valeur de la personne évoquée. La seconde technique consiste à introduire l‘idée d‘usurpation de fonction dans la désignation de la sage-femme. Ainsi parle-t-on de « soi-disant sages-femmes »92, de « matrones, qui sous le nom de sages-femmes »93, de « certaines femmes qui sans titre se donnent pour accoucheuses »94 (terme relayé par « sage-femme » dans le même paragraphe) etc. La période qui suit 1803 et la loi sur l‘exercice de la médecine du 19 ventôse an XI voit perdurer ces formulations jusque tard dans le siècle : « prétendues sages-femmes »95 (1808), « celles qu‘on nomme très improprement sages-femmes »96

(1834).

La clé de cette évolution linguistique réside dans le tournant normatif de la loi de ventôse an XI. Ce texte sanctionne le choix officiel et définitif d‘un terme, « sage-femme », au détriment des deux autres. La pratique lexicale subit dès lors une inflexion forcée puisque « sage-femme » n‘est plus seulement un nom de métier, sujet à variations éventuelles, mais un titre qui porte la reconnaissance légale d‘une formation et le droit exclusif à l‘exercice d‘une profession. Se parer du titre de sage-femme après ventôse an XI signifie se mettre hors la loi. La ligne de démarcation entre matrone et sage-femme passe au cœur de l‘article 35 du titre VI :

Six mois après la publication de la présente loi tout individu qui continuerait d‘exercer la médecine ou la chirurgie, ou de pratiquer l‘art des accouchements, sans être sur les listes, dont il est parlé aux articles 25, 26 et 34, et sans avoir de diplôme, de certificat ou de lettre de réception, sera poursuivi et condamné à une amende pécuniaire envers les hospices.