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Maintien et invention de la Maternité dans la constellation européenne

Naissance de la sage-femme française

A. École exceptionnelle, école unique : l’Hospice de la Maternité de Paris

2. Maintien et invention de la Maternité dans la constellation européenne

a) Paris, entre création et recréation

L‘arrêté du 11 messidor an X naît d'un projet d'organisation du service de la maternité présenté par le Conseil d'administration des hospices de la ville de Paris au ministre de l'Intérieur28. Ce projet et l'arrêté qui en découlent ont pour objet de fixer les deux principaux aspects du service qui sont : « 1° la direction des accouchemens et l'instruction à donner aux élèves sages-femmes ; 2° la direction du régime des enfans et le traitement des malades qui seront reçus dans les infirmeries »29. La vocation de l'école est tracée en quelques mots. L'institution voulue par Chaptal, qui en revendique clairement la paternité, doit être le temple de l'art des accouchements mais un temple desservi par les seules élèves accoucheuses.

Je crois, citoyen Préfet, avoir trouvé dans l'organisation des hôpitaux de la ville de Paris, le moyen de seconder les désirs que vous m'avez souvent manifestés, de procurer aux Sages-femmes une instruction plus complète et à-la-fois moins dispendieuse. Vous trouverez ci-jointe copie d'un règlement j'ai adopté pour l'un des hôpitaux de cette ville, connu sous la dénomination d'Hospice de la Maternité30.

En 1802, l'école de l'Hospice de la Maternité de Paris prend donc sans solution de continuité la suite des cours donnés aux apprentisses par la sage-femme en chef de l'Hôtel-Dieu. Toutefois, il ne s'agit pas d'une simple réforme ou réorganisation de l'établissement. Si la caractéristique première de cette succession est l'immédiateté, celle-ci recouvre pourtant des modifications très profondes. Le principe d'une école où le volet clinique de la pédagogie constitue l'axe structurant de l'enseignement est conservé. Mais le personnel enseignant et la taille des classes n'ont plus guère à voir avec la transmission quasi familiale du savoir par la sage-femme

28 Arthur Marais de Beauchamp, Recueil des lois et règlements…, tome 1, op. cit., p. 87-89, arrêté-règlement du ministre de l'Intérieur sur les divisions du service de la Maternité, 11 messidor an X, voir Annexe 1 dans le volume de pièces justificatives.

29 Ibid., p. 87.

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en chef à ses quelques élèves. Les leçons sont désormais données pour la théorie par le chirurgien-accoucheur en chef et pour le « manuel des accouchemens » par la sage-femme en chef (art. 8 et 9)31. Quant au nombre d'élèves, il est prosaïquement fonction de ce que les bâtiments peuvent accueillir (art. 2)32. L'arrêté-règlement prévoit même qu'en cas de dépassement de ce nombre, le conseil d'administration des hospices trouve des logements supplémentaires (art. 4)33. La durée de formation est doublée, voire quadruplée lorsque les élèves suivent deux cours consécutifs (art. 5 et 6)34. Au bout du compte, le changement d'échelle est spectaculaire, de dix à vingt élèves à une centaine par an pendant les premières années d'existence de l'école35. L'adjonction d'un autre enseignant à la sage-femme, le chirurgien-accoucheur en chef, et sa prééminence hiérarchique rompent, au moins en apparence, avec la logique d'un enseignement strictement féminin où l'homme de l'art n'était qu'un auxiliaire sans autorité sur les accoucheuses. De plus, le ressort de l'école de l'Hospice de la Maternité de Paris est l'ensemble de la France, soit le ressort des trois écoles de médecine. Dernière caractéristique, déjà mentionnée : l‘établissement n‘est ouvert qu‘aux élèves féminines, après que la proposition du service de santé des hôpitaux de Paris d‘y admettre des étudiants en médecine a été repoussée36. La principale raison donnée de cette éviction des hommes est la préservation de la pudeur des élèves. Si elle apparaît incontestable dans les différentes déclarations de Marie-Louise Lachapelle s‘insurgeant contre la perspective d‘un enseignement mixte37, et si plus tardivement, c‘est encore cette raison – « C‘est contre la moralité » – qui revient sur les lèvres des obstétriciens parisiens lorsqu‘ils évoquent la fermeture de la Maternité à la gent masculine38, il semble difficile de s‘en tenir là pour justifier le

31 Arthur Marais de Beauchamp, Recueil des lois et règlements…, tome 1, op. cit., p. 88 : « Art. 8. – La durée de chaque leçon sera d‘une heure : la moitié de ce temps sera consacrée à l‘enseignement des diverses parties de l‘art, et l‘autre moitié à des conférences sur le sujet des leçons qui auront précédé, dans lesquelles les élèves seront tenues de répondre aux questions qui leur seront proposées, afin de justifier de leur aptitude et de leurs progrès. Art. 9. – Indépendamment de ces leçons théoriques et élémentaires, les élèves sages-femmes seront exercées au manuel des accouchemens par la sage-femme en chef », voir Annexe 1.

32 Ibid., p. 87 : « Art. 2. – Il sera admis à l‘hospice de la Maternité, des élèves sages-femmes qui devront savoir lire et écrire ; elles y seront reçues au nombre que pourra le permettre l‘étendue des bâtimens. »

33 Ibid. : « Art. 4. – Dans le cas où les demandes des Préfets des départements, pour l‘envoi des élèves sages-femmes, excéderaient le nombre que l‘étendue des bâtimens permettra d‘y recevoir, pourra le conseil d‘administration prendre des mesures pour leur assurer un asyle à la proximité de l‘hospice, si mieux n‘aiment les élèves se loger à leurs frais et dépens ».

34 Ibid., « Art. 5. – Le cours d‘étude commencera le 1er messidor et le 1er nivôse de chaque année ; sa durée sera de six mois. Art. 6. – Les élèves qui ne se croiront pas suffisamment instruites à la fin de leur semestre, pourront en passer un autre dans l‘hospice au même titre, en prévenant un mois d‘avance pour obtenir cette autorisation ; elles seront tenues de se présenter au jury de santé de l‘hospice, qui déterminera si cette prolongation de séjour leur est nécessaire, et si elles sont dans le cas d‘en profiter ».

35 Scarlett Beauvalet-Boutouyrie, Naître à l'hôpital..., op. cit., p. 137.

36 Ibid., p. 108 ; Paul Delaunay, La Maternité…, op. cit., p. 281 : « Le Code spécial des 14-16 pluviôse an X avait prévu l‘adjonction à la sage-femme en chef de 6 élèves sages-femmes au moins. Le règlement du service de santé des hospices du 4 ventôse an X, décida la création d‘un enseignement obstétrical plus vaste donné à des étudiants en médecine et à des sages-femmes en nombre indéterminé ».

37 Scarlett Beauvalet-Boutouyrie, Naître à l’hôpital…, op. cit., p. 137.

38 Eduard Caspar Jacob von Siebold, Lettres obstétricales, traduites de l‘allemand par Alphonse Morpain, avec une introduction d‘Alexis Stoltz, Paris, Baillière, 1866, p. 76.

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choix de réserver l‘institution aux seules sages-femmes. Distraire une part des femmes enceintes du total des admises pour établir une clinique obstétricale dans un bâtiment distinct, ou instaurer une formation alternante au cours de l‘année entre sages-femmes et médecins n‘eût sans doute pas été hors de portée. Le choix initial et sa perpétuation pendant un siècle répondent à des logiques plus complexes.

Encadrement pédagogique renforcé, élargissement de l'audience de la formation, approfondissement du savoir délivré : l'établissement nouvellement créé pour les sages-femmes acquiert une place à part dans le réseau européen des maternités-écoles. Pour prendre la mesure de cette place, il faut revenir sur celle de l'Office des accouchées avant lui, et reconstituer le stemma des influences dans « l'Europe des accoucheurs »39. La primauté et l'antériorité de l'établissement parisien en font l'ancêtre de toutes les institutions européennes de formation obstétricale. Dès le XVIIe siècle, la renommée des accoucheurs qui occupent la charge de chirurgien de l'Hôtel-Dieu et peuvent ainsi exercer leur art au sein de l'Office des accouchées, se diffuse, en France et au-delà, par la publication et la traduction des œuvres de Mauriceau, Dionis ou Mauquest de la Motte40. Au siècle suivant, dans la pratique du « grand tour » européen d'approfondissement de la formation médicale, le passage à Paris, auprès de grands obstétriciens comme Levret, Puzos ou plus tard Solayrès de Renhac41, se complète en général d'une visite de l'Office. L‘Italie est un excellent exemple de cette double influence française, institutionnelle et individuelle. Dans la continuité de la tradition curiale savoyarde d'appel à des sages-femmes françaises, la maternité de Turin fondée en 1720 met à sa tête une ancienne élève de l'Hôtel-Dieu. Huit ans plus tard, une réforme en fait une véritable école de sages-femmes42. Ailleurs, l'influence est plus individuelle, les maîtres de l'obstétrique péninsulaire sont venus compléter leur savoir auprès des accoucheurs français : Giuseppe Vespa de Florence, Domenico Ferraro de Naples43. Les cliniques sont dans l'ensemble plus lentes à se mettre en place en Italie et les écoles de sages-femmes précèdent presque partout la formation à destination des chirurgiens et des médecins (Florence en 1773, Milan en 1767, etc.)44.

39 Jacques Gélis, La sage-femme ou le médecin..., op. cit., p. 289.

40 Ibid., p. 329.

41 Ibid., p. 174.

42 Ibid., p. 178 ; Nadia Maria Filippini, « Sous le voile : les parturientes et le recours aux hospices de maternité à Turin, au milieu du XIXe siècle », dans RHMC, t. 49, n°1, janv.-mars 2002, p. 179 ; Claudia Pancino, Il bambino e l’acqua

sporca…, op. cit., p. 93-97.

43 Ibid., p. 102-107 (Florence) ; Eduard Caspar Jacob von Siebold, Essai sur l'histoire de l'obstétricie, op. cit., p. 503. Giuseppe Vespa commence son enseignement à Florence en 1761 et Domenico Ferraro, à Naples, en 1778.

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b) De Strasbourg à l’Empire

Parmi les accoucheurs qui hantent les rues de la capitale, on compte, entre 1712 et 1714, le strasbourgeois Jean-Jacques Fried45. Celui-ci obtient de passer deux années dans le service des accouchées de l'Hôtel-Dieu pour approfondir ses connaissances. À son retour dans sa ville natale, il devient Hebammenmeister, professeur de l'art des accouchements pour les sages-femmes de Strasbourg. En 1728, la réforme du statut des accoucheuses de la cité et de leur formation, sous l'égide du prêteur royal Klinglin, permet à Jean-Jacques Fried d'appliquer les principes d'enseignement observés à Paris46. Les cours théoriques ont lieu à son domicile mais s'y ajoutent des visites à l'hôpital civil qui sont l'occasion pour les élèves sages-femmes d'examiner des femmes enceintes, d'observer le déroulement des accouchements et de les pratiquer lorsqu'ils se présentent sans complication. Ce système, très imparfait, perdure une petite dizaine d'années avant que ne soit fondée en 1737, toujours sous la direction de Fried, une véritable école pratique dans les locaux de l'hôpital civil47.

Strasbourg dispose désormais de son « Office des accouchées » rhénan. Cette fondation, « école mère de toutes celles de l'Allemagne »48, constitue le point de départ d'un nouveau mode de transmission de l'art des accouchements qui bouleverse durablement l'obstétrique européenne. L'école strasbourgeoise inaugure une association, inédite en France mais appelée à un bel avenir, dans l'espace germanique en premier lieu : celle de la réunion dans un même établissement d'enseignement des sages-femmes et des étudiants en médecine. Si jusqu'en 1737, il ne s'agit pour ces derniers que d'un « enseignement permis et non officiel », comme le souligne Joseph-Alexis Stoltz dans son manuscrit d'une histoire de l'école d‘accouchement de Strasbourg, la création de l'école pratique est confortée par la création conjointe d'une chaire extraordinaire de l'art des accouchements à la faculté de médecine, détenue par le Hebammenmeister puis par son adjoint. Le lien entre université et école d‘accouchement est posé, même s'il faut attendre la création de la maternité-école de Göttingen pour qu'une institution de ce type ait officiellement un statut

45 Ibid., p. 297-298.

46 Arch. dép. Bas-Rhin, 150 J 110, Ordnung des Hebammenmeisters, 1728.

47 Ibid., manuscrit de Joseph-Alexis Stoltz sur l'école d‘accouchement de Strasbourg, notes inédites. Le dernier titulaire de la chaire de clinique obstétricale de la Faculté de médecine de Strasbourg avant 1870, Joseph-Alexis Stoltz, devenu dès 1872, professeur à l‘université de Nancy, rassemble à la fin de sa vie une abondante documentation sur l‘histoire de l‘obstétrique strasbourgeoise qu‘il ambitionne visiblement de mettre en forme pour en tirer une histoire de l‘école d‘accouchement de sa ville d‘origine. Ces notes, déposées avec l‘ensemble des archives Stoltz aux archives départementales du Bas-Rhin (sous-série 150 J), sont restées à l‘état d‘esquisses, souvent redondantes mais permettent néanmoins de suivre le travail de recherche de l‘auteur et le plan envisagé pour cet ouvrage.

48 Eduard Caspar Jacob von Siebold, Essai sur l'histoire de l'obstétricie, Göttingen, 1839 (t. 1), 1845 (t. 2), trad. de l'allemand par F. J. Herrgott, Paris, G. Steinheil, 1891, t. 2, p. 371, citation d'Osiander, professeur d'obstétrique et directeur de la maternité de Göttingen entre 1792 et 1822.

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universitaire par sa définition et son financement étatique49. En 1751, Johann George Roederer, élève et compatriote de Fried à Strasbourg, est appelé par Haller à Göttingen50 :

Il ne devait pas se borner à faire, pendant quelques semestres, un cours d'accouchement qui manquait au programme de l'université Georgia Augusta, mais il devait y ajouter un enseignement pratique qui, depuis longtemps avait été rendu possible à Strasbourg par la création de la maternité. Le curateur de l'université, Gerlach de Münchhausen, auquel elle doit d'être devenue si florissante, approuva la position de Haller, de créer un établissement semblable à celui de Strasbourg, et d'en confier la direction au professeur qu'il avait appelé51.

Pourvu de la direction de la nouvelle institution, Roederer reçoit de plus, comme avant lui son maître Fried, le titre de professor extraordinarius52. L'enseignement de l'obstétrique entre donc par la bande – un statut de professeur extraordinaire53 – dans le paysage des facultés de médecine. Avant la fondation de la maternité goettingeoise, l'art des accouchements n'est pas complètement absent de l'enseignement universitaire, mais il n'est en général enseigné qu'en simple chapitre de la chirurgie. Pendant la seconde moitié du XVIIIe siècle, des cours épisodiques sont ainsi donnés dans les universités allemandes : un semestre par an à Göttingen de 1739 à 1742, un cours pendant l'hiver à Helmstedt en 1754. L'association officielle entre un établissement d'accueil des parturientes et le cursus universitaire relègue ce saupoudrage pédagogique au rang de pratiques obsolètes et devient le nouveau modèle de l'enseignement obstétrical. L'Essai sur l'histoire de l'obstétricie, fruit de dix ans de recherches du professeur Eduard Caspar Jacob von Siebold, quatrième titulaire de la chaire d'obstétrique goettingeoise, évoque ces créations en cascade qui sèment l'Empire d'une multitude de maternités-écoles dans la seconde moitié du siècle : Berlin au sein de l'hôpital de la Charité quelques mois après Göttingen toujours en 1751, Cassel en 1763 sous la houlette de Georges Guillaume Stein, Brunswick en 1768 sous les auspices d'un autre élève de Roederer, Johann Ch. Sommer... et puis54 :

[…] à Bruchsal et à Detmold en 1774, à Dresde et à Fulda en 1775, à Magdebourg en 1777, à Würtzbourg en 1778 et à Iéna en 1779 ; on fonda des maternités dont quelques unes, exclusivement destinées à l'instruction des sages-femmes55.

Lorsqu'il examine la densité des cliniques obstétricales dans l'espace germanique au début des années 1840, Siebold en dénombre vingt-et-une, pour l‘essentiel fondées au siècle

49 Jürgen Schlumbohm, « Comment l'obstétrique est devenue une science », dans Actes de la recherche en sciences sociales, 2002, vol. 143, n°1, p. 18 et 20. Le centre d'accouchements de Göttingen est financé, comme l'université dont il fait partie, par l'électorat de Hanovre.

50 Albrecht von Haller (Berne, 1708 – Berne, 1777), médecin et naturaliste formé à Tubingen puis Leyde, il complète sa formation en Angleterre et en France. En 1736, il quitte Berne pour Göttingen où il occupe la chaire d‘anatomie, de chirurgie et de botanique jusqu‘en 1753. Il est aussi le créateur de l‘institut d‘anatomie et du jardin botanique de l‘université Georgia Augusta.

51 Eduard Caspar Jacob von Siebold, Essai sur l'histoire de l'obstétricie, op. cit., p. 387-388.

52 Jürgen Schlumbohm, « Comment l'obstétrique... », art. cité, p. 19.

53 Le statut de professeur extraordinaire, à la différence du statut de professeur ordinaire, ne donne droit à aucune rémunération de l'université. Il reconnaît la compétence de son titulaire, permet l'intégration du cours dans le cursus universitaire mais impose au professeur de disposer d'autres ressources.

54 Eduard Caspar Jacob von Siebold, Essai sur l'histoire de l'obstétricie, op. cit., p. 397, 401, 411.

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précédent, auxquelles s'ajoutent celles des écoles chirurgicales qui « possèdent aussi des maternités analogues qui servent à l'instruction des élèves, et des sages-femmes, ainsi à Brunswick, Dresde, Hanovre, etc. »56. La rupture avec le modèle parisien se situe là. L'émergence d'une formation clinique à destination des étudiants en médecine et en chirurgie, de plus en plus fréquemment inscrite dans le cadre universitaire, renvoie de facto les sages-femmes au second rang des préoccupations pédagogiques affirmées. Osiander, successeur de Roederer à la tête de la maternité de Göttingen, résume en 1800 cette évolution : « Le centre d'accouchement de Göttingen a d'abord pour but de former des obstétriciens compétents, dignes du nom de Geburtshelfer. Son deuxième objectif est de former des sages-femmes »57. Le renversement d'optique est remarquable et la spécificité allemande, nettement perçue par les contemporains et les historiens immédiatement postérieurs de l'obstétrique, puisque Siebold affirme sans détour :

Si l'Allemagne a pu, en un temps plus court, arriver au niveau que la France avait atteint depuis longtemps, elle le doit à ces institutions, que la France (sauf Strasbourg) ne possédait pas. Aussi se manifestait-il en Allemagne une tendance à les multiplier de plus en plus58.

Paris semble disparaître de ce paysage car ce qui fait désormais aux yeux de l'auteur la valeur de l'enseignement obstétrical, c'est qu'il s'adresse aux hommes de l'art. À ce titre, Strasbourg devient la souche d'un arbre dont les branches s'étendent au Danemark, en Suède et jusqu'en Russie59. La diffusion de ce nouveau modèle est remarquable et résulte d'un triple mouvement. Le premier aspect est politique et institutionnel, dans un espace germanique où l'université est un instrument d'affirmation des micro-États impériaux. Nombreuses et géographiquement proches, les universités allemandes portent l'honneur étatique à travers leur prestige social, leur poids scientifique et leur capacité d'attraction d'étudiants « étrangers », dans un contexte d'émulation constante60. La reprise de toute innovation y est donc immédiate et naturelle, de la modeste maison d'accouchement de Göttingen en 1751 aux dizaines de cliniques obstétricales du XIXe siècle.

La diffusion du nouveau modèle est en second lieu individuelle et érudite, par la circulation perpétuelle des hommes de lettres et de sciences à travers l'espace germanique et, plus largement, à travers l'Europe61. Les accoucheurs qui prennent la tête des maternités-écoles ont

56 Ibid., p. 616-618.

57 Jürgen Schlumbohm, « Comment l'obstétrique... », art. cité, p. 21.

58 Eduard Caspar Jacob von Siebold, Essai sur l'histoire de l'obstétricie, op. cit., p. 429-430.

59 Ibid., p. 682 : « En général, l'obstétricie a pénétré en Russie par l'immigration, dans ce pays, de médecins allemands, par la fréquentation des facultés allemandes par les médecins russes, si bien qu'on reconnaît les principes de l'obstétricie allemande dans ceux des médecins russes, qui ne laissent aucun doute sur leur origine ». Voir aussi sur la diffusion du modèle, Jacques Gélis, La sage-femme ou le médecin..., op. cit., p. 299-300.

60 Anne Saada, « De Halle à Göttingen. Processus d'institutionnalisation et développement intellectuel », dans Hans Erich Bödeker, Philippe Büttgen, Michel Espagne (dir.), Göttingen vers 1800, l'Europe des sciences de l'homme, Paris, Cerf, 2010, p. 31-32.

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suivi les cours des plus grands représentants de leur art : Georges Guillaume Stein est l'élève de Roederer à Göttingen mais aussi du parisien Levret. Il exerce presque une trentaine d'années à Cassel avant de partir fonder une maternité à Marbourg en 179262.

Le mouvement, enfin, est scientifique, avec l'apothéose d'un savoir-faire – l'art des accouchements – en savoir – l'obstétrique63. Il ne s'agit plus seulement d'aider à terminer un accouchement lorsque la nature fait défaut mais bien de comprendre les mécanismes les plus profonds de ce phénomène, d'élucider les règles qui président à la présentation de l'enfant, au rythme du travail. Cet art devenu science cherche les causes dans les conséquences mises en série, affine la connaissance de l'anatomie féminine mais peine à poser les fondements du diagnostic de