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Maintenir, créer, financer : les coulisses des cours d’accouchement

Sages-femmes en Révolution

1. Maintenir, créer, financer : les coulisses des cours d’accouchement

Mesurer la réalité concrète de l‘enseignement obstétrical pendant les années 1790-1803 n‘est pas une mince affaire. Les archives révolutionnaires ont connu une conservation très aléatoire de façon générale et pour certaines périodes plus particulièrement. Si les toutes premières années de la Révolution, jusqu‘en 1792, parfois 1793, sont bien documentées, la période de l‘an III à l‘an VI en revanche est souvent la parente pauvre des ressources archivistiques132. L‘exhaustivité est donc impossible, mais la confrontation des données survivantes permet cependant de proposer une cartographie des cours en activité sous la Révolution133. La logique adoptée est celle du cadre départemental pour plusieurs raisons. D‘une part, la réorganisation administrative de 1790 a fait de cet espace la référence principale de la politique révolutionnaire. Le comptage par cours occulte partiellement la volonté toujours exprimée de faire bénéficier l‘ensemble du département de la formation organisée. La présence d‘un ou plusieurs cours au sein d‘un même département s‘inscrit dans une appréciation diverse et fluctuante de l‘audience des enseignements, mais un ou multiple, le cours d‘accouchement est toujours l‘émanation de la même politique sanitaire départementale. D‘autre part, les cours d‘accouchement qu‘il est possible de repérer et d‘étudier sont des cours publics au sens actuel du terme, c'est-à-dire des cours que les administrateurs de département ont choisi de maintenir ou de créer, qu‘ils encadrent et qu‘ils financent. Les cours d‘accouchement professés à titre privé n‘apparaissent qu‘incidemment dans les archives, au gré des mentions que daignent en faire les administrateurs. Leur existence et leur importance ne peuvent être mise en doute mais en évaluer l‘ampleur et plus encore la cartographier relève de la gageure. Ils ne sont donc pas pris en compte ici.

Les sources mises en œuvre pour établir les cartes sont de différentes natures et d‘origines diverses. Les recherches de Jacques Gélis ont constitué un point d‘appui essentiel, puisqu‘elles offrent la possibilité unique de comparer la répartition des cours sous l‘Ancien

132 L‘effet de sources est possible pour cette période mais l‘absence d‘archives ou leur piètre conservation sont révélatrices des difficultés générales qui touchent les administrations départementales pendant ces années. La consultation de documents ultérieurs permet la plupart du temps de confirmer les interruptions de cours d‘accouchement à cette période.

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Régime et sous la Révolution134. Les listes d‘élèves sages-femmes, les correspondances entre ministère et départements, entre administration centrale de département et de district ou de commune, entre démonstrateurs et administrateurs, ainsi que les procès-verbaux de délibérations des assemblées civiles tout au long de la période 1790-1803 et au-delà, recèlent des informations éparses, incomplètes la plupart du temps mais dont l‘accumulation finit par restituer les dynamiques de fonctionnement des cours. J‘ai choisi de surcroît de faire apparaître, aux côtés des cours concrètement organisés, les projets et les vœux de création de cours. Cet élargissement permet de mesurer plus précisément l‘intérêt porté à la formation des sages-femmes qui se manifeste aussi par un nombre non négligeable de projets non réalisés, de sommes votées et non utilisées. Le temps consacré à la rédaction de règlements de cours, au calcul des frais d‘installation et de fonctionnement, à la discussion en séance d‘assemblée départementale confirme le besoin d‘accoucheuses instruites et la conscience aiguë de ce besoin.

La Révolution et le passage de relais entre administrations ont interrompu un certain nombre de cours, pour des raisons déjà exposées : incertitudes sur le découpage territorial futur, impossibilité temporaire de débloquer des fonds ou attente prudente des réformes en cours. Néanmoins, l‘arrêt d‘un cours dans ces conditions n‘équivaut pas à sa remise en cause. L‘enseignement obstétrical délivré sous l‘Ancien Régime est marqué par des interruptions, des reprises, des déplacements de cours, et rares sont les villes où la formation des sages-femmes s‘est institutionnalisée au point d‘être parfaitement pérenne et régulière. Ce sont d‘ailleurs les villes où elle perdure en dépit des aléas révolutionnaires : Paris au sein de l‘Office des accouchées de l‘Hôtel-Dieu puis à partir de 1797 à l‘Hospice de la Maternité135, Rouen aux anciennes écoles de chirurgie et à l‘Hôtel-Dieu136, Lyon137, Angers à l‘hospice des enfants naturels de la patrie138,

134 Jacques Gélis, La sage-femme ou le médecin…, op. cit., cartes « Les cours d‘accouchement pour sages-femmes et accoucheurs en France (1750-1800) » et « Les cours d‘accouchement pendant la Révolution » aux p. 126 et 225.

135 Hucherard, Sausseret, Girault, Mémoire historique et instructif sur l’hospice de la Maternité, Paris, impr. des hospices civils, 1808, p. XI-XIV. Scarlett Beauvalet-Boutouyrie, Naître à l’hôpital au XIXe siècle, Paris, Belin, 1999, p. 25-31 ; 68 ; 108.

136 Jean-Pierre Bardet, Rouen aux XVIIe et XVIIIe siècles, les mutations d’un espace social, Paris, SEDES, 1983, p. 367 : « Les

efforts médicaux sont perceptibles dans les taux et se manifestent dans la documentation. Il suffit de parcourir les délibérations de l‘Hôtel-Dieu pour constater que les administrateurs sont attentifs à choisir des sages-femmes de grande expérience. L‘hôpital est en même temps un centre de formation pour les jeunes filles qui viennent y recevoir un véritable enseignement au cours d‘un stage de six mois qui leur vaut un diplôme, ou plutôt, en terme du temps, un certificat ». Arch. dép. Seine-Maritime, L 1164, le cours se tient depuis les années 1770 pour sa partie théorique dans les locaux des Écoles de chirurgie de Rouen. Il est poursuivi en ce lieu par le sieur Beaumont, chirurgien démonstrateur, pendant toute la période révolutionnaire.

137 Arch. dép. Rhône, 1 L 531.

138 Louis Dubreuil-Chambardel, L’enseignement des sages-femmes…, op. cit., p. 67 ; arch. dép. Maine-et-Loire, 8 L 35 et 1 N 2*, procès-verbal des délibérations du conseil général du Maine-et-Loire, an IX : « Outre l‘attribution fondamentale de cet hospice, celle de recevoir les enfants abandonnés et de pourvoir au traitement des pauvres femmes et filles en couche, l‘officier de santé qui y est rattaché donne chaque année un cours d‘accouchement pour l‘instruction des femmes de tout le département qui se destinent à cette profession et qui pendant deux mois sont logées, nourries à l‘hospice même ».

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Strasbourg à l‘école d‘accouchement139, Bordeaux à l‘hospice de la maternité140, Caen à la faculté de médecine141, Lille à l‘ancienne école de chirurgie142 et Grenoble dans les locaux de l‘hôpital militaire143. Ces villes, toutes devenues chefs-lieux de département, présentent le double avantage d‘être des centres anciens de formation médicale (médecine, chirurgie, obstétrique) et de disposer des ressources cliniques nécessaires à ces enseignements. Là où les cours d‘accouchement sont ancrés dans une institution hospitalière, ils survivent mieux. Lorsque s‘y adjoignent la prospérité d‘une ville ou d‘un département et l‘abondance de population, ils réussissent même à traverser sans encombre la décennie 1790. Leur nombre est cependant restreint, puisqu‘on ne compte qu‘une dizaine de cours dans ce cas, disséminés dans le pays, rayonnant dans les villes les importantes du royaume (Paris, Lyon, Rouen, Strasbourg), liés à la personnalité hors norme d‘un enseignant (Chevreul à Angers, Marguerite Coutanceau à Bordeaux) ou prenant la suite d‘une tradition solide de pédagogie médicale (Caen, Lille, Grenoble).

La formation des sages-femmes ne se réduit pas, toutefois, à ces quelques phares. Les années 1790-1803 connaissent une évolution en V si l‘on se rapporte au nombre de cours en activité pendant cette période. Les années 1790-1791 (carte 1) s‘inscrivent dans la lancée de l‘Ancien Régime144. Les cours sont maintenus, les arrêtés de création pris par les administrations départementales ne sont souvent que des refondations ou des réorganisations à la faveur de la mue administrative. Certaines régions présentent une belle densité comme l‘Ouest, de la Normandie à la Bretagne orientale et au Maine. Le Sud-Ouest n‘est pas en reste avec un arc de

139 Arch. dép. Bas-Rhin, 150 J 110, notes manuscrites sur l‘école des sages-femmes de Strasbourg, s.l.n.d. : « En 1725, le préteur Klinglin obtint de la Chambre des XV l‘établissement d‘un cours théorique et pratique. C‘est le 13 mars 1728 que la Chambre des XV publia la nouvelle ordonnance en la faisant précéder de considérations basées sur l‘instruction insuffisante de la plupart des sages-femmes de la ville […] ». Id., 1 L 840, arrêté de l‘administration centrale du département du Bas-Rhin en date du 15 floréal an IV, annonçant l‘ouverture d‘un cours à l‘école d‘accouchement de Strasbourg.

140 Arch. nat., F17/2295, et arch. dép. Gironde, 1 N 1*, procès-verbal des délibérations du conseil général de la Gironde, an VIII, le cours de Bordeaux est maintenu sous les auspices de Marguerite Coutanceau pendant toute la durée de la Révolution, et son enseignement est organisé par l‘arrêté de l‘administration centrale du département de la Gironde en date du 16 décembre 1791.

141 Jacques Léonard, Les médecins de l’Ouest…, op. cit., p. 218-219, le maintien d‘une faculté de médecine puis d‘une école de médecine à Caen pendant toute la période révolutionnaire entraîne la poursuite de cours d‘accouchement, faits par le professeur rattaché à l‘établissement.

142 Jacques Léonard, Les médecins de l’Ouest…, op. cit., p. 220, l‘école de chirurgie de Lille cesse ses cours en août 1792 à l‘exception du cours d‘accouchement qui se poursuit.

143 Arch. dép. Isère, L 532, L 54*, procès-verbal de la première session du conseil général du département de l‘Isère : « L‘assemblée a arrêté ce qui suit : 1° l‘école de chirurgie, le cours d‘accouchement, les jardin et école de botanique sont maintenus pour l‘année 1791, sur le même pied qu‘en 1790 […] ». Émile Laurent, Jérôme Mavidal, Archives

parlementaires de 1787 à 1860…, op. cit., t. 87, séance du 12 germinal an 2 : « Depuis environ quatre-vingt ans, l‘hôpital

militaire est établi à Grenoble. Des élèves nécessaires au service y attirèrent bientôt des étudiants, et les étudiants des démonstrateurs, ainsi s‘établit une école pratique que les besoins du service des armées, la localité et la population rendirent indispensable. […] En 1773, une école d‘accouchement destinée à l‘instruction des élèves sages-femmes de la campagne y fut jointe. La même année, un jardin public de botanique fut établi aux frais des départements : ces deux établissements furent successivement conservés par la commission des États, et ont été soutenus par les conseils de département ».

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cours qui s‘étend de la Gironde aux Hautes-Pyrénées. L‘est du Massif central et plus au nord la Bourgogne, sont aussi des terres où l‘enseignement obstétrical s‘obstine à pousser ses rejetons. Le Nord, l‘Est champenois et lorrain jusqu‘à l‘Alsace, régions populeuses où le besoin de sages-femmes instruites a très tôt été ressenti, maintiennent leurs cours. Des projets voient le jour, là où les cours ont été interrompus (Marseille, Castres, Troyes), mais aussi là où la Révolution est l‘occasion de fonder une nouvelle structure (Cantal, Bas-Rhin, Hautes-Alpes). Quelques vides persistent néanmoins que ne sillonnent déjà plus les démonstrateurs itinérants : l‘Ouest breton, le Sud aquitain ; ou dont les faibles moyens, encore appauvris par le découpage départemental, n‘ont pas permis le maintien des cours : rebords méridional, occidental et septentrional du Massif central, Sud-Est du pays. La zone d‘influence parisienne forme un autre espace où les cours d‘accouchement sont absents, plus proche sans doute du cœur politique battant du pays, et plus sensible de ce fait aux atermoiements législatifs qui freinent les initiatives locales.

Très rapidement cependant, les difficultés financières et politiques entravent la bonne marche des cours. La transformation des assignats en papier-monnaie à l‘automne 1790 et leur dépréciation continue dès leur mise en circulation font fondre à toute vitesse les sommes votées pour l‘organisation des cours d‘accouchement145. Dès le mois de fructidor an II, dans les Côtes-du-Nord, les fonds alloués pour le traitement du professeur et les secours versés aux élèves se révèlent largement insuffisants. Le département décide donc de rétablir à 1 500 livres la somme reçue par le chirurgien Bonnieu et de porter de 150 à 200 livres l‘indemnité destinée aux élèves sages-femmes146. L‘augmentation d‘un tiers est remarquable et le montant versé l‘est tout autant si on le compare à celui, 20 livres, que touchent les élèves des cours d‘accouchement bas-limousins à peine cinq ans plus tôt147. Lorsqu‘on sait que l‘habitude veut que l‘indemnité soit calculée au plus juste148, on mesure l‘ampleur de l‘inflation. L‘année suivante, le nouveau démonstrateur en charge des cours réclame à son tour une amélioration de ses revenus :

Tous les fonctionnaires publiques salariés ont reçu une augmentation de traitement, mais comme la place de démonstrateur d‘accouchement dans le département a été créé par vous, c‘est à vous citoyens administrateurs que je m‘adresse pour obtenir tel augmentation dans mon traitement qu‘il vous plaira m‘accorder […]149

La réponse ne tarde pas et le jour même l‘administration arrête « de fixer provisoirement le traitement du citoyen Vincent à 2 400 livres par an et de luy accorder une ordonnance de

145 Albert Soboul, La Révolution française, nouvelle édition revue et augmentée du Précis d’histoire de la Révolution (Paris, Messidor, Éditions sociales, 1982), Paris, Gallimard Tel, 1984, p. 207-208.

146 Arch. dép. Côtes-d‘Armor, 1 L 594, extrait du registre des délibérations du département des Côtes-du-Nord, 8 fructidor an II.

147 Nathalie Sage Pranchère, Mettre au monde…, op. cit., p. 122.

148 Jacques Gélis, La sage-femme ou le médecin…, op. cit., p. 153.

149 Arch. dép. Côtes-d‘Armor, 1 L 594, lettre du sieur Vincent, démonstrateur à Saint-Brieuc, aux administrateurs du département des Côtes-du-Nord, 3e jour complémentaire de l‘an III.

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600 livres pour les mois de messidor, thermidor et fructidor »150. Là encore, l‘augmentation est impressionnante, si on repense aux 1 500 livres perçues par Bonnieu un an plus tôt. Elle ne doit pas tromper sur la pente irrésistible qui entraîne les administrateurs départementaux. Les chiffres gonflent, indifférents aux ressources réelles qui sont censées y pourvoir. Le résultat ne se fait donc pas attendre : le cours d‘accouchement de Saint-Brieuc devenu Port-Brieuc ne dépasse pas l‘an IV. À quelques centaines de kilomètres plus à l‘est, même situation. La Marne réussit de 1790 à l‘an IV à maintenir des cours « qui <avaient> lieu tous les ans pendant deux mois dans les principales communes du département », soit à Reims, Châlons, Vitry-le-François, Sainte-Menehould, Épernay et Sézanne. Dès l‘an III pourtant, la machine s‘enraye et le département ne parvient plus à payer suffisamment ses démonstrateurs. Le 28 floréal, les chirurgiens Robin et Mangin, en charge des cours à Reims et à Châlons, écrivent aux administrateurs départementaux :

Les citoyens Robin […] et Mangin […] vous exposent que vous venez d‘accorder aux femmes qui suivent le cours d‘accouchements une gratification que le surhaussement excessif des denrées exigeoit : c‘est une justice que vous avez rendue ; mais ne seroit-il pas dans le même principe de justice d‘augmenter les émolumens des démonstrateurs151.

Prenant acte de la requête, l‘administration décide une augmentation de quatre livres versées aux démonstrateurs pour chaque élève sage-femme suivant leurs cours, mais ce geste de parcimonieuse générosité ne convainc guère les intéressés. Le 11 thermidor, Robin se montre d‘autant plus sceptique que l‘argent n‘arrive pas :

Dans l‘état actuel des choses, la gratification que vous m‘avez accordée m‘a parue bien foible. Je n‘ai pas encor reçu le mandat que vous m‘avez annoncé : mon confrère Mangin, à qui j‘en ai écrit me mande qu‘il s‘est déterminé, le 26 messidor, à vous remettre le sien et le mien pour rectifier une erreur qui s‘y étoit glissée ; la multiplicité des affaires vous a, sans doute, fait perdre de vue cet objet : j‘espère que vous voudrez bien y donner un moment de votre attention et considérer l‘importance du service, le zèle que nous y mettons, les avantages que la société en retire et la modicité de la récompense152.

Le « zèle » des professeurs surmonte néanmoins une année encore la déception de ne pas voir leur traitement aligné sur celui des professeurs des écoles centrales créées par le décret du 7 ventôse an III153. Le projet initial d‘inclure le professeur d‘accouchement au nombre des enseignants de ces établissements, présenté par Lakanal154 devant la Convention le 26 frimaire précédent, a suscité des espoirs qui n‘ont pas tous disparu avec la suppression, lors du vote, de

150 Ibid.

151 Arch. dép. Marne, 1 L 1248, lettre des sieurs Robin, démonstrateur à Reims, et Mangin, démonstrateur à Châlons, aux administrateurs du département de la Marne, 28 floréal an III.

152 Ibid., lettre du sieur Robin aux administrateurs du département de la Marne, 11 thermidor an III.

153 James Guillaume (éditeur), Procès-verbaux du Comité d’instruction publique…, op. cit., p. 307.

154 Joseph Lakanal (Serres-sur-Arget, Ariège, 1762 – Paris, 1845), député de l‘Ariège à la Convention, il est réélu au conseil des Cinq-Cents où il propose le règlement de fondation du futur Institut de France.

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l‘article prévoyant cette inclusion155. En ce temps d‘écroulement brutal et constant de la valeur des assignats, un traitement de 3 à 4 000 livres aurait pu constituer une perspective rassurante.

Mais la situation empire en l‘an IV puisque ce sont désormais les secours aux élèves sages-femmes qui sont versés avec retard. Le 15 thermidor, le même Robin prend de nouveau la plume :

En prérial dernier je vous ai fait passer l‘état du cours d‘accouchement : les élèves n‘ont pas encore été payées de ce que vous leur avez accordé par votre délibération du 23 ventôse présente année, parce que la municipalité n‘étoit pas autorisée à m‘en faire délivrer le montant comme le district l‘avoit fait les années précédentes. Ces femmes ont des besoins très pressants et elles ne cessent de m‘importuner pour être remboursées de leurs avances156.

Le département se trouve finalement dans l‘incapacité d‘acquitter son dû157. La tentative en l‘an V pour obtenir du ministère de l‘Intérieur le versement de 6 000 francs en espèces métalliques pour la remise en place des cours visiblement suspendus à Vitry, Sézanne, Épernay et Sainte-Menehould depuis l‘an III, se solde par une fin de non recevoir. Elle manifeste plus généralement la quasi impossibilité de faire face aux besoins de la formation obstétricale au temps des assignats158.

Les aléas politiques ne manquent pas d‘avoir des répercussions sur le fonctionnement des cours d‘accouchement. Avant même la chute de la royauté, les praticiens en charge des cours se plaignent que des nostalgiques de l‘Ancien Régime travaillent à entraver le bon déroulement de leur mission. En juillet 1792, le chirurgien Bonnieu, qui vient de commencer son enseignement à Saint-Brieuc pour seulement deux élèves sages-femmes, s‘emporte :

D‘où vient donc une pareille insouciance pour cet établissement ? […] elle peut dépendre encorre, des conseils perfides de ces traîtres, qui font envisager la constitution comme un fléau, et ses bienfaits comme des crimes […]159

Après le 10 août en Côte-d‘Or, le refus du chirurgien Enaux de satisfaire aux obligations de la loi du 14 août 1792 en prêtant serment « d‘être fidèle à la nation, et de maintenir la liberté et l‘égalité » entraîne son remplacement en 1793 par deux autres démonstrateurs, Chaussier et

155 James Guillaume (éditeur), Procès-verbaux du Comité d’instruction publique…, op. cit., p. 307.

156 Arch. dép. Marne, 1 L 1248, lettre du sieur Robin, démonstrateur à Reims, aux administrateurs du département de la Marne, 15 thermidor an IV.

157 Id., lettre du préfet de la Marne au sous-préfet de l‘arrondissement de Reims, 4 pluviôse an IX : « […] que cet arrêté ayant été adressé au Ministre de l‘Intérieur pour être approuvé et obtenir de lui les fonds nécessaires pour l‘indemnité des démonstrateurs et des élèves, il lui répondit le 13 vendémiaire an V qu‘en applaudissant aux motifs qui avaient dicté son arrêté, il ne pouvait l‘autoriser, ni faire les fonds qu‘il demandait. Cette administration s‘est donc trouvée d‘après cela hors d‘état de faire acquitter la dépense des cours qui avaient eu lieu en exécution de son arrêté […] ».

158 Ibid., lettre de l‘administration départementale de la Marne au ministère de l‘Intérieur, 28 fructidor an IV.