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L’enseignement obstétrical français à l’épreuve du Grand Empire

Naissance de la sage-femme française

B. Des ambitions à la pratique

3. L’enseignement obstétrical français à l’épreuve du Grand Empire

L‘espace territorial français connaît entre 1792 et 1815 un élargissement remarquable. Progressivement, la Révolution, le Consulat et l‘Empire agrègent provinces et États à l‘ancien royaume, jusqu‘à former l‘immense continuité de la mer du Nord à l‘Italie centrale qu‘est, en 1811, l‘Empire des 130 départements. L‘entrée sous autorité française, dans le cadre administratif contraignant qu‘est le département, de régions dotées de très fortes identités entraîne des confrontations avec la volonté politique impériale. La « police médicale »160 constitue un champ de rencontre des pratiques françaises et étrangères, en un domaine où la volonté de marquer les nouveaux départements de l‘empreinte française s‘exprime très intensément. Le développement de la formation des sages-femmes, qui a passionné toute l‘Europe dans la seconde moitié du

157 Arch. dép. Côte-d‘Or, M7 n I/1, lettre du ministre de l‘Intérieur au préfet de la Côte-d‘Or, 6 juin 1807.

158 Hucherard, Sausseret, Girault, Mémoire historique et instructif…, op. cit., p. XIV.

159 Scarlett Beauvalet-Boutouyrie, Naître à l’hôpital…, op. cit., p. 117.

160 Calixte Hudemann-Simon, « La politique sociale de l‘État français sur la rive gauche du Rhin occupée puis annexée, 1794-1814, dans HES, 1996-4, p. 602.

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XVIIIe siècle, forme un terrain privilégié où s‘opposent à partir de 1802 le modèle de l‘Hospice de la Maternité et les habitudes antérieures.

Les choix ministériels et préfectoraux concernant l‘instruction des accoucheuses dans les départements réunis connaissent une évolution chronologiquement et spatialement contrastée. L‘intégration progressive des départements italiens correspondant aux anciennes républiques Cisalpine et Ligurienne, puis celle en 1811 du royaume de Hollande et enfin la réunion d‘une partie des territoires du Saint-Empire, fait entrer dans le giron français des traditions diverses de transmission du savoir obstétrical. La réaction du pouvoir central face à ces situations divergeant du modèle qu‘il cherche à promouvoir est variable d‘une région à l‘autre. Elle exprime toutefois de façon constante la certitude de proposer la meilleure méthode pour fournir à ces populations un encadrement obstétrical de qualité. L‘autorité impériale nie du même coup des complémentarités qui transcendaient naguère les frontières politiques.

L‘incorporation dans l‘Empire français nationalise et territorialise tout à la fois l‘enseignement obstétrical. La rupture avec la tradition germanique des migrations éducatives se lit bien dans ces lettres envoyées à Paris par les préfets de l‘Ems Supérieur et des Bouches-du-Weser :

(Ems Supérieur) Dans la partie de ce département qui précédemment appartenait au pays d‘Hannovre, on envoyait les élèves sages-femmes à Celle où elles recevaient des leçons théoriques et pratiques dans l‘art de l‘accouchement. Ceci a cessé vû que la ville de Celle fait toujours partie du royaume de Westphalie161.

(Bouches-de-la-Meuse) Avant la réunion de ces contrées à l‘Empire français, les personnes qui vouloient s‘adonner à l‘art des accouchemens se rendaient à Celle dans le royaume de Westphalie, où elles étoient admises aux cours que l‘on y tenoit régulièrement. Beaucoup de dames y envoyaient les sages-femmes qu‘elles voulaient s‘attacher personnellement. Et l‘instruction ainsi se passoit ou à cette école étrangère, ou auprès des médecins du pays.

Mais depuis la formation des départemens anséatiques, on n‘admet plus à l‘école de Celle les élèves sages-femmes de ces départemens […]162.

La rupture intervient dans un contexte d‘États-frères, puisque depuis le traité de Tilsitt en 1807 le royaume de Westphalie est placé sous l‘autorité de Jérôme Bonaparte. Il ne s‘agit donc pas seulement de marquer une frontière nette entre l‘Empire et ses voisins, tout fraternels soient-ils, mais plutôt d‘affirmer l‘emprise de la pratique pédagogique française. La spécificité de cette pratique se construit en théorie de deux façons : dissociation des complémentarités précédentes

161 Arch. nat., F17/2459, dossier Ems Supérieur, lettre du préfet de l‘Ems Supérieur au ministre de l‘Intérieur, 10 décembre 1811.

162 Arch. nat., F17/2457, dossier Bouches-du-Weser, lettre du préfet des Bouches-du-Weser au ministre de l‘Intérieur, 27 décembre 1812 ; cf. aussi, même liasse, la lettre du préfet des Bouches-du-Weser au ministre de l‘Intérieur, 4 janvier 1812 : « Ses trois arrondissements de Brême, Nienbourg et Bremerlehe qui, avant la réunion, faisaient partie de l‘électorat de Hanovre, ne possèdent aucun établissement de ce genre. Les élèves proposées au gouvernement par les ci-devant baillis, étaient envoyées à Celle (ville du même électorat et maintenant réunie à la Westphalie) pour assister aux cours d‘accouchement ; lorsqu‘elles avaient subi un examen et obtenu des professeurs leur certificat nommé certificat d‘activité, elles étaient autorisées à exercer leur art en qualité de sages-femmes, sous la surveillance des médecins et chirurgiens accoucheurs, et elles étaient tenues de requérir leur assistance dans tous les cas graves ».

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et rejet des pratiques anciennes sur le territoire de l‘Empire élargi. Dans le département de l‘Arno, la ville de Florence perpétue l‘héritage grand-ducal en matière de formation des sages-femmes et des accoucheurs163. Depuis 1761, l‘Ospedale di Santa Maria Nuova abrite les cours dispensés aux accoucheuses et aux étudiants en chirurgie par Giuseppe Vespa, assisté de Giuseppe Galletti164. Vespa quitte Florence pour Vienne après l‘invasion française de la Toscane en 1796. Les vicissitudes politiques (cession du duché qui devient en 1801 royaume d‘Étrurie sous l‘autorité nominale de Louis Ier de Bourbon-Parme) n‘interrompent pas les cours d‘accouchement et Francesco Valli succède à Giuseppe Vespa jusqu‘en 1806, date à laquelle Giuseppe Galletti obtient finalement le poste de professeur titulaire. L‘influence française sur les professeurs toscans est patente puisque Vespa et Valli comptent parmi les multiples disciples d‘André Levret, comme le rappelle Giovanni Bigeschi dans un courrier au ministre de l‘Intérieur français au début des années 1810 :

Le docteur Jean Bigeschi de Florence, département de l‘Arno, exerçait la médecine dans ladite ville lorsque l‘ancien gouvernement l‘envoya à Paris pour s‘y perfectionner dans l‘art des accouchemens. […] Le but du gouvernement toscan n‘était pas seulement de former un élève dans les accouchemens capable d‘exercer cet art avec plus d‘avantage pour l‘humanité, mais aussi d‘en former un professeur pour l‘enseignement public. Ainsi était-il en usage de renouveller cette mission de 30 ans en 30 ans, et il choisissait toujours un professeur en médecine ou en chirurgie pour la remplir. Deux professeurs, le feu M. Vespa, et M. Valli aujourd‘hui âgé de 80 ans et reposé, avoient été envoyés à Paris pour cet objet, et ils furent placés tout de suite à leur retour à Florence165.

L‘enseignement se déroule dans un hospice et les principes de l‘obstétrique présentés sont tirés de la science française. Pourtant, le jugement de Fauchet, second préfet de l‘Arno, rapporté par le ministre Montalivet166, est extrêmement critique :

Vous remarquez, à ce sujet, que la maison dans laquelle on admet, depuis longtemps, les femmes enceintes est insalubre, trop peu spacieuse et dépourvue de tous les secours convenables. Vous ajoutez, enfin, que l‘instruction des sages-femmes, dont le nombre est, d‘ailleurs, insuffisant dans votre département, n‘est point donnée d‘après la bonne méthode d‘où il résulte de très fréquents accidents dans les campagnes167.

L‘état sanitaire de l‘unique service de maternité florentin laisse probablement à désirer et l‘administration travaille rapidement à y remédier en envisageant son transfert de Santa Maria

163 Sur la mise en place d‘une formation des accoucheuses à Florence au XVIIIe siècle, voir Jacqueline Brau, « La professionnalisation de la santé dans la Toscane des Lumières, 1765-1815 », dans RHMC, t. 41, n°3, juil.-sept. 1994, p. 430 sq.

164 Nommé, en 1759, maître assistant à la maternité de Florence, il fait confectionner entre 1770 et 1775 une série de modèles en terre cuite et en cire représentant les différentes phases de la grossesse et les présentations (naturelles ou pathologiques) de l‘enfant lors de l‘accouchement, actuellement conservée et exposée au Musée Galilée (ancien Institut et Musée d‘Histoire de la Science) à Florence.

165 Id., dossier Arno, mémoire de Jean Bigeschi adressé au ministre de l‘Intérieur, s. d.

166 Jean Antoine Joseph Fauchet ( ? - ?), préfet de la Gironde puis de l‘Arno (1809-1814), il est aussi député à la chambre des Cent-Jours. Jean-Pierre Bachasson, comte de Montalivet (Sarreguemines, 1766 – Saint-Bouize, 1823), ministre de l‘Intérieur entre octobre 1809 et avril 1814.

167 Arch. nat., F17/2457, dossier Arno, lettre du ministre de l‘Intérieur au préfet du département de l‘Arno, 15 mai 1810.

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Nuova à l‘Ospedale degli Innocenti. En revanche, la sévérité du préfet à l‘égard de la formation des sages-femmes dans une des capitales de l‘obstétrique italienne s‘inscrit plus sûrement dans un alignement sur le modèle parisien que dans une approche impartiale des résultats d‘un demi-siècle d‘efforts toscans dans ce domaine.

À l‘autre bout de l‘Empire, dans le département des Bouches-de-la-Meuse, né de l‘annexion en 1811 du royaume de Hollande, le relais du gouvernement français à La Haye porte un regard moins critique sur les institutions locales à destination des sages-femmes. Dès juillet 1812, il rappelle : « Il y a des ressources dans plusieurs villes du département pour procurer de l‘instruction aux femmes qui se vouent à l‘art des accouchemens »168. Un an plus tard, en août 1813, il adresse au ministre les réponses suivantes à l‘enquête de l‘an XIV :

Assurément les deux professeurs dont il est fait mention dans l‘article précédent, sont des hommes d‘un vrai mérite, et ils dirigent avec beaucoup de succès le cours théorique et pratique d‘accouchemens <de Leyde>. Outre l‘établissement dont nous venons de parler, il existe encore à Leide un cours théorique d‘accouchemens. Celui qui le dirige est en quelque sorte le répétiteur des leçons académiques. À La Haye, le sieur de Riemer, chirurgien accoucheur, homme d‘un mérite fort distingué, donne des leçons théoriques et pratiques d‘accouchemens. Il a un assez grand nombre d‘élèves. À Rotterdam, il ne se trouve qu‘un cours théorique d‘accouchemens ; il est confié au sieur van Balen, chirurgien accoucheur qui passe pour avoir de l‘instruction. […]

À Leide, il n‘y a point de dépenses à faire puisque déjà les choses sont établies sur un bon pied. À La Haye, il y a un local convenable pour les leçons théoriques, et les leçons pratiques se donnent à domicile des femmes indigentes, chez lesquelles le professeur se transporte, avec ses élèves. Cet usage peut être maintenu jusqu‘à nouvel ordre, et même être adopté provisoirement pour Rotterdam et Gorcum. Néanmoins à Gorcum, on trouverait pour les cours théoriques à peu de frais une salle dans l‘hospice des malades169.

S‘il prend la précaution de reconnaître dans chacun de ses courriers la supériorité de l‘enseignement délivré à l‘Hospice de la Maternité de Paris, le préfet Goswin de Stassart170

temporise lorsqu‘il reçoit l‘ordre de supprimer les cours de Leyde, La Haye et Rotterdam. Il réclame ainsi du ministre une nouvelle confirmation de cette décision :

Votre Excellence, d‘après le dernier paragraphe de sa lettre du 11, ne paraît pas disposée à approuver les établissemens formés pour instruire en l‘art des accouchemens à Leyde, à La Haye et à Rotterdam. Je crois cependant devoir attendre des ordres positifs avant de les supprimer, et je lui ferai remarquer que l‘établissement de Leyde qui est une véritable école pratique, est fort utile à l‘académie171.

168 Arch. nat., F17/2457, dossier Bouches-de-la-Meuse, lettre du préfet des Bouches-de-la-Meuse au ministre de l‘Intérieur, 11 juillet 1812.

169 Ibid., lettre du préfet des Bouches-de-la-Meuse au ministre de l‘Intérieur, 20 août 1813. Gorcum, auj. Gorinchem, Pays-Bas, prov. Hollande méridionale.

170 Goswin de Stassart (Malines, 1780 – Bruxelles, 1854), homme politique et écrivain belge, il est auditeur au Conseil d‘État à partir de 1804 et préfet des Bouches-de-la-Meuse de 1811 à 1813.

171 Arch. nat. F17/2457, dossier Bouches-de-la-Meuse, lettre du préfet des Bouches-de-la-Meuse au ministre de l‘Intérieur, 20 septembre 1813. Le dernier paragraphe de la lettre du 11 septembre en question ne laisse pourtant subsister guère de doute sur les intentions ministérielles : « Je ne saurais non plus, d‘après les motifs que je viens d‘exposer, approuver aucun des établissemens destinés à l‘instruction dans l‘art des accouchemens, qui peuvent exister soit à Leyde, soit à La Haye ou à Rotterdam parce qu‘ils sont à peu près théoriques et qu‘ils sont loin de remplir le vœu de la loi ».

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Son collègue des Bouches-du-Weser se montre moins timoré dans l‘éloge qu‘il fait en janvier 1812 du cours d‘accouchement établi à Oldenbourg, après avoir rappelé que son département appartenait auparavant pour l‘enseignement de la médecine et de la chirurgie à l‘orbite de l‘université de Göttingen :

À Oldenbourg, chef-lieu de l‘arrondissement de ce nom, le cours d‘accouchement était destiné pour tout le duché : le docteur Gramberg, homme instruit, a fondé cet établissement sous les auspices du ci-devant duc, qui accordait les fonds nécessaires pour faire face aux dépenses. En dix ans, cinquante-cinq élèves du sieur Gramberg ont été reçues sages-femmes.

J‘ai déjà eu l‘honneur d‘informer votre Excellence que cet établissement utile mérite d‘être encouragé par le gouvernement, et que j‘ai provisoirement autorisé M. Gramberg à continuer son cours, en lui faisant espérer la protection de votre Excellence172.

Le ministre de l‘Intérieur reste circonspect et se contente d‘envoyer un exemplaire du règlement parisien pour inciter à réformer l‘institution oldenbourgeoise, qu‘il encourage dès l‘année suivante à délaisser au profit d‘un projet neuf à Brême173. Plus au nord, dans les Bouches-de-l‘Elbe, la demande de renseignements sur l‘état de l‘enseignement médical et obstétrical dans le département appelle un nouveau constat d‘efficacité du système antérieur :

Il y a à Lübeck un cours d‘accouchement pour les sages-femmes, donné par M. Crumes, docteur en médecine. Il reçoit de la ville une rétribution de six cents francs. À Hambourg, le docteur Kerner donne des leçons d‘accouchement, aux sages-femmes, sans recevoir aucune rétribution de la ville.

Les sages-femmes dans toutes les parties du territoire, subissaient avant d‘être admises un examen devant les médecins désignés par le gouvernement, pour surveiller tout ce qui a rapport à la salubrité du pays et à la santé des hommes. Le nombre des accoucheurs et des sages-femmes paraît proportionné aux besoins de la population174.

Une fois de plus pourtant, la seule réponse que puisse apporter Paris à cette démonstration de bon fonctionnement est de réclamer l‘envoi d‘élèves à Port-Royal175.

Avec le décalage chronologique propre à la date d‘entrée des nouveaux départements dans le giron français, le ministre de l‘Intérieur formule donc les mêmes exigences que celles qu‘il destinait à l‘Hexagone des années 1802-1806, en invitant encore et toujours ses préfets à envoyer leurs futures sages-femmes à l‘Hospice de la Maternité de Paris. À requêtes identiques, réponses identiques, exprimant l‘incapacité désolée des préfets à les satisfaire. Dans les Bouches-du-Rhin en 1810, dans les Bouches-de-l‘Elbe et Bouches-de-la-Meuse en 1812, le même argument revient pour refuser l‘envoi : les futures élèves ne parlent pas le français :

(Bouches-du-Rhin) Malheureusement il ne pourra de longtemps en profiter par l'impossibilité de trouver des élèves, qui, aux conditions requises par le règlement, joignent la connaissance de la langue française176.

172 Arch. nat., F17/2457, dossier Bouches-du-Weser, lettre du préfet des Bouches-du-Weser au ministre de l‘Intérieur, 4 janvier 1812.

173 Ibid., lettre du ministre de l‘Intérieur au préfet des Bouches-du-Weser, 14 avril 1812, et lettre du ministre de l‘Intérieur au directeur général de la comptabilité des hospices, 21 janvier 1813.

174 Arch. nat., F17/2457, dossier Bouches-de-l‘Elbe, lettre du préfet des Bouches-de-l‘Elbe au ministre de l‘Intérieur, 28 novembre 1811.

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(Bouches-de-l‘Elbe) La langue française est encore trop peu cultivée parmi les personnes de cette classe177.

(Bouches-de-la-Meuse) Le principal, et pour ainsi dire, le seul obstacle est dans la nécessité d'entendre la langue française qui est encore peu répandue dans les classes inférieures de la société178.

L‘obstacle linguistique semble évident et il est surprenant que le ministre n‘en ait pas tiré d‘immédiates conclusions en renonçant à exiger des préfets qu‘ils recherchent dans leurs départements des candidates pour l‘école parisienne. Faut-il y voir un relativisme qui s‘éclaire à la lumière de l‘hétérogénéité linguistique qu‘on constate aussi bien dans la « vieille » France ? Le préfet de l‘Aveyron a, en son temps, déploré la non-francophonie de ses administrées179. Mais les courriers ministériels manquent pour trancher cette question. Au mieux peut-on noter que les instances cèdent rapidement devant la barrière de la langue : « Les femmes de vos communes n'entendent point encore la langue française », reconnaît Montalivet dans un courrier au préfet des Bouches-du-Rhin en 1812180. À l‘opposé, les préfets des régions non-francophones tentent malgré tout des prouesses pour répondre aux souhaits du ministre. En 1812, Patrice de Coninck181, en poste à Hambourg, dit son espoir « que d‘ici à l‘ouverture du cours d‘accouchement de l‘année prochaine, quelques élèves se seront rendues habiles à profiter de la faveur qui leur est offerte »182. En 1813, l‘essai est transformé dans l‘ancien royaume de Hollande, puisque deux élèves originaires des Bouches-de-la-Meuse suivent les cours de l‘Hospice de la Maternité183. Ces quelques prodiges restent cependant des exceptions.

La persévérance du ministre de l‘Intérieur à proposer, avant toute autre solution de formation, l‘envoi des élèves sages-femmes à Paris s‘explique donc par des raisons indépendantes du caractère réalisable ou non de cet envoi (éloignement, difficultés linguistiques). Les départements italiens font partiellement exception, dans la mesure où leur situation géographique, associée au maintien d‘une structure universitaire comme c‘est le cas à Gênes, semble suffisante pour justifier de ne pas faire venir les élèves sages-femmes jusqu‘à Paris :

176 Arch. nat., F17/2457, dossier Bouches-du-Rhin, lettre du préfet des Bouches-du-Rhin au ministre de l‘Intérieur, 1er décembre 1810.

177 Ibid., dossier Bouches-de-l‘Elbe, lettre du préfet des Bouches-de-l‘Elbe au ministre de l‘Intérieur, 2 juillet 1812.

178 Ibid., dossier Bouches-de-la-Meuse, lettre du préfet des Bouches-de-la-Meuse au ministre de l‘Intérieur, 4 juillet 1812.

179 Arch. dép. Aveyron, 3 X 45, lettre du préfet de l‘Aveyron au ministre de l‘Intérieur, 18 thermidor an X : « Quant à l‘instruction des sages-femmes, je me permettrai de vous faire observer, citoyen ministre, qu‘il se fait ici chaque année, un cours d‘accouchement ; que l‘instruction qu‘on y donne à dix ou douze élèves leur est peut-être plus utile qu‘elle ne le serait ailleurs, attendu que le professeur employe souvent avec elles la langue vulgaire du païs qui est la seule que la plupart entendent ».

180 Arch. nat., F17/2457, dossier Bouches-du-Rhin, lettre du ministre de l‘Intérieur au préfet des Bouches-du-Rhin, 1er février 1812.

181 Patrice de Coninck (Bruges, 1770 – Bruges, 1827), juriste et homme politique néerlandais, il est sous l‘Empire successivement préfet de l‘Ain, de Jemmapes, des Bouches-de-l‘Escaut et des Bouches-de-l‘Elbe.

182 Arch. nat., F17/2457, dossier Bouches-de-l‘Elbe, lettre du préfet des Bouches-de-l‘Elbe au ministre de l‘Intérieur, 2 juillet 1812.

183 Ibid., dossier Bouches-de-la-Meuse, lettre du ministre de l‘Intérieur au préfet des Bouches-de-la-Meuse, 12 octobre 1813.

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L‘éloignement où votre département se trouve de la capitale et la difficulté d‘y rencontrer des sujets assez familiarisés avec la langue française pour profiter des leçons qu‘on donne dans cette langue à la maternité, ne vous permettent probablement pas, Monsieur, d‘exécuter mon arrêté du 17 janvier. Je considère, d‘ailleurs, que la nécessité de cette exécution doit se faire moins sentir à Gènes que sur plusieurs autres points de l‘Empire, puisque parmi les diverses écoles spéciales dont se compose l‘université de cette ville, il se trouve une école de médecine et par conséquent une chaire d‘accouchement184.

Plus que dans des considérations matérielles, l‘obstination ministérielle s‘ancre dans la volonté de placer l‘institution centrale en point de référence, quitte à l‘abandonner aux premiers refus préfectoraux. Cette primauté symbolique éclaire la différence d‘attitude du pouvoir central envers les départements en fonction de leur ancienneté d‘intégration dans le territoire. Elle