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Pour la plupart des composites utilisés dans le génie civil, la matrice enrobant les fibres et l’adhésif permettant le collage du composite à la structure (si ce n’est pas la matrice qui joue elle-même ce rôle comme dans le cas des composites imprégnés in-situ) sont des matériaux polymères [21], [22], [23]. Ces matériaux organiques sont constitués de longues chaînes moléculaires (ou macromolécules) formées par l’assemblage de petites briques appelées monomères, eux-mêmes principalement constitués d’atomes de carbone et d’hydrogène. Les liaisons au sein de ces chaînes sont des liaisons chimiques covalentes, qui créent des liens forts entre atomes. Les chaînes macromoléculaires sont créées par réaction de polymérisation, soit par simple addition des monomères sans apparition de sous-produits (polyaddition), soit avec apparition de sous-produits (polycondensation). Les chaînes peuvent ensuite interagir entre elles selon deux types d’interaction qui permettent alors de distinguer deux grandes familles de polymères décrites ci-après.

Figure 5 : Comportement en traction des différents types

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Les polymères thermoplastiques

Les polymères thermoplastiques (TP), souvent formés par polyaddition, sont constitués de longues chaînes linéaires, qui n’interagissent entre elles que par des liaisons physiques faibles (forces de Van der Waals), comme illustré sur la Figure 6.a. Ces liaisons ne résistent pas à l’agitation thermique et peuvent être dissociées par simple chauffage au-delà d’une température critique. Les chaînes macromoléculaires deviennent alors mobiles et peuvent glisser les unes par rapport aux autres, conférant au polymère un comportement visqueux et marquant parfois même un passage à un état liquide. Ce phénomène est réversible par simple refroidissement.

Pour les TP à structure amorphe, cette transformation intervient dans le domaine de transition vitreuse, dont la température caractéristique est notée 𝑇𝑔. En dessous de 𝑇𝑔, le matériau est figé dans un état de solide vitreux (ses macromolécules sont disposées aléatoirement). Au passage de 𝑇𝑔, le polymère devient progressivement visqueux. Toutefois, la plupart des TP présentent une structure semi-cristalline, constituée de domaines cristallins fortement ordonnés (appelés cristallites) et dispersés dans des zones amorphes. Pour ces polymères, le passage au-dessus de 𝑇𝑔 ramollit simplement la partie amorphe, mais n’affecte pas les domaines cristallins, de sorte que cela ne suffit pas atteindre un état visqueux. Il est alors nécessaire de chauffer jusqu’à la température de fusion des cristallites, notée 𝑇𝑓, pour passer à l’état visqueux et obtenir un écoulement de la matière.

De manière générale, les TP peuvent être mis en forme à chaud, puis figé par refroidissement plusieurs fois de manière réversible, sans que leur structure moléculaire ne soit affectée. Ceci explique que les TP constituent les matières de base de l’industrie du thermoformage. En revanche, ils restent peu utilisés dans l’industrie des matériaux composites, car même à chaud, les TP conservent une viscosité élevée qui rend difficile l’imprégnation des renforts. De plus, leur forte dépendance à la température et leur sensibilité au fluage/à la relaxation peut se révéler problématique dans le cadre d’une application structurale.

Figure 6 : Structures macromoléculaires des polymères : a. thermoplastiques (chaînes linéaires enchevêtrées) et

b. thermodurcissables (réseau réticulé) – Source ENS Cachan.

Les polymères thermodurcissables et les époxydes

Les polymères thermodurcissables (TD) sont constitués de chaînes linéaires réticulées entre elles et formant un réseau tridimensionnel. Les nœuds de réticulation sont ici des liaisons chimiques covalentes capables de résister à haute température jusqu’au point de dégradation (Figure 6.b), en conséquence, les TD sont infusibles. La transition vitreuse correspond ici à l’apparition d’une certaine mobilité des chaînes macromoléculaires lorsque des liaisons de faible énergie existant entre les branches du réseau 3D se dissocient. Elle marque pour ce type de polymères le passage d’un état de solide vitreux à celui de solide caoutchoutique. Le réseau conserve sa cohésion et sa stabilité dimensionnelle.

De manière générale, les TD sont bien adaptés aux usages structuraux, car ils présentent un comportement plus stable face aux variations de température et une sensibilité en fluage/relaxation moindre que la plupart des polymères TP. Ils présentent par ailleurs une meilleure résistance chimique et une meilleure tolérance aux impacts. Les polymères TD les plus couramment utilisés pour la

35 fabrication des composites sont les polyesters, les vinylesters, et les polyépoxydes (ou époxydes)1. En raison de leur faible coût, les polyesters et vinylesters sont les plus utilisés, tous secteurs industriels confondus. Cependant, les résines époxydes restent largement privilégiées pour les applications structurales dans le domaine du génie civil et en construction, compte tenu de leurs excellentes performances mécaniques, de leur durabilité et des gammes de températures de transition vitreuse disponibles qui sont adaptées aux conditions de service sur ouvrages. Ils sont utilisés aussi bien en tant que matrice du composite PRF ou comme adhésif à l’interface composite/béton, en raison de leur excellente adhésion sur de nombreux substrats. Ce sont donc les systèmes époxys qui seront considérés dans la présente étude. Ces polymères restent cependant sensibles à l’humidité, et aux agressions alcalines pour certains.

Les réseaux époxys sont généralement formés par réaction de polycondensation entre une base (prépolymère contenant de longues chaînes linéaires sur lesquelless se trouvent des fonctions réactives époxy, le plus courant étant le diglycidyl-éther de bisphénol A ou DGEBA) et un durcisseur (souvent de type diamine aliphatique pour les systèmes devant polymériser à température ambiante). De ce fait, la plupart des résines et adhésifs époxydes commerciaux sont des systèmes bi-composants, comportant une partie A (prépolymère) et une partie B (durcisseur) qui doivent être mélangées au moment de la mise en œuvre.

Après mélange, on dispose d’un temps de vie en pot limité pour appliquer le produit, qui peut varier de quelques minutes à plusieurs heures, en fonction de la cinétique de réaction. Durant la polymérisation, les propriétés physiques et mécaniques du système évoluent d’abord rapidement, puis de manière beaucoup plus lente jusqu’à atteindre un palier. Ce processus de réticulation est fortement influencé par les conditions environnementales, comme la température ou le taux d’humidité relative, comme nous le verrons plus loin au paragraphe II.4.a. Pour les systèmes polymérisant à température ambiante, on considère en général que les propriétés sont stabilisées au bout d’une semaine en conditions standard (23°C, 50% HR). Cependant, cette stabilisation ne signifie pas forcément que la polymérisation est complète, et une augmentation ultérieure de la température peut induire des phénomènes de post-cuisson.

En outre, la réticulation des polymères TD engendre généralement un phénomène de retrait, lié à l’évaporation de produits secondaires. Bien que moins important pour les époxydes, il peut être à l’origine de contraintes résiduelles dans le polymère et par conséquent dans le composite.

Les additifs

Les formulations époxy industrielles des résines polymères font intervenir un certain nombre d’additifs qui permettent d’ajuster les propriétés du produit en fonction du cahier des charges lié à l’application envisagée. Ces additifs peuvent être par exemple des charges, des plastifiants, des catalyseurs ou des diluants. Dans le cas des systèmes de renforcement structural, les contraintes guidant le choix des additifs sont les suivantes [24] :

 la viscosité initiale du mélange doit être adaptée à la mise en œuvre considérée. Pour le collage de plats pultrudés en PRFC, il est par exemple recommandé d’utiliser un adhésif de consistance pâteuse et présentant un comportement thixotrope, afin de faciliter la mise en place et le maintien des renforts sur la structure. En revanche, pour la stratification de tissus in situ, une résine plus liquide doit être envisagée afin de garantir la bonne imprégnation des fibres ;

 la durée pratique d'utilisation ou D.P.U. (durée pendant laquelle le mélange reste assez fluide et peut être manipulé), doit être suffisante pour permettre la finalisation des travaux. Typiquement, des durées de 1h 30 à 2 heures sont requises ;

1 Plus souvent appelées époxy par abus de langage. Nous utiliserons nous-même cette dénomination qui est très courante dans la littérature.

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 la réactivité du système doit rester bonne dans les conditions environnementales du chantier (température, hygrométrie), de sorte que les propriétés mécaniques puissent atteindre des valeurs acceptables (même si elles n’atteignent forcément pas leurs valeurs maximales comme cela a été précisé précédemment).

Comportements mécaniques des polymères

De manière générale, les polymères regroupent une large gamme de matériaux, qui peuvent présenter des réponses mécaniques très variées face à une même sollicitation. Un polymère donné peut par ailleurs présenter différents comportements en fonction des conditions d’utilisation, par exemple à des températures ou des vitesses de sollicitation différentes. Des courbes contrainte vs déformation typiques associées à différents comportements en traction de polymères sont schématisées sur la Figure 7.

I : comportement fragile

II : comportement viscoélastique avec seuil d’écoulement

III : comportement viscoélastique sans seuil d’écoulement

IV : comportement viscoplastique

σe est le seuil haut d’écoulement

Figure 7 : Courbes de traction caractéristiques de différents comportements mécaniques de polymères (d’après [21]). De nombreux paramètres influent sur les propriétés mécaniques des polymères. Parmi ces paramètres, la température est particulièrement importante, car le comportement du polymère peut changer drastiquement dans le domaine de la transition vitreuse. Au passage de 𝑇𝑔, l’apparition d’une mobilité des chaînes engendre notamment une chute du module d’Young. C’est pourquoi les guides de recommandation (qui seront présentés au paragraphe I.3.a) préconisent en général que la température de service du système de renforcement reste inférieure à 𝑇𝑔 - 15°C pour l’ACI [25] ou 𝑇𝑔 - 10°C pour l’AFGC [26].

La vitesse de sollicitation du polymère doit également être prise en compte, car ce paramètre influe sur les possibilités de réorganisation du réseau macromoléculaire pendant l’essai. Le module d’Young apparent sera en général d’autant plus élevé que la vitesse de sollicitation sera grande. Enfin, d’autres paramètres, comme la masse molaire, le taux de réticulation et la concentration en plastifiants, vont intervenir sur la réponse mécanique du polymère [21].

D’une manière générale, la phase élastique linéaire de la réponse mécanique en début de chargement n’est pas aussi clairement délimitée pour les polymères que dans le cas des métaux par exemple. La limite élastique et le module d’élasticité d’un polymère vont donc être estimés plus ou moins rigoureusement, comme schématisé sur la Figure 8. En présence d’un écoulement (associé à une striction du polymère), le seuil haut d’écoulement est généralement choisi comme limite d’élasticité. Le module d’élasticité peut être calculé soit à partir de la tangente initiale (module tangent), soit à partir du seuil haut d’écoulement (module sécant). Dans cette étude, on calculera des modules tangents.

37 σsh est le seuil haut d’écoulement σsb est le seuil bas d’écoulement 𝐸𝑡=𝜎1

𝜀1 est le module tangent 𝐸𝑠=𝜎2

𝜀2 est le module sécant

Figure 8 : Définitions des modules de traction (d’après [21]).

Pendant la phase linéaire, on considèrera que le matériau se comporte de manière élastique et qu’il vérifie donc la loi de Hooke. Pour un matériau isotrope, cette loi s’écrit :

𝜎𝑖𝑗 = 2𝜇

𝜀

𝑖𝑗

+

𝜆

𝜀

𝑘𝑘

𝛿

𝑖𝑗 (1)

(pour les définitions associées et la démonstration, se reporter à l’Annexe 1).

Le Tableau 1 regroupe des fourchettes de valeurs usuelles pour les propriétés mécaniques des résines époxydes. Ces systèmes présentent généralement un comportement fragile, avec un allongement à rupture très limité.

Tableau 1 : Valeurs typiques des propriétés mécaniques des résines époxydes [4], [20], [24]

Propriétés mécaniques Valeurs usuelles

Résistance à la traction ……….. (MPa) 20 à 90 Allongement à rupture en traction ……….. (%) 1 à 3 Résistance à la compression ……… (MPa) 140 à 150 Résistance à la flexion ………. (MPa) 110 à 130 Allongement à rupture en flexion …………. (%) 1,2 à 1,7 Module d’Young en traction ……… (GPa) 3 à 10 Coefficient de Poisson ……… 0,4

Il faut également souligner que la plupart des polymères présente un comportement viscoélastique à température ambiante. En effet, leur réponse mécanique varie avec le temps d’application de la charge, ce qui se manifeste par des phénomènes de fluage et de relaxation2. Ainsi, lorsqu’ils sont soumis à une charge constante, les polymères se déforment selon deux processus : au moment du chargement, on observe d’abord une déformation élastique instantanée et indépendante du temps ; ensuite au cours du temps, on note une augmentation de la déformation associée au fluage. Ces phénomènes sont souvent décrits à l’aide de modèles rhéologiques simples basés sur l’association en parallèle ou en série de ressorts et d’amortisseurs, le premier type d’éléments contribuant à la composante élastique et le second à la composante visqueuse dissipative de la réponse mécanique du polymère [24].