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a L’essai de « pull-off » ou d’arrachement en traction directe

Présentation de l’essai

L’essai d’arrachement en traction directe, ou essai de « pull-off » ou de pastillage est actuellement le seul essai standardisé pour la mesure de l’adhérence des composites de renforcement externes sur béton. La norme américaine ASTM D7522/D7522 M [55] concerne spécifiquement les systèmes de renforcement par composite5, tandis que la norme européenne EN 1542 [57] est générique aux systèmes de réparation et de protection du béton (qui, outre les composites de renforcement, peuvent être des couches de matériaux cimentaires rapportés ou encore des revêtements polymères), cependant le principe de l’essai reste globalement le même.

5 A noter que la norme est basée sur la norme plus générale ASTM D4541 [56] qui concerne le mesurage de la résistance en traction d’un revêtement et à laquelle de nombreux auteurs font encore référence dans le cas des composites.

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Figure 20 : Schéma de l’essai de pull-off ou arrachement en traction directe.

Comme schématisé sur la Figure 20, la méthode d’essai consiste à venir coller une pièce en acier (appelée patin, plot ou pastille) à la surface du composite, à usiner un trait de scie circulaire autour de ce plot de manière à isoler la zone d’essai, puis à exercer une force de traction sur la pastille perpendiculairement à la surface du composite, jusqu’à ce que la rupture ait lieu. Cette rupture révèle le plan de plus faible résistance dans le joint, comme illustré sur la Figure 21.a. L’essai est qualifié de partiellement destructif car il endommage le renforcement sur une petite surface. Il est généralement mis en œuvre à l’aide de dispositifs commerciaux portatifs comme représenté Figure 21.b. C’est donc une méthode applicable aussi bien sur site qu’en laboratoire.

Figure 21 : a. Rupture cohésive dans le béton à l’issue de l’essai d’arrachement en traction directe sur une lamelle de

PRFC ; b. Dispositif de pull-off commercial [55].

Un certain nombre de paramètres de mise en œuvre vont influer sur les résultats de l’essai et sont donc discutés dans les normes. Entre les deux normes ASTM et EN, de nombreuses différences existent, dont les principales sont décrites dans le Tableau 3.

On notera enfin que l’adhésif de fixation du patin doit présenter une résistance en traction supérieure à celle des deux adhérents et doit permettre de limiter l’occurrence des ruptures de type A (Figure 22). Des adhésifs époxy bi-composants à durcissement rapide sont généralement appropriés. Souvent les adhésifs utilisés pour le collage de composites pultrudés (et donc disponibles sur place) conviennent.

51 Tableau 3 : Détails sur les paramètres de mise en œuvre influençant les résultats de l’essai de « pull-off ». Paramètre

d’influence Norme européenne EN 1542 [57]

Norme américaine

ASTM D7522/D7522 M [55] Commentaires

Forme du patin

Pastilles circulaires de diamètre (50 ± 0,5) mm, en acier (au moins 20 mm d’épaisseur) ou en aluminium

(au moins 30 mm d’épaisseur), satisfaisant à une exigence de planéité

de 0,1 mm pour 50 mm

Diamètre minimal de 50 mm mais diamètres plus grands autorisés dans les cas où le béton contient des granulats

de grande dimension

Des pastilles de forme carrée sont aussi utilisées en pratique

Carottage

Profondeur de (15 ± 5) mm dans le support béton, satisfaisant à une

exigence de perpendicularité de (90 ± 1)° par rapport à la surface du

composite

Profondeur allant de 6 à 12 mm dans le support béton

La profondeur de carottage est rarement contrôlée et est laissée à l’appréciation de

l’opérateur

Vitesse de chargement

Vitesse de montée en charge continue et régulière jusqu’à rupture de

(0,05 ± 0,01) MPa/s

Vitesse inférieure ou égale à 1 MPa/min

Les dispositifs portatifs ne sont pas tous équipés de système d’asservissement de la vitesse de chargement, qui est donc imposée à la main via une manivelle (comme sur la Figure

21.b). Une augmentation de la vitesse de chargement peut entraîner une surestimation

de la contrainte à rupture Evaluation du niveau d’adhérence sur la base des résultats de l’essai de « pull-off »

Un minimum de cinq essais par système de renforcement à tester est préconisé. Les résultats se présentent sous la forme d’un profil de rupture accompagné de la valeur de la contrainte d’adhérence calculée grâce à l’équation (3).

𝜎p= 4𝐹p

𝜋𝐷2 (3)

où 𝜎p est la résistance à l’adhésion de l’éprouvette (en MPa, exprimée à 0,1 MPa près), 𝐹p est la charge à rupture (en N) et 𝐷 le diamètre de la pastille (en mm). Les différents profils de rupture possibles font l’objet d’une classification sur la base d’une inspection visuelle présentée Figure 22.

Type A Type B Type C Type D Type E Type F Type G

Rupture au niveau de l’adhésif de fixation de la pastille Rupture cohésive dans le PRF Rupture adhésive à l’interface PRF/adhésif Rupture cohésive dans l’adhésif Rupture adhésive à l’interface adhésif/béton Mixte types E et G Rupture cohésive dans le béton

Figure 22 : Classification des profils de rupture possibles à l’issue de l’essai de pull-off [55].

Des ruptures mixtes peuvent aussi exister (comme le type F sur la Figure 22), auquel cas il convient de donner le pourcentage de surface correspondant à chaque type. Dans le cas où plusieurs couches de renforcement sont superposées, des ruptures de type B, C et D peuvent apparaître à chaque couche.

Pour la norme européenne, la valeur de la résistance doit être la moyenne d’un minimum de trois mesures « normales », c’est-à-dire correspondant à des ruptures qui ne font pas intervenir l’adhésif (Type B ou G sur la Figure 22). Pour la norme américaine, seules les ruptures ayant eu lieu en raison de défauts manifestes doivent être exclues du calcul de la contrainte moyenne, sauf si ces défauts constituent des variables à l’étude.

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Les normes elles-mêmes donnent peu d’information sur les critères d’acceptation du test et ne préconisent pas de valeur minimale de contrainte d’adhérence pour laquelle le collage est accepté. Ce n’est pas surprenant pour la norme européenne qui est applicable à une grande variété de systèmes outre les composites de renforcement. La norme américaine indique seulement qu’une rupture cohésive dans le béton (type G) est souhaitée. Du côté des guides de recommandation, seuls les documents américains et italiens indiquent une valeur minimale. Le guide de l’ACI [36] préconise une résistance moyenne d’au moins 1,4 MPa avec une rupture cohésive dans le béton. Le guide du CNR [39] indique que les travaux de renforcement sont acceptables si au moins 80 % des essais de pull-off présentent des contraintes d’adhérence d’au moins 0,9 – 1,2 MPa avec rupture cohésive dans le béton. Dans la pratique, en France, la valeur minimale de résistance aux essais d’arrachement en traction directe pour laquelle l’adhérence des renforcements est jugée satisfaisante est convenue entre l’entreprise réalisant les travaux de renforcement et le maître d’œuvre (et validée par le maître d’ouvrage) au préalable des travaux. Elle est alors inscrite dans le Plan d’Assurance Qualité (PAQ) relatif au chantier. Pour EDF, elle est spécifiée dans le C.S.C.T relatif au contrat. Le maître d’ouvrage peut faire appel à des experts (laboratoires, Cerema, CSTB…) pour l’appuyer dans l’établissement de ces éléments de contrat. Une valeur minimale de 2 MPa est généralement retenue.

Critiques et limitations

En dépit de sa popularité, expliquée principalement par son faible coût et sa facilité de mise en œuvre, le test d’arrachement en traction directe présente un certain nombre de faiblesses et inconvénients qui sont pointées du doigt depuis quelques années.

La pertinence du test est en elle-même contestable. En effet, on rappelle que le test permet d’évaluer les performances ultimes du joint soumis à une sollicitation en traction pure. Or, comme on a pu le voir au paragraphe II.1.c, la délamination des renforcements n’est jamais initiée en traction pure. On peut donc légitimement se demander si les résultats du test de pull-off peuvent être interprétés en termes de performances structurelles du collage.

Ensuite, les résultats des tests de pull-off sont souvent caractérisés par une forte dispersion qui peut rendre l’analyse et l’interprétation des résultats difficiles, aussi bien sur site ([58], [59]) qu’en laboratoire ([60], [61]). Le problème est également soulevé dans la littérature pour d’autres cas d’application de l’essai d’arrachement en traction directe, par exemple pour l’évaluation de l’adhérence des enduits ou des tuiles en céramique sur les façades des bâtiments ([62], [63]).

Cette difficulté est mentionnée par exemple dans l’étude de durabilité de la Colorado State University [64], dans laquelle le pull-off a été utilisé comme moyen de suivi du vieillissement du collage de tissus de PRFC sur béton. Ces assemblages ont été exposés à des vieillissements humide et chimique à température ambiante, et des tests d’arrachement ont été réalisés après deux échéances (6 et 12 mois) afin de suivre l’évolution de l’adhérence dans ces conditions de vieillissement. Il a été constaté tout d’abord une dispersion importante des résultats sur les éprouvettes de contrôle non vieillies (écart-type relatif de 17,3% sur l’ensemble des valeurs), et l’absence de relation apparente entre la valeur de la contrainte d’adhérence et le type de rupture. Ensuite, les résultats obtenus après vieillissement sont surprenants, puisqu’au bout de 6 mois, les éprouvettes vieillies présentaient des contraintes moyennes d’arrachement supérieures à celles des éprouvettes témoins, toutes conditions de vieillissement confondues. Bien qu’un phénomène de post-réticulation puisse être observé sur des échantillons après vieillissement (voir paragraphe II.4.b), la forte dispersion des valeurs incite ici à la réserve quant à l’interprétation de ces résultats. Au sein d’une même série de tests (les 6 éprouvettes ayant séjourné 6 mois dans une solution servant à dégivrer), les auteurs ont notamment obtenu les deux extrema de l’ensemble des mesures faites à la première échéance de vieillissement. Ces différents éléments ne permettent donc pas de dresser des conclusions claires pour cette étude de durabilité.

53 Le béton support joue ici un rôle prépondérant dans la réponse de l’assemblage. En effet, l’essai d’arrachement étant très local, il est sensible aux hétérogénéités du béton et notamment à la présence de gros granulats au droit de la pastille. Des ruptures précoces peuvent alors être initiées au niveau de l’interface ciment – granulat.

La présence du trait de scie est de surcroît problématique. Elle induit une concentration de contraintes en fond d’entaille qui vient rapidement concurrencer la sollicitation de l’interface elle-même, comme on l’observe sur une modélisation par éléments finis de l’essai Figure 23 : la rupture de l’assemblage traduit donc souvent la résistance du substrat soumis à un effort de traction [4]. En résulte également une dépendance des résultats à la profondeur d’entaille, comme le constate une équipe de la Rose Hulman Institute of Technology [65] : les auteurs observent en effet une diminution de la contrainte d’adhérence de 26 % pour des profondeurs de trait de scie de 19 mm, bien supérieures à la valeur préconisée dans la norme (6 mm). L’ensemble des résultats est de plus très dispersé (écart-type relatif allant de 13 à 22 % sur les différentes séries de test). Des conclusions similaires sont obtenus par ailleurs par une autre équipe de chercheurs [66].

Figure 23 : Modélisation par éléments finis de l’essai d’arrachement en traction directe – contraintes principales au niveau

du béton, pour deux profondeurs de trait de scie différentes [4].

Bien qu’en principe restreinte à une fourchette de valeurs par les normes ou les guides de recommandation (voir Tableau 3), la profondeur du trait de scie reste en pratique difficile à contrôler sur chantier, d’autant plus qu’on ne connait pas par avance l’épaisseur de la couche de colle, voire le nombre de couches de composite. La volonté de garantir une profondeur minimale d’entaille quelles que soient les épaisseurs de composite ou de colle aboutit souvent à des profondeurs excessives de trait de scie.

Enfin, la forte dispersion des résultats du test d’arrachement en traction pourrait aussi s’expliquer par la grande variabilité de certains paramètres de mise en œuvre de l’essai :

 variation dans le collage de la pastille d’essai (mauvaise préparation des surfaces avant collage, présence de bulles d’air ou d’eau, épaisseur de colle irrégulière générant du mode mixte, mauvaise polymérisation…) ;

 défaut d’excentricité du chargement ou défaut de perpendicularité du sciage. On notera que dans le cas où l’essai est appliqué à la mesure de la cohésion superficielle du béton (sans revêtement composite), il a été démontré que ces deux défauts n’induisent pas de réelle variabilité dans les résultats du test d’adhérence [66]. Ces résultats n’excluent pas que la mesure sur des renforcements composite soit effectivement impactée, le joint composite – béton n’étant plus nécessairement soumise à de la traction pure en présence de ces défauts ;  contraintes de torsion et contraintes thermiques induites par le sciage [65].

En conclusion, on constate que bien que l’essai de pull-off soit actuellement l’essai de référence pour quantifier la qualité de collage des composites de renforcement, de nombreuses réserves peuvent être émises quant à la signification de ses résultats La grande dispersion des mesures et la forte dépendance des résultats à la résistance du béton sont les points les plus problématiques.

On peut enfin noter que certains auteurs proposent de mesurer systématiquement par pull-off les propriétés du béton superficiel pour pouvoir normaliser les résultats de l’essai d’adhérence [64]. Cette

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pratique fait l’objet d’une norme américaine [67] et d’études [68]. Elle est également préconisée par l’AFGC [26] dans le but de s’assurer que le béton possède une cohésion superficielle suffisante avant collage des renforcements (> 1,5 MPa).