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Discussion

Une fois mis en service, les renforcements doivent être en mesure de supporter des environnements défavorables pendant plusieurs années. Pour certaines applications, les travaux de renforcement sont garantis par le fournisseur et/ou l’entreprise. Toutefois, compte-tenu des coûts de mise en œuvre et des conditions d’accès aux zones renforcés parfois difficiles, il est souhaitable que les renforcements soient le plus durables possibles. Les premiers travaux de renforcement remontant maintenant à plusieurs décennies, il existe donc un retour d’expérience sur la durabilité et la tenue des systèmes de PRF collés sur béton. Ainsi, il semblerait que pour certains des cas d’application les plus anciens (au début des années 1980, au Japon), les renforcements soient toujours effectifs et en bon état [97]. Pourtant, la compréhension des phénomènes liés au vieillissement des assemblages collés et des matériaux composites dans des environnements propres au génie civil est loin d’être complète, ce qui constitue encore un frein à leur utilisation.

L’eau et l’humidité ambiante, les températures extrêmes, les cycles humides/secs, les cycles thermiques, les cycles de gel/dégel [98], [99], la présence de sels et d’ions chlorure (qui peuvent provenir des sels de déverglaçage utilisés pour limiter les risques de verglas sur les routes) [100], [99], les agressions alcalines (le béton étant un milieu très basique) [100], l’exposition aux rayonnements UV du soleil, l’effet de charges maintenues (fluage) [24], [101], la fatigue mécanique [102] sont tout autant de facteurs auxquels peut être soumis un système de renforcement par composite collé sur une structure en béton. Les performances du joint sont alors affectées à la fois par des modifications du comportement mécanique des matériaux, et notamment de l’adhésif (diminution de sa rigidité et de sa résistance) et des propriétés d’adhésion à l’interface (rupture des liens chimiques). De nombreuses études de durabilité mettant en œuvre des vieillissements naturels [103] ou accélérés permettent de mesurer l’impact de ces différents facteurs et de mieux comprendre les mécanismes de dégradation. Un aspect délicat est de trouver des conditions de vieillissement artificiel traduisant le mieux possible un vieillissement naturel [104]. Des éléments de standardisation des protocoles de vieillissement peuvent être trouvés dans les guides de recommandations [105].

Par ailleurs, comme cela vient d’être vu, la qualité de la mise en œuvre des renforcements ainsi que les conditions environnementales au moment de la pose peuvent engendrer certains défauts susceptibles de dégrader la qualité de collage initiale. Si l’intégrité du collage n’est pas remise en question à court terme, ces défauts initiaux accentuent la sensibilité du système aux conditions environnementales puisqu’ils constituent des faiblesses et des voies d’entrée privilégiées pour les agents agressifs. Ils peuvent donc induire des vieillissements précoces. Connaître l’effet de ces défauts à plus long terme est donc également un enjeu important.

Dans [87], Karbhari et Navada évaluent l’impact de plusieurs défauts (surface du béton humide ou saturée d’eau, application de trop ou pas assez de primaire d’adhérence) en termes de taux de restitution d’énergie et de vitesse de propagation de fissure dans l’essai de « Mixed-mode peel-type test », et essaient de mesurer comment la présence de ces défauts initiaux affecte l’évolution d’éprouvettes exposées à différentes conditions de vieillissement.

Dans la suite, les phénomènes liés aux vieillissements hygrothermiques seront présentés plus en détails.

Le vieillissement hygrothermique

La combinaison de l’humidité et d’une température élevée est reconnue comme un environnement critique pour les assemblages composite – béton, en raison notamment de ses effets négatifs sur les caractéristiques physiques et mécaniques des adhésifs époxydes [97]. Les interactions

63 avec l’eau au sein d’un assemblage PRFC – colle – béton impliquent plusieurs mécanismes complexes, dont les effets peuvent être parfois antagonistes.

La pénétration de l’eau dans l’adhésif époxyde est responsable du phénomène de plastification, provoquée par la création de liens hydrogène entre les molécules d’eau et les groupes hydroxyles, qui prennent plus de place que les liaisons présentes au sein du réseau. Le volume libre entre les chaînes polymères augmente donc, ainsi que la mobilité de ces chaînes. Ce phénomène de plastification induit généralement une diminution de la température de transition vitreuse 𝑇𝑔 et une chute importante des propriétés mécaniques. Cet effet est par exemple illustré sur les courbes de la Figure 29 pour l’adhésif Eponal 380 (qui sera utilisé dans la partie expérimentale de la présente étude) comme on le voit. La température aggrave ce phénomène en augmentant le volume libre du réseau époxy par expansion thermique, ce qui a pour effet d’augmenter le taux d’absorption de l’eau [106].

Figure 29 : Evolution du module d’Young et de la contrainte à rupture d’un adhésif époxyde en fonction de sa teneur en

eau : a. échelle linéaire ; b. échelle logarithmique [24].

Toutefois, le retour à une certaine mobilité de chaînes provoquée à la fois par la plastification et par l’élévation de la température peut favoriser la reprise du processus de polymérisation pour un adhésif partiellement réticulé. Une phase de post-réticulation allant de pair avec une augmentation des performances du joint est donc souvent d’observée avant la dégradation effective de ses propriétés à plus long terme (une évolution inverse peut aussi se produire selon la cinétique de sorption de l’eau par l’adhésif). Ce phénomène est plus ou moins marqué en fonction de la composition chimique de l’adhésif, et notamment en fonction de la présence ou non de constituants polaires plus hydrophiles.

La baisse de rigidité de l’adhésif est par ailleurs responsable d’une perte d’efficacité de l’ancrage mécanique de la résine dans les pores du béton [106]. A cela s’ajoute d’autres mécanismes contribuant à la dégradation de l’interface [24] :

 des liaisons eau/substrat peuvent se former au détriment des interactions polymère/substrat si l’énergie de surface du substrat est assez élevée ;

 la concentration en eau à l’interface peut atteindre une valeur critique à partir de laquelle interviennent des ruptures de liaisons secondaires (hydrogène ou Van der Waals), voire de liaisons covalentes ;

 la présence de défauts à l’interface (bulles d’air, porosités) induisant de la condensation et le gonflement différentiel adhésif/substrat peuvent générer une pression osmotique élevée favorisant la décohésion de l’interface.

Le schéma présenté sur la Figure 30 résume les effets d’une exposition à l’eau de l’interface adhésif/béton.

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Figure 30 : Effet du vieillissement hygrique à l’interface époxy/béton : a. atmosphère sèche ; b. après exposition à

l’humidité [24], [106].

Ces éléments sont en accord avec les résultats de Benzarti et al. dans [77]. Ces auteurs étudient en parallèle les évolutions de propriétés d’adhésifs seuls et d’assemblages PRFC – béton fabriqués avec ces mêmes adhésifs lors d’un vieillissement hygrothermique à 40°C et 95% d’humidité relative. La température de transition vitreuse 𝑇𝑔 va ainsi alternativement augmenter ou diminuer en fonction de la prédominance de l’effet de plastification ou de post-réticulation (Figure 31.a). Une chute des propriétés mécaniques des adhésifs est par ailleurs bien observée sur les deux adhésifs étudiés (Figure 31.b et c). Le module et la résistance en traction vont jusqu’à être divisés par 4 pour l’un d’entre eux, passant respectivement de 4,9 à 1,3 GPa et de 25 à 6,6 MPa après 8 mois de vieillissement.

Figure 31 : a. Evolution de la 𝑻𝒈 au cours du vieillissement hygrothermique ; b. essais de traction menés à différentes

échéances de vieillissement pour l’époxy C ; c. pour l’époxy D. [77]

Ce changement de comportement de l’adhésif va bien de pair avec une modification des performances mécaniques de l’assemblage, évaluées par essai d’adhérence en traction directe (pull-off) et en cisaillement (pull-out). Pour les essais d’arrachement en traction directe, une diminution de la contrainte à rupture est observée sur l’un des deux systèmes, ainsi qu’une « remontée » du plan de plus faible résistance qui se déplace du béton vers l’adhésif (Figure 32.a). Dans les essais de cisaillement, la valeur de la charge maximale ne change pas drastiquement au cours du vieillissement, bien que la rupture remonte également vers la couche de colle (Figure 32.b), pour les deux systèmes. Ce peu d’incidence du vieillissement sur la résistance en cisaillement est expliqué par l’augmentation de la longueur d’ancrage du composite lorsque le module de l’adhésif diminue. L’effort est alors plus réparti, ce qui vient contrebalancer la baisse de résistance du joint.

En résumé, le vieillissement (hygrothermique par exemple) induit une baisse des performances mécaniques de l’assemblage qui peut être évaluée par les essais de caractérisation usuels. Ce vieillissement est associé à une modification des propriétés de l’adhésif, notamment à une diminution

a. b. c.

65 de son module d’Young et de sa résistance en traction, et une modification de sa température de transition vitreuse.

Figure 32 : Caractérisation de l’adhérence sur des éprouvettes de béton renforcées par lamelles de PRFC soumises à un

vieillissement hygrothermique : a. résultats des essais de pull-off au cours du vieillissement et évolution des modes de rupture ; b. résultats des essais de pull-out (charge maximale) au cours du vieillissement et évolution des modes de

rupture. [77]