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Objectifs scientifiques de la thèse

2. Les indicateurs d’origine de la matière organique

1.1. La Matière organique dissoute

De par sa réactivité avec le milieu aquatique, la MOD est impliquée dans de nombreux processus environnementaux (Aiken 1993) tels que la solubilisation de substances non polaires ou le transport de micropolluants organiques et minéraux (métaux lourds ou autres polluants émergents). Elle joue également un rôle nutritionnel pour les organismes (bactéries, microalgues, macrophytes…) qui, inversement, ont une incidence sur sa composition (Beckett et al. 1987). Au niveau de la filière de traitement pour la production d’eau potable, la MOD est un des facteurs dont les gestionnaires doivent tenir compte. En effet, outre les problèmes de goût et d’odeur, des teneurs importantes en MOD causent de nombreux désagréments dans les réseaux de distribution: surconsommation de réactifs, participation au colmatage des membranes, formation de sous-produits de désinfection potentiellement toxiques (Rook 1974, Bruchet et al. 1990) ou reviviscence bactérienne. Ainsi, la MOD représente un enjeu tant économique qu’écologique et mérite l’intérêt qu’elle suscite dans le monde scientifique et politique.

Le système français d’évaluation de la qualité des eaux se base uniquement sur des paramètres globaux pour caractériser l’altération liée à la matière organique. Il se base sur la quantité de MOD présente dans le milieu et plus particulièrement sur la quantité de Carbone Organique Dissous (COD) et non sur sa qualité. Il faut préciser que si l’amalgame MOD/COD est courant, ce dernier ne représente en général que 45 à 50 % de la concentration totale de MOD (Allan

27 1995). Cependant, l’ensemble des études menées sur le sujet a montré une très grande variabilité de composition de MOD dans l’environnement en plus d’une grande variabilité de concentrations. Ces différences peuvent être attribuées à de nombreux facteurs tels que l’hydrologie, la nature des sols, la végétation (Thurman & Malcolm 1981), mais aussi l’utilisation des sols, le climat ou la saison (Sachse et al. 2005). Dans la pratique, deux catégories de MOD sont plus communément mises en avant : les substances humiques (SH) et les substances non humiques (SNH).

Les substances humiques (SH) sont définies comme l’ensemble des composés organiques issus de la dégradation des plantes (Cuthbert & del Giorgio 1992, Wu et al. 2002) et de la décomposition d’organismes morts, animaux et bactéries (Buffle 1990) par un processus de transformation de ces mêmes biomolécules (humification) (Abbt-Braun et al. 1989, Marhaba & Pu 2000, McDonald et al. 2004). Elles correspondent en effet à l’ensemble des composés organiques à l’exception des organismes vivants et des tissus animaux et végétaux non dégradés (Stevenson 1994). En termes de structure, deux grandes théories se font face. Le premier modèle, et le plus ancien, décrit les matières humiques comme de grosses macromolécules polyfonctionnelles issues de réactions secondaires de synthèse des produits de dégradation des organismes morts (Stevenson, 1994). Le modèle dit « supramoléculaire », plus récent, définit les SH comme le résultat de l’assemblage des produits de dégradation, partielle ou non, des organismes morts (Piccolo et al. 2001). Ce modèle semble aujourd’hui être admis comme le plus proche de la réalité (Piccolo et al. 2001, Piccolo 2002, Perminova et al. 2003, Peuravuori & Pihlaja 2004, Baalousha et al. 2006). Cependant, les études menées par Baigorri

et al. (2007) semblent montrer la coexistence des macromolécules, des petites molécules et des

agrégats supramoléculaires au sein des substances humiques. La classe des substances humiques peut être divisée en trois composantes : les acides humiques (AH) non solubles à pH acides (<1), les acides fulviques (AF) solubles à tout pH et les humines totalement insolubles. La fraction dissoute des SH dans les eaux de surfaces se limite donc aux acides humiques et aux acides fulviques (Malcolm 1990). Les acides humiques de couleur brunâtre sont essentiellement d’origine terrestre. Principalement issus de la dégradation de la lignine et des tanins, ils présentent des structures de tailles importantes (de 1500 à 5000 Da) et très aromatiques (due en particulier aux groupements benzène carboxylique et phénolique). Les acides fulviques présentent quant à eux des structures de tailles plus réduites (de 600 à 1000 Da). De récentes études ont montré que l’origine des acides fulviques était en grande partie aquagénique et plus particulièrement algale engendrant donc des structures plus aliphatiques (Buffle 1990, Malcolm 1990, Thomsen et al. 2002).

28 En opposition aux substances humiques, les substances non humiques (SNH) correspondent au matériel cellulaire non dégradé de l’ensemble de la biomasse. L’activité phytoplanctonique et bactérienne représente, ainsi, une source non négligeable de matériel non humique (Leenheer & Croué 2003, Maksimova et al. 2004, Pivokonsky et al. 2006). Principalement composées de polysaccharides, protéines, acides aminés et autres acides organiques (Her et al. 2004, Pivokonsky et al. 2006), les matières organiques algales (MOAl) résultent de deux phénomènes : l’activité métabolique des cellules (matières organiques extracellulaires ou MOE) et leur décomposition (matières organiques intracellulaires ou MOI) (Her et al. 2004, Huang et al. 2007), leur part respective variant avec la phase de croissance des microorganismes. Les MOE (Leppard 1997, Hung et al. 2005) sécrétées en réponse à des stress environnementaux, sont principalement composées de polysaccharides, pouvant s’agréger en microfibrilles dissoutes, colloïdales (> 1 µm) voire macroscopiques, mais également de protéines, d’acides nucléiques, de lipides et de petits acides (Huang et al. 2007). Les MOI, issues de la libération des matériaux internes lors de la lyse cellulaire, sont potentiellement gênantes pour la production d’eau potable (géosmine, microcystine). Leur élimination est, par conséquent, devenue une priorité (Siddiqui et al. 1997). Les matières organiques anthropiques issues notamment des stations de traitement biologique pour l’épuration des eaux usées urbaines, présentent des structures équivalentes aux MOAl des eaux superficielles naturelles (Drewes & Croué 2002). Ces similitudes sont dues à la forte influence des carbohydrates et des protéines dans les deux cas (Peschel & Wildt 1988). De plus, de nouvelles formes de pollutions organiques attirent aujourd’hui l’attention des chercheurs. En effet, ces polluants « émergents », entre autres d’origine médicamenteuse, représentent un risque sanitaire dont l’étendue et l’impact sont encore mal connus.

Caractériser les substances humiques et non humiques semble alors essentiel afin de comprendre l’origine de la MOD dans les eaux. Plusieurs techniques analytiques de la MOD ont conduit à la création d’un certain nombre d’indicateurs de l’origine de cette MOD basés sur ses caractéristiques structurelles et chimiques :

Caractère Hydrophile/Hydrophobe

La MOD peut être extraite grâce à l’utilisation de deux colonnes montées en série contenant des résines appelées XAD8 et XAD4. L’extraction consiste en l’adsorption de la MOD contenue dans de l’eau acidifiée (pH 2) (Thurman & Malcolm 1981) : la résine XAD8 retient la MOD hydrophobe (HPO) correspondant aux acides humiques et fulviques des SH, la résine XAD4 retient la MOD transphilique (TPI). La fraction la plus hydrophile de la MOD est

29 retrouvée en sortie de la colonne XAD4 et témoigne d’une origine plus aquagénique ou anthropique de la MOD (Demeusy 2007). Des dosages en sorties des différentes colonnes permettent alors de connaitre la part des différentes fractions dans la composition de la MOD et donc de déterminer son origine.

Caractère aromatique : le SUVA

Le SUVA est le rapport absorbance UV à 254 nm mesurée par spectroscopie sur la concentration en carbone organique dissous (UV254/COD). Ce rapport se présente comme un bon indicateur du caractère aromatique de MOD (Croué et al. 1999, Weishaar et al. 2003) (Tableau 1.1) :

Tableau 1.1 : Caractéristiques chimiques des MOD en fonction du SUVA

SUVA Caractéristiques chimiques des MOD

>4 Très hydrophobe, forte masse moléculaire apparente = SH 2-4 Mélange de MOD hydrophobes et hydrophiles

<2 Plutôt hydrophile, faible masse moléculaire apparente = SNH

La fluorescence 3D

La fluorescence totale des eaux de surface et de mer est majoritairement due à la MOD (Coble 1996). La fluorescence 3D basée sur les matrices d’émission-excitation donne une vue globale des propriétés de fluorescence d’un échantillon et permet d’obtenir des informations plus détaillées sur la composition de la MOD (Coble 1996, Sierra et al. 2005). Ces matrices sont constituées d’un ensemble de spectres d’émission mesurés à différentes longueurs d’ondes d’excitation permettant de donner une représentation en trois dimensions des propriétés de fluorescence de l’échantillon : les pics de fluorescence sont alors appelés fluorophores. De manière générale, deux types de molécules sont classiquement étudiés : les matières humiques (fluorescence dans le bleu) et les protéines (fluorescence dans l’UV) (Coble 1996).

Les matière humiques sont composés de deux fluorophores d’origine terrestre et observables pour des MO de toutes origines (eaux de surface, sols, mer…) et d’un fluorophore caractéristique des MO d’origine marine (Tableau 1.2) (Coble 1996). Les fluorophores B et T (Tableau 1.2) sont attribués aux dérivés de la tyrosine et du tryptophane et sont des marqueurs de l’activité biologique (fluorophore B d’origine bactérienne, fluorophore T, d’origine phytoplanctonique) (Coble 1996).

30 Tableau 1.2 : Dénomination des principaux fluorophores. Exc : excitation, em : émission, AH : acide humique, AF : acide fulvique, SH : substances humiques

Molécules λ exc - λem moyennes (nm) Fluorophores Origines

Matière humiques 250-430 A AH terrestres

340-450 C AH et AF terrestres

310-400 M SH Marines

Protéines 270-310 B Tyrosine

270-340 T Tryptophane

La taille des molécules : chromatographie d’exclusion stérique

La chromatographie d’exclusion stérique apparait comme un outil de choix pour discriminer la MOD selon sa taille (Peuravuori & Pihlaja 1997). L’analyse par chromatographie est basée sur le fractionnement par un gel de silice de la MOD en fonction de la masse moléculaire apparente et du temps de rétention des molécules (Peuravuori & Pihlaja 1997). En sortie du gel, la chromatographie est soit associée à des mesures de COD soit à des mesures d’absorbance UV (Zhou et al. 2000, Her et al. 2002). Six classes de molécules sont généralement distinguées (Huber & Frimmel 1991, Frimmel & Abbt-Braun 1999) (Figure 1.1) :

- Fraction 1 : Composés hydrophiles de hautes masses moléculaires, issus de dégradation algale et bactérienne,

- Fraction 2 : Composés hydrophobes présentant une forte aromaticité (SH) - Fraction 3 : Composés issus de la dégradation ou de l’oxydation des SH, - Fraction 4 : Petits acides organiques,

- Fraction 5 : Composés neutres et plutôt hydrophiles de faibles masses moléculaires,

31 Figure 1.1 : Chromatogrammes d’exclusion stérique type de SH avec une détection UV-COD.

Compte tenu de la complexité et de la diversité de la matrice organique dissoute des

eaux, les techniques analytiques qui peuvent être mises en œuvre en routine pour caractériser cette matrice doivent s’appliquer non seulement aux eaux brutes mais aussi aux eaux après fractionnement sur résines XAD8 et XAD4. Elles peuvent également être réalisées sur les extraits solides de MO après élution des résines. Le traitement statistique multidimensionnel de ces données permet le plus souvent de discriminer l’origine de la MOD des eaux (Demeusy 2007).