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CHAPITRE 1 : UNE REVUE DE LITTÉRATURE SUR LES ENJEU

1.2. Les enjeux psychosociaux de la période périnatale

1.3.2. L’impact des conditions psychosociales difficiles ou adverses sur

1.3.2.3. La maternité à l’adolescence

Au Québec, le taux annuel moyen des grossesses adolescentes entre 1999 et 2003 était de 18.2 pour 1000 adolescentes, dans la catégorie des 14-17 ans, et de 66 pour les 18 et 19 ans (Éco-Santé Québec). Nombre de ces grossesses ne seront pas menées à terme. En effet, la plupart de ces grossesses n’étant pas planifiées, les adolescentes enceintes sont confrontées au choix de garder l’enfant ou non. Nombre d’entre elles vont recourir à l’avortement. Au Québec, dans la période de 1999-2003, 13.4 des 18.2 grossesses mentionnées ci-haut seront interrompues par une IVG et 0.6 seront l’objet d’un avortement spontané. Pour les 18-19 ans, 39.1 des 66 adolescentes interrompront volontairement leur grossesse et 2.5. d’entre elles avorteront spontanément. Les naissances totales de mères adolescentes québécoises de 14 à 19 ans sont donc en moyenne depuis quelques années de 28.8 pour 1000 adolescentes (Ibid.). C’est de celles qui choisissent de donner naissance à leur enfant dont nous allons principalement parler dans ce qui suit.

Plusieurs raisons ont été nommées pour expliquer le taux de grossesse à l’adolescence : le manque de connaissance ou la méconnaissance à propos de la conception; la honte ou la peur d’avouer une sexualité active; des relations sexuelles non planifiées; la difficulté de négocier les différents systèmes pour obtenir de la contraception; ou encore la croyance de l’adolescente en sa propre invulnérabilité (Adams et Kocik, 1997, p. 86; Hanna, 2001, p.102-103). Certains styles de vie semblent également prédisposer les adolescentes à devenir enceintes : « from alcohol abuse and substance abuse to early sexual debut, depression or the experience of domestic violence and sexual abuse, or (…) from chaotic environments » (Hanna, 2001, p. 102). Cependant, certains auteurs remarquent que, même si la plupart des grossesses ne sont pas consciemment planifiées et sont le résultat « d’un accident »38, elles tendent, en tout cas dans certaines situations, à ne pas être consciemment empêchées. En effet, alors que la période de l’adolescence se distingue par une recherche identitaire, la maternité confère aux adolescentes qui choisissent d’élever leur enfant une identité à part entière (Ibid.; Barratt et coll., 1996, p. 213). Ceci expliquerait, selon M. Barratt et ses collaboratrices, que dans leur étude, « the adolescent mothers were developping a stronger purpose for living since the births of their infants and were experiencing greater enjoyment and a sense of well-being in their lives » (Ibid.). Ceci a été également observé chez les mères adolescentes provenant d’un milieu défavorisé. Pour une majorité d’entre elles, il a été observé que la maternité était « a response to a sense of alienation, isolation and a lack of future opportunities » (Adams et Kocik, 1997, p. 87). À ce sujet, il a été également remarqué que « in a nation where one’s worth is judged primarily in three areas –

38 Dans les pays développés, 70 à 90% des grossesses adolescentes ne sont pas planifiées (Adams

school, work and family – it is not surprising that teenagers who cannot find a way to succeed in the first two areas find no reason to delay resorting to the third » (The Children’s Defense Fund, 1986, dans Ibid., p. 87). Notons aussi l’effet de la transmission intergénérationnelle. À ce sujet, il a été observé qu’un nombre significatif de mères adolescentes sont elles-mêmes nées quand leur propre mère était adolescente (Kahn et Anderson, 1992, dans Adams et Kocik, 1997, p. 91; Hanna, 2001, p. 102). Enfin, B. Hanna souligne que la grossesse d’une adolescente provenant d’un milieu peu aimant est aussi un moyen pour elle de créer sa propre famille et se trouver une source d’amour inconditionnel. Selon cette auteur, « young women (…) from impoverished or difficult backgrounds who have experienced family breakdown may seek early parenthood as a way of creating love for themselves when their family rejects them » (Hanna, 2001, p. 104). Ainsi, on ne peut ignorer les aspects affectifs et psychiques, conscients et inconscients, impliqués dans le fait de devenir enceinte sans le planifier. Pépin souligne, en ce sens, au sujet de jeunes femmes marquées par la carence et l’immaturité affectives que :

Concevoir un enfant est, pour ces jeunes femmes, d’une part, un projet conscient de se tirer des impasses relationnelles répétées, d’arrêter le cycle des ruptures et des rapprochements, de donner un sens et un centre à une vie dont les commandes leur ont toujours échappé; d’autre part, une tentative inconsciente de réparer par le bébé une enfance décevante et traumatisante, un moyen magique de se projeter dans cet être neuf et d’essayer à la fois de lui donner ce qu’elles n’ont pas reçu tout en se nourrissant à travers lui. C’est aussi une occasion, en accédant au statut de parent, d’obtenir une reconnaissance sociale de la part des autres adultes. (Pépin, 1996, p. 75)

La maternité à l’adolescence a des implications psychosociales qui peuvent accroître les difficultés dans la transition vers la maternité pour ces jeunes femmes. Il est généralement reconnu, dans la littérature traitant de la maternité à l’adolescence, que ces mères sont confrontées à deux phases développementales de leur vie qui ne sont pas nécessairement compatibles l’une avec l’autre (Barr et Monserrat, 1992; Hamburg; 1986; Sadler et Catrone, 1983, dans Adams et Kocik, 1997, p. 89). La jeune personne qui s’apprête à être mère est avant tout une adolescente. Son être est en processus de maturation à différents niveaux : elle passe d’un système de pensée opérationnel concret à un système de pensée opérationnel formel et elle commence à développer son identité en devenant plus autonome et indépendante de sa famille (Adams et Kocik, 1997, p. 89; Barratt et coll., 1996, p. 213). Cette période de vie est aussi propice à la recherche d’acceptation parmi ses pairs et à l’adoption de comportements narcissiques et égocentriques (Adams et Kocik, Ibid.). À l’inverse, le rôle de parent demande de se décentrer, d’être à l’écoute du besoin de l’enfant et d’y répondre avec sensibilité (Barratt et coll., 1996, p. 209). Selon Mercer (1985), la manière dont les femmes en général idéalisent leur rôle de mère est un indicateur de leur futur style de maternage. Mercer remarque que les adolescentes ont plus tendance que les femmes plus âgées à imaginer leur rôle en fonction de gestes pratiques, comme « garder l’enfant propre » et qu’elles ont moins tendance à s’imaginer dans une attitude affective comme « conforter et nourrir l’enfant » ou « jouer avec l’enfant ». Selon cette auteur, « teenagers had different beliefs about ideal mothering behaviors, and these different beliefs may account in part for their less competent (mothering) behavior » (Ibid., p. 202). Ceci concorde avec d’autres études qui soulignent que les adolescents n’ont pas encore développé des aptitudes matures de résolution de problème, comme la capacité de planifier, et cela peut les rendre intolérants

aux demandes des autres (Kriepe, 1983, dans Adams et Kocik, 1997, p. 94). Également, d’autres auteurs soulignent qu’un parent adolescent n’est ni encore capable de comprendre les besoins de l’enfant ni capable de faire appel à ses propres capacités pour répondre à ces besoins (Sadler et Catrone, 1983, dans Ibid.). Ainsi, dans le cas où l’enfant est né prématurément, « this may be manifested in lack of visition (to the hospital) and not comprehending why their presence is being requested » (Ibid.).

Ainsi, le choc entre les deux phases développementales que sont l’adolescence et la maternité est un facteur contribuant aux difficultés pouvant être vécues par une mère adolescente. Selon Adams et Kocik, la réalité d’être une jeune mère devient claire lorsque l’enfant à six mois. À ce stade, « the tasks of mothering may be much more difficult than she anticipated and incompatible with her own adolescent needs » (Adams et Kocik, 1997, p. 93). Lorsque l’enfant est prématuré39, il est peu probable que le parent adolescent vive la « lune de miel » qui est souvent vécue après la naissance. Dans ce cas,

At best, their child’s hospitalization can be a productive encounter for adolescent parents that assist their own developmental and maturational needs and enhances bonding with and learning about their child. At worst, the infant’s hospitalization is the latest unfolding of a teenager’s troubled, even tragic, life, with massive social pathology already being shifted to a new vulnerable infant. (Adams et Kocik, 1997, p. 93)

Des recherches comparant les mères adolescentes avec les mères adultes montrent que les premières rapportent vivre plus de stress et de sentiments de tristesse et de perte de contrôle (McKenry, Kotch et Browne, 1991; Miller et Moore, 1991, dans Barratt et coll., 1996, p. 210). En plus, ces mères avaient plus tendance à rapporter « psychological problems in the areas of interpersonal sensitivity, phobic anxiety, and paranoid ideation » (Barratt et coll., 1996, p. 213). Les mères adolescentes semblent aussi plus sujettes à la dépression postpartum, avec des taux pouvant atteindre 50% (Logsdon, Birkimer, Simpson et Looney, 2005, dans Secco et coll., 2007, p. 47). En outre, selon Pépin, qui, rappelons-le, étudie le sujet de la carence et immaturité affectives chez les adolescentes en période périnatale,

Les troubles carentiels regroupent une cohorte de jeunes femmes ayant en commun une enfance vécue dans des conditions précaires, marquée de négligence, de violence physique et psychologique, d’abus sexuels, de désunion des familles d’origine, de placements multiples en familles ou en centres d’accueil. Pauvreté, promiscuité sexuelle, délinquance précoce, mode de vie marginal, toxicomanie et prostitution accompagnent souvent le tableau et prédisposent ces femmes à vivre des grossesses précoces et non planifiées (…). Tout semble ici se conjuguer pour augmenter les risques que se répète avec le bébé l’histoire de la patiente. (Pépin, 1996, p. 74)

Au niveau social, les implications ont déjà été également peintes de manière plutôt sombre. Selon Lockhart et Wodarski (1990),

Adolescents who became pregnant are ensuring for themselves and their babies a future marked by truncated education, inadequate vocational training, poor work skills, economic dependency and poverty, large single parent households, and social isolation.

(dans Adams et Kocik, 1997, p. 88)

39 Au niveau physique, les adolescentes enceintes sont plus sujettes aux problèmes de santé que

nous avons déjà mentionnés : anémie, la prééclampsie, faible prise de poids pendant la grossesse, prématurité et le décès précoce de leur enfant (Nichols, 1991; Center for population options, 1991, dans Adams et Kocik, 1997, p. 88), avec les conséquences sur la mère et l’enfant que l’on connaît (voir Chapitre 1, section 1.3.1.).

Toutefois, ce tableau noir de la maternité à l’adolescence, même s’il peut décrire la réalité de nombreuses mères, est à nuancer au travers d’études qui montrent qu’un certain nombre de mères adolescentes parviennent à dépasser ces désavantages. Plusieurs facteurs sont en jeu, comme le statut social, le soutien social et l’estime de soi (Secco et coll., 2007, p. 47-48). Adams et Kocik soulignent également que le niveau d’éducation de la mère adolescente, avant ou après la naissance, reste un facteur fiable de prédiction de son avenir. Plus elle est scolarisée, plus la jeune mère réussira à dépasser les désavantages sociaux de sa maternité (Adams et Kocik, Ibid., p. 89). Il a aussi été observé que les mères adolescentes dont leur propre mère était plus éduquée rapportaient davantage de sentiments de bien-être (Barratts et coll., 1996, p. 213). Un autre facteur déterminant est le soutien apporté par un membre de la famille ou le père de l’enfant. Leur soutien aura un effet positif sur la mère. Cependant, la grossesse de l’adolescente peut raviver les conflits familiaux et le contexte peut être défavorable pour la jeune mère. En somme, selon Adams et Kocik, « when addressing the social implications of adolescent childbearing, it is difficult to isolate pregnancy from other aspects of the adolescent’s life » (Adams et Kocik, 1997, p. 89). Au niveau de l’intervention psychosociale, la qualité et la pertinence de l’aide apportée dépendront de la bonne compréhension des problématiques particulières de la jeune mère.