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CHAPITRE 2 : L’INTERVENTION PÉRINATALE DES TRAVAILLEURS SOCIAU

2.2. La périnatalité au Québec, étude de la construction d’un champ d’intervention

2.2.2. L’orientation actuelle en matière de politique de périnatalité

2.2.2.1. Le bilan de la politique de périnatalité de 1993

Le Bilan précise que la Politique de 1993 était attendue et a été très bien reçue par les divers milieux liés à la périnatalité et qu’elle a été un outil de référence pour tracer de grandes orientations et guider l’implantation de programmes et la création de services (Théorêt et coll., 2007, p. 4). Toutefois, le Bilan fait ressortir que « cette politique n’a pas fait l’objet d’un suivi formel à aucun des paliers prévus pour son application » bien que les responsables de cette politique aient prévu une mise en œuvre, un suivi et une évaluation de celle-ci (Ibid., p.11). Selon le Bilan, « l’absence de processus de mise en

œuvre et de suivi a fait en sorte que les ressources nécessaires pour atteindre les objectifs de la Politique, tant humaines que financières, n’ont pas été allouées » (Ibid., p. 30). En plus, le Bilan remarque que la conjoncture qui a suivi l’apparition de la Politique de 1993 n’a pas été favorable à sa mise en œuvre et son application. Des conditions adverses rencontrées par le gouvernement ont été la réforme du système de santé, la transformation du réseau et la recherche de l’équilibre des finances publiques (Ibid., p. 21). Sur ce dernier point, le Bilan constate que le contexte budgétaire a entraîné, notamment lors du plan triennal de 1995 à 1998, « la suppression de nombreux services ou leur réorganisation à partir de ressources humaines et financières réduites » (Ibid.). Dans l’ensemble, le Bilan conclut qu’ « on ne constate pas une mise en œuvre réfléchie de la Politique, mais plutôt le développement de ‘parties’ de la Politique sans trop de préoccupations à l’égard des autres ‘parties’ » (Ibid., p. 22).

L’objectif principal de la Politique de 1993 était d’améliorer le soutien apporté aux futurs parents et aux parents de très jeunes enfants ainsi qu’aux jeunes enfants présentant des besoins particuliers. Selon le Bilan, « les modifications administratives et organisationnelles (…) ainsi que le manque de ressources humaines et financières n’ont pas permis le virage vers des services universels que visait la Politique » (Ibid., p. 6). Toutefois, « on constate que les années d’application de la Politique ont conduit à des acquis, grâce au travail de l’ensemble des partenaires, pour les familles les plus vulnérables et, de façon incomplète et peu cohérente, pour l’ensemble des femmes enceintes, des pères, des très jeunes enfants et des familles » (Ibid.). Ces acquis ont été initiés à plusieurs niveaux. Au niveau ministériel, en lien avec les orientations de la Politique de 1993, on retrouve : l’autorisation légale et le développement de la pratique des sages-femmes52; les Services intégrés en périnatalité et pour la petite enfance (SIPPE) à l’intention des familles vivant en contexte de vulnérabilité53; les actions en vue de soutenir l’allaitement maternel; ainsi que la reconnaissance et la stimulation des pratiques communautaires (Ibid., p. 5). D’autres actions ont été également posées au niveau ministériel « dans les domaines de la planification des naissances, des nouvelles technologies de reproduction (procréation assistée), des infections transmises sexuellement et par le sang, des soins intensifs en néonatalogie de même que sur le plan stratégique et des implications sociales et éthiques du diagnostic prénatal » (Ibid.). Alors que la grande majorité des hôpitaux ont réduit la durée de séjour en milieu hospitalier après accouchement, le Ministère de la Santé et des Services sociaux a instauré, en lien avec les orientations de la Politique de 1993, un programme de congé précoce dans la

52 Il est intéressant de noter la remarque de Couillard et Boyer à ce sujet. Malgré la création de

centres de naissance où pratiquent des sages-femmes et bien que le virage ambulatoire vienne accélérer la sortie de l’hôpital, selon ces auteurs, « l’acte d’accoucher n’est jamais véritablement pensé ‘hors des murs’. Ceci contraste en effet avec ce que nous avons vu (…) concernant la nouvelle vocation de l’hôpital appelé à devenir uniquement un lieu de soins hyperspécialisés. Alors que tout le discours est axé sur le retour à la communauté, que la Politique est elle-même recadrée dans un autre langage et que le virage commande la sortie de tout ce qui ne requiert pas de haute technologie, on peut se demander alors pourquoi l’accouchement demeure une enclave protégée à l’intérieur de cette institution » (Couillard et Boyer, 2000, p. 179).

53 Le Programme SIPPE est le résultat de l’intégration de trois programmes en 2004, soit : Naître

égaux – Grandir en santé, le Programme de soutien aux jeunes parents et les activités de soutien éducatif précoce (Ibid., p. 22).

plupart des centres hospitaliers accoucheurs du Québec afin d’assurer la sécurité de la mère et de l’enfant lors de leur retour au domicile (Ibid., p. 38). Enfin, le Bilan constate toutefois que les actions du ministère en matière de périnatalité « semblent avoir peu de liens entre elles et présentent même parfois des aspects contradictoires » (Ibid., p. 22). C’est le cas notamment du programme de congé précoce après l’accouchement qui laisse peu de temps à l’enseignement et à la réduction des difficultés associées à l’allaitement au sein de l’hôpital. En fait, l’avènement du congé précoce est venu « limiter les ressources offertes en périnatalité » (Ibid., p. 4). Pour assurer la continuité des services lors de l’implantation du congé précoce, les CLSC, dans l’ensemble, ont pris en charge la responsabilité des services et des soins postnatals immédiats (48-72 heures après l’accouchement)54. Cependant, le Bilan constate que « cette continuité est réduite ou non existante après le contact initial avec les clientèles non vulnérables » (Ibid., p. 23). Ainsi, le Bilan formule plusieurs critiques face au manque de mise en œuvre de la Politique de la part du ministère, dont les suivantes :

• À l’exception des programmes qui visent les clientèles qui présentent des problèmes particuliers, peu d’actions ont été menées pour rejoindre les familles, déterminer leurs besoins et attentes et trouver les manières efficaces d’y répondre; • Les secteurs qui rendent des services de première ligne aux familles avec un

nouveau-né se sont trouvés avec un accroissement de leur tâche sans que les ressources nécessaires soient ajoutées;

• Divers programmes ont souffert de l’implantation du congé précoce, dont les programmes qui exigent des ressources importantes, tels les SIPPE (Ibid.).

Au niveau régional, les actions en lien avec la Politique de 1993 ont été nombreuses et diversifiées. Certaines de ces réalisations sont associées au développement du continuum de services pour les femmes enceintes, les très jeunes enfants et les familles (Ibid., p. 5). Des initiatives ont été prises en fonction des grandes divisions de la période périnatale : la période préconceptionnelle, la période prénatale, la période pernatale et la période postnatale (Ibid., p. 43). Mais, puisqu’au niveau ministériel, il n’y a pas eu une volonté concrète d’assurer l’universalité des services en périnatalité, les actions en région n’ont pas reçu le soutien financier et humain pour rejoindre l’ensemble de la population. Ces actions « ont surtout visé à combler des besoins particuliers et se sont soldées par une diminution des services à la clientèle universelle » (Ibid., p. 23). Les réalisations au niveau régional s’adressent essentiellement aux familles vivant en situation de pauvreté : elles incluent les références, les mesures de soutien particulières, les tables sectorielles et régionales, etc. Le Bilan constate par ailleurs une amélioration de

54 Le Portrait de la situation dans les régions du Québec (2000) montre que trois modèles de

suivi postnatal dans le contexte de congé précoce se dégagent : le modèle centré sur le centre hospitalier qui assure lui-même le suivi postnatal immédiat à domicile; le modèle centré sur la communauté, quand le CLSC assure ce suivi; et le modèle mixte, où les deux institutions offrent le service en fonction des besoins de la clientèle et de la disponibilité des ressources (dans Théorêt et coll., 2007, p. 39). Une autre étude à ce sujet montre qu’une intervention rapide dans les 72 heures suivant le congé a un impact positif sur l’état de santé mentale de la mère, un mois après l’accouchement; que l’absence de complémentarité entre les centres hospitaliers et les CLSC diminue l’efficience du réseau; et que le niveau d’implication des CLSC a un effet plus important sur l’accessibilité des services et sur la probabilité de continuer d’allaiter que celui des hôpitaux (Ibid., p. 40).

l’accessibilité en CLSC des programmes de soutien aux populations vulnérables, comme Naître égaux – Grandir en santé, puis par la suite le programme SIPPE (Ibid., p. 37). Une étude montre que ces programmes entraînent des gains importants pour les mères de milieu défavorisé, notamment sur le plan des symptômes dépressifs, de l’anémie postnatale, de l’allaitement maternel et du soutien social55. Toutefois, le Bilan constate que le déploiement des programmes de soutien aux populations vulnérables « demeure inégal, et les équipes de CLSC ne réussissent pas toujours à rejoindre, de façon satisfaisante, la clientèle visée ou encore à offrir l’intensité de service nécessaire, faute de financement » (Ibid.). En outre, certaines régions ont été particulièrement affectées par la diminution et l’arrêt de services sur leur territoire, notamment en raison de « choix de financement, de restructuration, de fermetures de départements ou de manque de ressources humaines » ainsi que de « resserrement de budget, (de) rationalisation ou (de) pénurie de médecins » (Ibid., p. 44). Ceci s’est traduit par la fermeture de départements d’obstétrique, la réduction de personnel dans les cliniques de périnatalité, le transfert des femmes à risque vers une autre région, etc. Ceci est d’autant plus dommageable pour les familles que l’on connaît pour les femmes « les conséquences de l’éloignement et de l’isolement, incluant des coûts émotifs et financiers pour les conjoints et les familles qui doivent se déplacer » (Ibid.). Deux autres champs ont été touchés par cette conjoncture : les visites et/ou téléphones pré et postnatals et les rencontres prénatales. Ces services se sont vus fortement diminués ou arrêtés dans certaines régions, notamment pour la clientèle universelle (Ibid.). Les conséquences pour les familles peuvent être considérables. En effet, selon le Bilan, « de nombreux problèmes entourant la grossesse, l’accouchement et l’allaitement seraient imputables au fait que les parents sont très mal préparés à vivre ces événements » (Ibid.). Le Bilan rappelle également que « la perte de l’universalité des cours prénataux est exacerbée par le fait que ces nouveaux parents n’ont plus de modèle; plusieurs n’ont jamais pris un bébé dans leurs bras ou donné de soins à un nourrisson » (Ibid.).

Malgré les failles de la mise en œuvre de la Politique de périnatalité de 1993, on observe qu’un ensemble de mesures et d’actions réalisées par d’autres ministères, organismes publics et autres acteurs sociaux ont contribué à affecter de manière positive l’expérience des mères, des pères et des jeunes enfants en période périnatale. Par exemple, des mesures gouvernementales visant à amoindrir les conséquences de la pauvreté sur la santé et le bien-être des femmes enceintes ont été adoptées depuis la parution de la Politique (Ibid., p. 26). Ainsi, on retrouve la prestation spéciale de grossesse, la prestation spéciale d’allaitement, la prestation spéciale de soutien à l’achat de préparations lactées pour les enfants âgés de moins de neuf mois, de programme d’accès aux études pour les jeunes femmes enceintes et les jeunes mères, ainsi que la mesure financière spéciale pour les mineures enceintes. D’autres mesures visant l’amélioration des conditions socioéconomiques des jeunes familles ont trait à la valorisation au travail, à l’amélioration du revenu des individus et des familles, surtout les plus vulnérables, à la bonification de l’assurance-emploi et à des investissements en habitation (Ibid., p. 48). Des actions ont également été réalisées dans le domaine de

55 Cependant, aucune incidence n’a été remarquée sur l’insuffisance de poids à la naissance. Le

Bilan note que certains phénomènes physiologiques, comme l’insuffisance de poids ou la maturité, sont encore mal connus au niveau scientifique et sont donc très difficile à contrer (Ibid., p. 6).

l’éducation pour soutenir les jeunes parents dans leur projet de retour aux études (Ibid., p. 46). Ensuite, le déploiement des services de garde a permis de répondre aux besoins de certains enfants et leurs parents. En 2002, une entente-cadre entre diverses instances administratives a été conclue afin de favoriser les collaborations entre les CLSC et les CPE (Ibid., p. 47). En outre, la création du Régime québécois d’assurance parentale en 2006 va aussi dans le sens de soutenir les familles en période périnatale. Enfin, la reconnaissance et la stimulation de certaines pratiques communautaires en lien avec la périnatalité56 de la part des ministères se sont accompagnées d’une augmentation des

allocations financières à leur endroit (Ibid., p. 50).

En somme, au terme de cette étude sur la mise en œuvre de la Politique de périnatalité de 1993, le Bilan constate que l’objectif d’universalité des services n’est pas atteint. Une concentration des réalisations et de mise en œuvre de services auprès des familles les plus vulnérables a été observée dans l’ensemble des régions de la province. Cependant, ce développement est inégal et le manque de ressources humaines et financières oblige plusieurs instances régionales à prendre des décisions en matière de périnatalité qui vont à l’encontre des objectifs de la Politique. Les problématiques soulevées par l’implantation du programme de congé précoce, notamment la difficulté observée de garantir une continuité des soins à l’ensemble de la population dans les jours qui suivent la naissance, révèlent que les logiques de réduction des coûts des soins de santé surpassent les logiques d’accompagnement à la population générale au moment de la naissance. D’autres logiques présentes dans notre société actuelle sont également potentiellement contradictoires. Selon le Bilan, et nous terminerons cette section sur ces mots,

Deux courants principaux, parfois opposés, se partagent l’espace social de la périnatalité : • D’une part, la science ainsi que les technologies médicales et pharmacologiques occupent un terrain de plus en plus grand sur les plans socioéconomique (ressources humaines et matérielles investies dans les techniques et les immobilisations) et symbolique (visibilité et représentations publiques quant à la capacité à traiter efficacement de plus en plus de conditions médicales extrêmes ou chroniques);

• D’autre part, l’humanisation des soins (moins d’interventions médicales durant la grossesse et à l’accouchement, choix éclairé, contrôle de la douleur, allaitement, soutien aux familles, choix de l’intervenant) relève plus de la sphère privée des choix individuels et ne bénéficie pas de la même visibilité ni de la même reconnaissance sociopolitique que les techniques issues des sciences médicales.

Ces deux courants occupent le même espace social, et le partage est inégal en matière de représentations symboliques et de ressources humaines et financières. (Ibid., p. 24)