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CHAPITRE 1 : UNE REVUE DE LITTÉRATURE SUR LES ENJEU

1.1. La période périnatale d’un point de vue psychanalytique

1.1.3. Les interactions mère-enfant suite à la naissance

La grossesse se termine par une ultime étape : la « délivrance » de l’enfant. Autant au niveau physiologique l’enfant sort du corps de sa mère, autant au niveau psychique la mère doit procéder à une « délivrance psychique » (Bayle, 2005, p. 334). Bayle décrit ce mouvement comme suit :

La délivrance psychique, c’est le temps de la rupture, du passage, où l’autrui-à- l’intérieur-de-soi apparaît et surgit comme un autrui-face-à-soi. La délivrance psychique est le moment de la rencontre avec l’être conçu incarné dans ce corps-là, que les parents explorent et découvrent maintenant. La délivrance psychique impose le retour à la solitude fondamentale du soi, la séparation d’avec l’autrui-en-soi, comme en témoigne la sensation, parfois douloureuse, de vide à l’intérieur du ventre… Le constat de la continuité entre le prénatal et le postnatal ne doit pas nous faire oublier ce moment de rupture qu’est l’accouchement. La notion de délivrance psychique invite à penser ce moment de rupture, où l’être humain conçu révèle son « vrai » visage, peut-être même – dès les premiers instants de la naissance – dans le face-à-face de l’échange des regards (Ibid.).

Mais, paradoxalement, en même temps que la naissance est perçue comme une rupture et la fin d’un processus, un lien de continuité entre le prénatal et le postnatal est manifeste. Après la naissance, pour un temps encore, l’enfant continue à vivre selon un régime d’identification profonde et fusionnelle, notamment à travers l’allaitement (Ibid., p. 311; Benedek, 1959). Benedek parle de « emotional symbiosis » qu’elle définit comme « a reciprocal interaction between mother and child which, through the processes of introjection-interaction, creates structural change in each of the participants » (Benedek, 1959, p. 392). Il y a là en effet des opportunités développementales majeures pour la mère. Là encore, elle revit avec son enfant « the pleasures and pain of infancy » (Ibid., p. 395). À travers l’apprentissage et la réalisation de son rôle, elle peut se réconcilier avec son propre vécu, et la confiance qu’elle acquiert en tant que mère supporte son estime de soi. Cela devient « a source of secondary narcissim and self-assurance » (Ibid. p. 396).

Selon d’autres auteurs, certains phénomènes psychiques durant la grossesse ont une valeur prédictive sur les interactions mère-enfant après la naissance. C’est le cas notamment des représentations maternelles élaborées au cours de la grossesse. Celles-ci permettraient de prédire, de façon fiable, la qualité de l’attachement de l’enfant à l’âge d’un an (Bayle, 2005, p. 318). En effet, les travaux d’Ammaniti et ses collaborateurs, dont nous avons déjà parlé quand nous avons abordé le phénomène des représentations maternelles ‘intégrées’, ‘ambivalentes’ et ‘désinvesties’, révèlent que la représentation de l’enfant à naître possède la même structure narrative et la même organisation formelle que les représentations maternelles. Comme Ammaniti le décrit :

Dans le modèle des représentations « intégrées », l’enfant apparaît mieux défini affectivement et cognitivement que dans les autres modèles. Il est considéré comme une personne avec certaines caractéristiques individuelles et se présente comme l’enfant imaginaire, l’enfant voulu et partagé avec le partenaire, qui se place dans la relation de couple sous-tendue par la vie fantasmatique de la mère et du père. La représentation de l’enfant dans le groupe de mères ayant un style « ambivalent » est principalement construite autour de la dimension imaginative caractérisée par la dominance des fantaisies. L’enfant apparaît davantage comme peu différencié, tiré directement des conflits libidinaux et narcissiques de la mère. Cet enfant reste séparé des configurations parentales du couple et naît surtout du désir de maternité plus étroitement lié au conflit

oedipien maternel, au domaine des fantaisies omnipotentes dont parle Winnicott, imbibé de besoins infantiles et de l’adolescence qui peuvent interférer avec l’individuation de l’image de l’enfant. Dans la représentation « désinvestie », la dimension normative et sociale semble prendre le dessus par rapport à la dimension imaginative. Dans ce sens, la représentation de l’enfant chez les femmes de ce groupe est aussi moins différenciée et moins riche que la représentation intégrée de l’enfant (Ammaniti et coll., 1999, dans Bayle, p. 321-322).

D’autres représentations mentales présentes chez la mère ont un impact direct sur le type de maternage offert au nourrisson. S. Stoléru et ses collaborateurs montrent que les scénarios fantasmatiques maternels présents lors de la grossesse organisent les interactions entre la mère et l’enfant (Stoléru, Moralès-Huet et Grinschpoun, 1985, dans Bayle, 2005, p. 323). Stoléru donne l’exemple d’une mère qui exprimait en fin de grossesse son « horreur de la nudité » et qui interagissait avec son nourrisson de manière distante, avec des contacts corporels pauvres et peu satisfaisants (Ibid., p. 324). Il donne aussi l’exemple d’une autre mère qui, avant et après la naissance, exprimait du plaisir et du réconfort à l’idée qu’un enfant soit allaité. L’observation de l’interaction mère-enfant permettait de voir que :

L’interaction est caractérisée par une grande proximité du contact corporel, où s’inscrit une véritable mutualité affective. Les événements légèrement douloureux de la vie du bébé donnent à la mère l’occasion de magnifier rapprochements corporels et communion affective avec l’enfant, concourant à la répétition de l’histoire personnelle de (la mère). Celle-ci avait connu une relation privilégiée avec sa mère, dans un moment où la douleur occupait une place centrale. (Stoléru et coll., dans Ibid., p. 325)

La qualité de l’interaction mère-enfant est également déterminante pour le développement ultérieur de l’enfant. Il existe un lien entre les représentations maternelles, les interactions de la mère avec l’enfant et ultimement avec le développement du nourrisson. Ainsi, Ammaniti explique que :

Les mères dont le monde de représentations est suffisamment équilibré ont des nourrissons dont l’attachement est stable. Ces femmes ont élaboré de façon cohérente leur propre relation d’enfance avec leurs parents, indépendamment des éventuels traumatismes qu’elles ont pu subir; elles sont capables de prêter à leurs expériences d’enfant une valeur qu’elles peuvent appliquer à leur histoire personnelle et à leur état mental actuel (…). Ces dispositions permettent à la mère de répondre avec affection aux exigences de sécurité de l’enfant et à son processus d’autonomisation. Le nourrisson bénéficie alors d’un climat de confiance relationnelle qu’il peut intérioriser; il sait sa mère capable de prêter attention et de comprendre des demandes qu’il lui communique. En revanche, lorsque les mères sont incapables de se dégager des relations qu’elles ont entretenues avec leurs parents au cours de leur enfance, et qu’elles se maintiennent dans une forte dépendance aux images parentales, le développement du nourrisson s’en trouve affecté. (…). On retrouve le même type de défense chez son enfant : celui-ci tend à fuir les interactions affectives impliquant des relations d’attachement, et élabore des stratégies défensives pour éliminer tout affect négatif comme l’angoisse et la colère. (Ammaniti et coll., 1999, dans Ibid., p. 326)

Ultimement, la qualité de l’interaction mère-enfant joue un rôle déterminant dans l’organisation psychique de l’enfant. Selon Winnicott, l’état de préoccupation maternelle primaire offre un cadre essentiel pour la construction psychique de l’enfant et pour son développement. De la capacité de la mère à répondre aux besoins de l’enfant dépend la constitution du self de l’enfant. Winnicott observe également que le défaut d’adaptation de la mère à son rôle risque de produire l’annihilation du self de l’enfant (Winnicott,

1969). Benedek constate également que « the child’s ego seems to be weakest in those areas which correspond to unresolved conflicts of the mother, father or significant parent surrogate » (Ibid., p. 403). Benedek explique en ce sens que l’organisation psychique de l’enfant se calquera sur le caractère positif (confiant) ou négatif (ambivalent) du mode interactionnel proposé par la mère (Benedek, 1959, p. 397). Benedek décrit comment la répétition d’expériences satisfaisantes lors du nourrissage « add up to a memory of pleasant-feeding-mother equated with pleasant-feeding-self », mais que « the same mother in dissimilar feeding situations may also be associated with unpleasant memory traces and become the introject of pain : painful-bad-mother equated with painful- unpleasant-self » (Benedek, 1959, p. 392). Notons toutefois que tout ne dépend pas que du parent. Il a été observé que l’enfant a une part active dans la relation avec sa mère et qu’il n’est pas seulement un « réceptacle à projections » (Brazelton, 1981; Stern, 1977, dans Bayle, 2005, p. 322). Benedek note également que si, d’un côté, la relation que la mère offre à son enfant le structure dans son développement, l’enfant offre à son tour l’opportunité à ses parents de régler leurs propres conflits développementaux que sa présence révèle (Benedek, 1959). Dans les semaines qui suivent l’accouchement, selon cette auteur :

There are reciprocal ego developements. In the infant, through the introjection of good mother=good self, the infant develops confidence. In the mother, through introjection of good-thriving-infant=good-mother-self, the mother achieves a new integration in her personality. (Ibid., p. 393)

En d’autres termes, pour Benedek, « in the symbiotic processes, the mother is not only a giver, but also a receiver » (Ibid., p. 390) et cela confirme que la parentalité est une phase développementale potentiellement constructive de l’être humain.

En somme, la psychanalyse nous révèle combien, au niveau psychique, la période périnatale s’avère déterminante tant pour la mère que pour l’enfant. La conception de l’enfant entraîne chez la mère une période de tels remaniements psychiques que d’aucuns la comparent à la période de crise d’adolescence (Benedek, 1959; Bribing, 1959). Cette période se caractérise en effet par des états d’anxiété et de stress importants. Tout comme dans les autres phases critiques de développement de l’être humain, il y a également dans la période périnatale une opportunité pour la mère de réparer et de grandir. Cette période est donc propice à mettre au monde non seulement un enfant, mais aussi une mère, la plus adéquate possible, ou comme dirait Winnicott, « suffisamment bonne ». Même si ces bouleversements sont considérés comme « normaux », c’est une période où certaines femmes, cependant, risquent également de sortir « désemparées » (Pépin, 1991, p. 15). L’obstacle majeur au dénouement heureux de ce processus de maturation semble être les conflits psychiques non réglés de la mère en lien avec son propre vécu d’enfant et en particulier en lien avec sa relation avec sa propre mère. Cependant, plusieurs auteurs soulignent que cette période est propice à la régulation des conflits psychiques en raison de la fragilisation des structures psychiques et à une aptitude particulière au transfert (Bribing, 1959, p. 116; Brazelton, dans Bayle, 2005, p. 312; Bayle, 2005). Il semble donc que, quand les capacités des parents sont inhibées en raison de difficultés psychiques et émotionnelles, une forme d’aide soit nécessaire pour résorber ou atténuer les problèmes nuisant à la qualité de leur parentage. Bribing remarque qu’en raison des caractéristiques psychiques de cette période, la stabilisation de l’état psychique de la mère, grâce à une

intervention thérapeutique adéquate9, se réalise « with a relative ease (…) in a number of cases » (Bribing, 1959, p. 116). Une telle démarche semble également avoir un impact déterminant pour l’enfant en devenir, puisque selon certains auteurs, « en s’adressant au narcissisme maternel, il suffit ainsi, souvent, pour restaurer l’enfant qu’elle porte, de réparer celui qu’elle a été » (Bydlowski, 1997, dans Bayle, p. 314)10.

9 À ce sujet, Bribing remarque que « it is well known among psychoanalysts that adolescents, in

spite of what seems an alarming symptomatology, frequently are more in need of supportive rather than intensive psychotherapy » (Bribing, 1959, p. 116). Selon elle, cela s’applique aux

autres crises de maturation telle la ménopause, mais aussi le passage à la maternité.

10 Soulignons toutefois avec S. Bergner que certains chercheurs et praticiens comme Raphael-

Leff (1995), « recommended differentiating between women who would benefit from a

psychoanalytic approach, which in part addresses anxiety-provoking material, and those for whom such an approach would be too anxiety-producing or otherwise inappropriate for diagnostic reasons and therefore is contraindicated » (Bergner, 2008, p. 409). Bergner mentionne

également que d’autres auteurs « viewed the analytic process during pregnancy as often

exceptionnaly productive because of the urgency of time and increased access to highly emotional material » (Ibid.)