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CHAPITRE 2 : L’INTERVENTION PÉRINATALE DES TRAVAILLEURS SOCIAU

2.3. L’intervention périnatale des travailleurs sociaux en milieu hospitalier

2.3.2. L’impact de la réduction de la durée d’hospitalisation sur le rôle du

La réduction de la durée de l’hospitalisation est un phénomène observé dans l’ensemble des pays (Sulman et coll., 2002, p. 316). À notre connaissance, aucun article ne traite spécifiquement de l’impact de la durée des hospitalisations en obstétrique et en néonatalogie sur le rôle du travailleur social en milieu hospitalier, au Québec. Cependant, un article a été publié sur cette situation aux États-Unis dans la revue Social Work in Health Care. Nous choisissons d’en présenter les grandes lignes dans ce qui suit, pour pouvoir ensuite nous guider dans l’analyse de la situation au CHU Sainte-Justine, dans la prochaine sous-section.

2.3.2.1. L’identification des problématiques liées au contexte

La réorganisation des services hospitaliers met l’emphase sur une gestion plus efficace des services et une réduction des coûts d’opération, qui se traduit par une réduction de la durée des séjours. Selon Sulman et ses collaboratrices, cette situation « demands innovative approaches to the delivery of social work service » (Sulman et coll., 2002, p. 315). Même si aucun programme hospitalier n’est épargné par cette tendance, les départements d’obstétrique ont été particulièrement touchés en terme de réduction de la durée de séjour et des coûts par cas, comme nous l’avons vu plus haut dans ce chapitre.

La participation des travailleurs sociaux à la réduction des séjours

Plusieurs études ont étudié le rôle que peut jouer le travailleur social dans la réduction des durées de séjours. En identifiant rapidement les patients dont le séjour risque de se prolonger, le travailleur social peut contribuer à réduire la durée de séjour de moitié en intervenant précocement (Rehr, et coll., 1980, dans Sulman, Ibid., p. 318). En effet, une autre étude montre qu’il existe une relation significative entre la sévérité des situations psychosociales des patients et de leur durée de séjour à l’hôpital (Lechman et Duder, 2009, p. 495). Ces auteurs relèvent que le travailleur social de l’hôpital a une expertise à résoudre les situations de congé complexes, « a process involving the facilitation of appropriate and necessary health services needed by patients to help them make the transition from hospital to community » (Ibid., p. 496). Cependant, l’insuffisance de ressources dans la communauté, le manque de dispensateurs de services publics en dehors de l’hôpital, et le temps requis pour négocier avec eux ont un impact négatif sur le rôle de planificateur de sortie du travailleur social.

La compétition interprofessionnelle sur certains aspects de l’intervention psychosociale

contribue à la compétition entre diverses professions pour les rôles de « counselling, discharge planning and community liaison » au point qu’il y ait « a real threat to the viability of the acute care hospital as a setting for social work » (Sulman et coll., 2002, p. 319). Cette compétition peut se produire entre les infirmières et le travailleur social de l’hôpital. Selon notre observation, la clarification des tâches de chacun est rendue complexe alors que les patients sont incités à retourner dans leur communauté dès que leur santé physique est stabilisée. Toutefois, le congé de l’hôpital ne signifie pas de nos jours que la santé est rétablie. Nombre de patients auront encore besoin d’un suivi médical ou bien de retourner à leur domicile avec de l’équipement médical, une transition qui nécessite l’expertise et la référence des infirmières. Si ces patients ont également des difficultés psychosociales ou si leur situation de santé leur en cause, le travailleur social devra également participer à la planification des sorties. La ligne démarquant les responsabilités des deux professions est ténue et facilement franchie. Il va de soi que la collaboration et la bonne entente sur les rôles de chacun au sein des équipes interdisciplinaires sont nécessaires pour éviter les conflits interprofessionnels. Certains auteurs, d’ailleurs, concluent à la nécessité de former les travailleurs sociaux qui s’impliquent dans la préparation des congés des patients à la collaboration interdisciplinaire « in order for them to develop the skills required in a rapidly changing health care system » (McAlynn et McLaughlin, 2008, dans Lechman et Duder, 2009, p. 496).

L’augmentation du stress liée aux conditions de travail.

En plus de la compétition des rôles, le travailleur social de l’hôpital subit la pression du besoin du système hospitalier que la durée de séjour ne se prolonge pas au- delà du nécessaire, d’un point de vue médical. Selon Sulman, ce contexte « add headache to the heartache that social workers feel for patients » (Sulman et coll., 2002, p. 319). La réalité de l’organisation des services rajoute du stress également au travailleur social qui doit intervenir « by helping clients deal with frustration, with initially unacceptable choices, with disagreements among family members and with the necessity to choose among limited options for care » (Ibid.). Une conséquence est que la pratique du travailleur social de l’hôpital a tendance à devenir « shorter term, focused, solution-based and episodic » (Mailick and Caroff, 1996, dans Ibid., p. 320).

2.3.2.2. Des stratégies d’adaptation pour une pratique à volume élevé et de courte durée

Les changements structuraux dans les hôpitaux ne sont pas toujours bien reçus par les membres de la profession. Le travailleur social peut subir la pression de donner priorité aux demandes de l’organisation aux dépens des besoins de sa clientèle, que sont notamment la « self-determination, (the) right of choice, and a holistic view of the client and family » (Sulman et coll., 2002, p. 320). Des voix se sont exprimées pour dire que l’expérience de travail en ce contexte est devenue moins satisfaisante en raison du rôle accru de la planification des sorties. D’autres se sentent dévalués ou sous-utilisés (Ibid., p. 320). Selon Sulman, « what is clear is that, within the context of managed care, the profession must not lose its unique ability to view individuals and families within their

social environnement » (Ibid.). En se basant sur ses recherches dans les milieux de pratique, Sulman suggère plusieurs stratégies d’adaptation que les travailleurs sociaux des milieux hospitaliers doivent prendre en compte dans le contexte actuel. Des exemples concernant l’intervention en obstétrique sont donnés.

La création de rôles clés pour le travailleur social travaillant en équipe

L’objectif de cette stratégie est d’affirmer la place du travailleur social au sein des équipes disciplinaires en précisant en quoi leur contribution est unique. Malgré la variété des situations, Sulman identifie une série de rôles qui font la particularité du travailleur social en contexte hospitalier (Ibid., p. 321) :

• Rapid response to crisis referral; • Culturally sensitive practice; • Continuity of care over time;

• Establishing and maintaining communication links; • Systems intervention;

• Dealing with behavioural management issues; • Patient advocate role;

• Providing support to team members.

La reconnaissance de ces rôles peut également promouvoir la pratique, peu courante, mais souvent réclamée par la profession, que les travailleurs sociaux sélectionnent eux- mêmes la clientèle à desservir, plutôt que d’être tributaire des références des médecins (Ibid.). La perspective que l’intervention en service social ait un impact positif sur la diminution de la durée de séjour peut être considérée comme un argument supplémentaire en faveur de cette pratique (Ibid.). En ce qui concerne les départements d’obstétrique, Sulman dit ceci :

In the high-risk fetal assessment unit, (…) women often have a combination of serious medical and social risk factors. A unique feature of crisis referrals on this service is that there are time limitations for certain procedures such as fetal surgery and pregnancy termination for fetal abnormalities. This necessitates intensive work with patients and families on short notice. An additional key role has been social work’s use of feedback from follow-up programs such as the bereavement group and parent group as research and quality improvement opportunities. (Ibid., p. 322)

Le dépistage précoce des facteurs de risques et la planification des sorties

La tendance vers une charge de cas volumineuse et une réduction de la durée de l’intervention nécessite que la profession maximise à la fois l’information obtenue lors des entrevues pré-admission et la capacité d’intervenir dès ce moment. Selon Sulman,

In the high-risk fetal assessment unit, the social worker identifies risk factors for child protection through routine use of a high-risk screening tool that can be also used as a referral form. Another key component is the establishment of realistic goals and expectations with patients and families about the course of treatment and potential outcome. In addition, anticipatory grief counselling makes a major contribution to shortening length of stay as patients feel more emotionnally prepared for their impending loss. (Ibid., p. 323)

Au sujet de la protection de l’enfance, plusieurs articles font mention de la nécessité qu’un dépistage se fasse précocement (Britton, 1998; Haglund, 1998; Wilson et

coll., 1996). Selon Britton,

In attempting to address the question of appropriate length of the postnatal hospital stay, the medical community has been forced to re-evaluate its goals and objectives for the perinatal period. One goal that has emerged is the need too provide adequate opportunities for assessment of psychosocial risks and provision of parenting education. In its most recent statement on the hospital stay for healthy term newborns, the Committee on the Fetus and Newborn of the American Academy of Pediatrics states that an assessment for family, environmental, and social risk factors should be completed prior to discharge, and a safety plan for the infant should be formulated if any risk factors are identified. (Britton, 1998, p. 453)

Il est intéressant de noter que dans cet article, l’auteur insiste sur l’importance de la pratique d’un dépistage précoce, mais, curieusement, il n’est nullement mention de savoir quel professionnel est responsable de cette tâche. L’article n’est pas publié dans une revue de service social. Nous ne pouvons donc pas facilement déduire que l’auteur en attribue la responsabilité aux travailleurs sociaux. Ce flou quant à l’attribution des rôles de certaines interventions en périnatalité est fréquent dans la littérature que nous avons consultée pour ce travail. Nous suggérons que ceci est sans doute le reflet d’un flou qui existe dans les milieux de pratique et que l’attribution des rôles va varier d’une équipe à l’autre. Sans nier le fait que le dépistage nécessite la participation de toute une équipe, c’est-à-dire de tous les professionnels qui sont en contact avec les parents, nous pouvons conclure que la formation du travailleur social, et les outils qu’il a en main, le prédispose à accomplir cette tâche de dépistage précocement et avant le congé des patients (Haglund, 1998, p. 418).

Des interventions brèves centrées sur les solutions

Étant donné le haut volume des charges de cas et la brièveté des séjours, le travailleur social est souvent amené à évaluer la situation des patientes en une seule rencontre, généralement elle aussi de courte durée. Sulman suggère que des techniques empruntées aux approches d’intervention brève et centrée sur les solutions soient pratiquées, comme les questions permettant aux patients d’identifier leurs forces et leurs stratégies d’adaptation. Sulman donne plusieurs exemples de questions (Sulman et coll., 2002, p. 325) :

• How have you managed in the past when you were faced with tough situations? • What do you suppose your partner would say about your strengths in this

situation?

• How have you found the courage to cope with this situation? • I’m interested in thoses times of the day when you feel better;

• On a scale of 1-10, where are you today? What would it take for you to go from 3 to 4?

Le développement de partenariats avec la communauté

La réduction de la durée d’hospitalisation doit s’accompagner de partenariat avec les ressources en dehors de l’hôpital, afin d’assurer la continuité des services. Un des rôles principaux du travailleur social de l’hôpital étant l’organisation du transfert des patients vers sa communauté, la présence de services communautaires répondant à leurs

besoins et en nombre suffisant est essentielle. Si des services font défaut, selon Sulman, « it is no longer enough for social workers to be consumers of services on behalf of patients, they need to be proactive in designing the content and delivery of services ». Par exemple, en obstétrique, Sulman rapporte la situation où :

The worker developped and continues to maintain strong links with maternal and fetal health organizations, and promotes on-site meetings of these organizations. As well, the worker cultivated a relationship with a not-for-profit home help agency that provides low-cost emergency child care services for high-risk patients. This service enables mothers to stay home on bed rest rather than having to be admitted to hospital. (Ibid.,

326)

La qualité et la quantité des services offerts par la santé publique en dehors de l’hôpital sont aussi déterminantes pour faciliter la planification de sortie. En effet, selon Lechman et Duder, le développement de ressources communautaires en dehors de l’hôpital, tels les CLSC au Québec depuis les années ‘90, permet de contrer la lourdeur de la tâche (Ibid., p. 497). Cela peut même avoir un impact positif sur les autres rôles du travailleur social. Pour reprendre les mots de Lechman et Duder,

Social workers do more consultation and collaboration because there is now more emphasis on care in the community. Assessements are done faster and more time is spent in discussing the discharge plan. Social workers now play more of a brokerage role between the hospital and community. In 2002 they were more reluctant to press for care in the community as compared to now when they are expected to refer out to CLSCs for ongoing psychosocial care. Hospital social workers are no longer left scrambling to find resources. Longer status in hospital no longer mean more social work activities because once the discharge plan is complete the social worker moves on to a new case while the patient awaits transfer out of hospital. (Ibid., p. 502)

Pour conclure sur l’impact du virage ambulatoire sur le rôle du travailleur social périnatal en milieu hospitalier, il appert que depuis plusieurs années, la profession est sujette à un remodelage de ses fonctions. Devant l’inévitabilité des changements structuraux au niveau de la gestion des services hospitaliers, certains auteurs insistent pour que les travailleurs sociaux deviennent les architectes de ce processus, en donnant forme à leur mandat et à la position de leur profession dans ce contexte en mouvance (Berger et coll., 1996, dans Sulman et coll., 2002, p. 318). Dans tous les cas,

A strong social work specialist in the academic teaching hospital is one who is not easily overwhelmed by organizational complexities, who is sophisticated around the state of the art medical care and who is able to be flexible, creative and a leader in service delivery, both in the hospital and in the community. (Berkman et coll., 1996, dans Ibid., p. 326)

Selon Sulman, le défi que les travailleurs sociaux en milieu hospitalier aujourd’hui sont appelés à surmonter est d’assurer la permanence des valeurs et de l’engagement du service social auprès de la clientèle dans un contexte d’impératifs budgétaires (Ibid., p. 318). Enfin, la collaboration entre les services de l’hôpital et les autres dispensateurs de services en matière de périnatalité semble, davantage que dans d’autres domaines de la santé physique, atténuer les effets négatifs du virage ambulatoire sur la pratique du service social hospitalier en périnatalité. Comme Berthiaume le souligne,

Bien que vécu de façon inégale selon les diverses spécialisations où les praticiennes sont affectées, soulignons toutefois une tendance à contre-courant dans les secteurs de l’obstétrique, de la néonatalogie et de la gynécologie où des recherches mettent en lumière, non seulement l’absence d’effritement des rôles de soutien et défense et de

counselling, mais un renouvellement et un renforcement de ceux-ci (Gupton et MaKay, 1995; Shorten, 1995; Sulman, Savage et Way, 2001(sic)). (…) Le fait que le travail des praticiennes qui y oeuvrent ne se limite pas au séjour en milieu hospitalier à lui seul, mais est, plus souvent qu’autrement, jumelé à des interventions post-hospitalisation et parfois pré-hospitalisation, donc un travail à la fois en amont et en aval, n’expliquerait-il pas ce rayonnement clinique plus prononcé et, de surcroît, objet d’une plus grande reconnaissance? (Berthiaume, 2008, p. 10)