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Quatorze sujets humains (7 hommes et 7 femmes) participent à l'expérience qui se déroule sur 3 semaines, c'est-à-dire sur 15 séances. Durant les 13 premières séances, qui correspondent à la phase de familiarisation avec certaines images, la tâche des sujets est d'effectuer une catégorisation animal/non animal sur 200 images (100 cibles et 100 distracteurs), identiques d'un jour sur l'autre mais mélangées de façon aléatoire. Par la suite, ces images seront désignées comme étant "les images familières"2. À partir de la 13ème séance, les sujets doivent catégoriser des séries de 100 images où 50 images familières sont mélangées aléatoirement avec 50 images nouvelles3. En tout, au cours des deux dernières séances, 1200 images nouvelles sont mélangées aux 200 images familières du sujet, chaque image familière étant présentée 6 fois4 (figure 5.1). De cette façon, le nombre d'images familières et nouvelles est identique au cours de ces séances5. Les potentiels évoqués sont

1 Pour les résultats de certains tests de significativité, se reporter à l'article.

2 7 groupes de 200 images familières correspondent à 7 couples homme-femme de sujets. 3 50 % de cibles et 50 % de distracteurs à la fois pour les images familières et nouvelles.

4 Au total, 1400 images sont utilisées et tous les sujets voient ces images, soit en tant qu'images familières, soit en tant qu'images nouvelles.

5 Le nombre total de séries au cours des deux dernière séances est donc de 24 séries.

Figure 5.1 : protocole de l'expérience sur 3 semaines; 13 jours de catégorisation d'images familières suivis de 2 jours de test où les EEGs sont enregistrés. Les images familières sont catégorisées seules puis mélangées avec des images nouvelles. À la fin de la quatrième semaine, on teste si le sujet reconnaît ces images familières parmi d'autres images nouvelles.

WE WE WE WE

200 images familières puis séance EEG où les images familières sont mélangées à des images nouvelles

200 images familières

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également enregistrés durant ces séances afin de comparer potentiels évoqués par les images nouvelles et par les images familières.

Afin de contrôler si les sujets sont effectivement capables de reconnaître les images familières sur lesquelles il ont été entraînés, une semaine après ces deux séances de test, les images familières (3x200) sont à nouveau mélangées à 600 images nouvelles supplémentaires, la tâche du sujet est alors de répondre lorsqu'il détecte une image comme familière. On montre que la performance des sujets est très bonne et qu'ils reconnaissent donc les images sur lesquelles ils ont été entraînés (cf. annexe 3).

5.2 - Résultats

Au cours de la période d'apprentissage qui s'étale sur 3 semaines, la précision globale des sujets sur les images qu'il voit chaque jour augmente d'environ 3 %, cette amélioration est principalement due à une meilleure précision sur les cibles, la précision sur les distracteurs évoluant très peu (figure 5.2).

Pendant les 2 séances de test où images nouvelles et familières sont présentées aléatoirement, la précision est plus élevée sur les images familières (96.9 % de réponses correctes contre 94.7 % pour les images familières)6. Cette différence de performance est

2 bilatéral, DDL=1, p<0,0001. L'analyse des comportements individuels des sujets montre que la différence est significative à p<0,05 pour 7 sujets.

Figure 5.2 : A, évolution de la performance de l'ensemble des 14 sujets au cours des 15 séances de présentation d'images identiques. L'augmentation globale de la performance est principalement due à une meilleure catégorisation des cibles. À l'extrême droite de la courbe, la performance globale pour les images nouvelles (N) et les images familières (F) (pendant les deux séances finales de test) est représentée. B, évolution des temps de réaction de l'ensemble des 14 sujets au cours des 14 séances de présentation d'images identiques. Les temps de réaction les plus rapides n'évoluent pratiquement pas après la première séance. À l'extrême droite de la courbe, les temps de réaction pour les images nouvelles et familières (pendant les deux séances finales de test) sont représentés. L'effet est absent pour les TRs les plus rapides et maximal pour les TRs les plus tardifs.

350 400 450 500 550 600 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 N F Séance 10% 50% 90% T e m p s d e R é a c ti o n ( m s )

B

90 92 94 96 98 100 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 N F Séance Global Distracteurs Cibles P e rf o rm a n c e ( % C o rr e c t)

A

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encore une fois uniquement due aux cibles, la précision sur les distracteurs ayant même tendance à être meilleure pour les images nouvelles (figure 5.2). En ce qui concerne la vitesse des traitements sous-jacents, les temps de réaction des sujets évoluent vers des valeurs plus brèves au cours des premières séances de familiarisation avec les images. Cependant cette évolution affecte peu (ou pas!) les temps de réaction les plus précoces (figure 5.2), l'effet majeur de la familiarisation des sujets avec les images est enregistré sur les TRs les plus longs. L'analyse du décours temporel de la précision (figure 5.3C) indique que, pour les temps de réaction les plus rapides, la performance n'est pas plus élevée pour les images familières que pour les images nouvelles. En fait, il semble même que l'effet soit inversé avant 360ms. Très clairement ce résultat va à l'encontre d'une catégorisation plus précise et plus précoce pour les images familières

De façon succincte, la familiarisation avec certaines images permettrait à un sujet d'y détecter plus facilement les cibles difficiles. La précision est augmentée (certaines cibles sont détectées alors qu'elles ne l'étaient pas à l'origine), et seuls les TRs les plus longs sont raccourcis (certaines cibles dont la détection nécessitait des traitements temporellement plus

Figure 5.3 : A, distribution des temps de réaction sur les images familières et les images nouvelles pour l'ensemble des 14 sujets pendant les deux séances finales de test. Le pas de temps est de 10 ms. B, grossissement d'une partie de la distribution présentée en A qui montre que la distribution des temps de réaction les plus rapides est identique pour les images familières et les images nouvelles. C, représentation de l'évolution de la précision des sujets au cours du temps. Le calcul prend en compte à la fois la précision sur les distracteurs et la précision sur les cibles par bloc de 20ms. Il s'agit ici d'un d4 instantané, à la différence de la plupart des courbes de performance présentées, chaque point est indépendant du précédent. Pour les temps de réaction les plus rapides, la performance n'est pas plus élevée pour les images familières. S'il existe un effet, il serait plutôt en faveur des images nouvelles (cf. texte).

0 100 200 300 400 500 600 700 0 100 200 300 400 500 600 700 800 900 1000 Temps de réaction (ms) Cibles familières Cibles nouvelles Distracteurs familiers Distracteurs nouveaux 0 100 200 300 260 280 300 320 340 360 E ff e c ti f Eff e c ti f

C

A

B

300 400 500 600 700 Temps de réaction (ms) 0 1 2 Familières Nouvelles

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"gourmands" sont détectées plus rapidement). Cette hypothèse est compatible avec une analyse détaillée des distributions des TRs enregistrés sur les images familières et nouvelles. Les TRs moyens (et médians) sont significativement plus courts sur les images familières que sur les images nouvelles d'environ 20 ms7, mais une fois encore, les TRs les plus précoces ne sont pas affectés comme le montre (i) l'analyse des 10 % de réponses les plus rapides (figure 5.2B), (ii) l'histogramme des temps de réaction (figure 5.3A et 5.3B) et (iii) l'analyse de la

7 TR moyen de 424 ms pour les images familières et de 444 ms pour les images nouvelles. Test de Man Whitney bilatéral, U=294300695, p<0,0001. L'analyse du comportement individuel des sujets montre que la tendance est présente pour tous les sujets et atteint un niveau significatif à p<0,05 pour 11 d'entre eux.

Figure 5.4 : répartition des images nouvelles dans la classe des TRs précoces (<360 ms) et dans celle des TRs tardifs (>505 ms) par rapport aux réponses des 12 sujets (sur un total de 14) qui les ont catégorisées en tant qu'images nouvelles. Seules les images sur lesquelles aucun sujet n'a commis d'erreur sont prises en compte. A, exemple de répartition arbitraire des deux classes pour une image. Il convient de justifier le choix de ces deux classes : en dessous de 360 ms il n'est pas possible de différencier les réponses sur les images nouvelles des réponses sur les images familières (cf. texte). Par analogie, la classe des réponses les plus tardives a été construite pour avoir un effectif de réponses identique à celui de la classe des TR précoces (724). B, répartition des réponses des sujets pour chacune des deux classes, TR < 360 ms (gris foncé) et TR > 505 ms (gris clair). Par exemple, les barres d'histogramme 0/12 comptabilisent le nombre d'images pour lesquelles aucune des 12 réponses n'était produite avec un TR < à 360 ms (gris foncé) ou avec un TR > 505 ms (gris clair). Ce graphique semble être bien complexe pour un résultat mineur, à savoir que la répartition des images dans les deux classes, précoce et tardive, n'est pas symétrique. En fait, il est également possible de comparer ces distributions avec une distribution aléatoire des images. Le trait en pointillés représente le nombre d'images obtenu à partir d'une distribution aléatoire (distribution binomiale, 12 tirages avec une probabilité de 0,18 correspondant aux 724 images catégorisées en moins de 360 ms ou en plus de 505 ms). La distribution des réponses inférieures à 360 ms diffère très peu d'une distribution aléatoire et donc le fait qu'une image soit catégorisée rapidement semble indépendant des caractéristiques de l'image. Pour les réponses lentes en revanche, la distribution des réponses diffère significativement (χ2 bilatéral, DDL=6, p<0,05) de la distribution aléatoire et donc les images ne sont pas toutes équivalentes du point de vue de la catégorisation tardive.

0 50 100 150 200 0/12 1/12 2/12 3/12 4/12 5/12 6/12 Prop o rt io n de r ép on se s po ur c ha qu e im ag e Effectif Moins de 360 ms Plus de 505 ms 0 200 400 600 800 1000 T e m p s d e r é a c t i o n ( m s ) 4/12 reponses de

moins de 360 ms 2/12 reponses deplus de 505 ms

A

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précision au cours du temps (figure 5.3C). L'effet de la familiarité est maximal pour les réponses les plus tardives, plus nombreuses quand l'image est nouvelle comme le montre l'histogramme des temps de réaction (figure 5.3). Ce biais serait causé par une minorité d'images atypiques. Cet effet apparaît clairement en analysant la répartition des réponses des sujets sur les différentes images (figure 5.4). Les réponses précoces se distribuent uniformément sur les images : cela signifie qu'il n'existe pas a priori d'images induisant de façon spécifique des TRs très courts. Par contre les réponses tardives ne semblent pas uniformément distribuées, de sorte qu'il doit exister des images spécifiquement plus difficiles (la figure 2 de l'article présenté en annexe 3 présente quelques illustrations d'images de ce type8). Ces deux résultats ne sont pas contradictoires dans le sens où la minorité d'images catégorisées lentement par un grand nombre de sujets influence peu la majorité d'images neutres du point de vue des réponses précoces.

Pour en terminer avec l'analyse des résultats, il convient d'analyser les potentiels évoqués (PE) enregistrés au cours de la tâche (cf. annexe 1). Les PEs ont été uniquement enregistrés au cours des deux dernières séances pour tenter de déterminer les différences qui pouvaient

8 Bien qu'elles soient associées à de longs TRs, des sujets ont commis des erreurs sur ces images et elles n'étaient donc pas inclues dans l'analyse présentées à la figure 4.

-8 -6 -4 -2 2 -100 100 200 300 400 Cibles familières Cibles nouvelles Distracteurs nouveaux Distracteurs familiers 2 4 6 8 10 -100 100 200 300 400 -2 -1 1 2 3 4 -100 100 200 300 400 EF Img. Nouv. EF Img. Fam. EO Img. Nouv. EO Img. Fam. µV

C

ms µV µV

B

A

ms ms

Figure 5.5 : A, potentiels évoqués par les cibles et les distracteurs nouveaux et familiers. A, moyenne de 7 électrodes frontales. B, moyenne de 5 électrodes occipitales. C, différence entre les PEs par les cibles et les distracteurs pour les images familières (Img. Fam.) et nouvelles (Img. Nouv.) pour les 7 électrodes frontales (EF) et les 5 électrodes occipitales (EO). On n'observe aucune différence précoce entre les images familières et nouvelles. Après moyennage, les données subissent un filtrage passe-bas à 35Hz (12db).

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exister dans le traitement visuel des images nouvelles et des images familières. Ici, l'analyse à la fois les PEs sur les cibles et les PEs sur les distracteurs ne présentent aucune différence entre les images familières et les images nouvelles pendant les 200 premières millisecondes qui suivent la présentation du stimulus (figure 5.5). À 200 ms, les PEs deviennent plus amples pour les images nouvelles, à la fois pour les cibles et les distracteurs. En revanche, lorsque l'on considère la différence entre les PE moyennés séparément pour les cibles et les distracteurs ce sont les images familières qui - à partir de 200 ms post-stimulus - induisent la différence la plus ample (figure 5.5 C).

Cette différence à 200 ms est postérieure à celle qui correspond au contenu de l'image proprement dit - c'est-à-dire la présence d'un animal dans l'image - qui se situe aux environs de 150 ms. Comme dans l'étude originale, la différence entre les PEs moyennés sur les cibles et ceux moyennés sur les distracteurs montre que les deux traces, confondues jusqu'à 150 ms après la présentation du stimulus, divergent ensuite de façon abrupte (Thorpe et al. 1996). À 150 ms, des processus sélectifs à la présence d'une cible sont donc mis en jeu. Des processus encore plus précoces entre 100 et 130 ms semblent même différencier les essais sur les cibles de ceux sur les distracteurs9. Nous verrons au chapitre suivant quelle peut être leur signification. Les PEs nous permettent également d'établir une localisation grossière des processus mis en jeu. Quand on s'intéresse à l'ensemble des électrodes, on observe une forte négativité au niveau du cortex occipito-temporal qui pourrait correspondre à la détection de la cible par le système visuel (figure 5.6). Bien que l'interprétation en termes d'aires cérébrales

9 La petite déflexion dans la direction opposée est en fait significative dès 113 ms à p<0,02 (t-test bilatéral de 113 à 136 ms, DDL=13, t>2,65).

Nouvelles

Familières

Figure 5.6 : évolution de l'activité cérébrale différentielle (différence entre les PE par les cibles et les distracteurs) pour l'ensemble des électrodes entre 125 ms et 230 ms. La ligne du haut représente cette évolution pour les images familières et la ligne du bas représente l'évolution pour les images nouvelles. L'échelle indique les voltages en µV et les points noirs à la surface du scalp représentent la position des électrodes. Les activations sont très semblables pour les deux conditions, notamment au niveau temporal entre 175ms et 250ms.

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activées à partir des PEs soit sujette à caution10, cette zone est bien connue en IRMf (Kanwisher et al, 1997; Chao et al, 1999; Gautier et al, 2000) pour être associée à certains objets comme des visages ou des animaux. Il est donc possible que ces aires neuronales s'activent sélectivement quand un animal est présent. On note également que la différence entre les deux conditions, images familières et images nouvelles est pratiquement indiscernable pour la fenêtre temporelle que nous avons choisie (figure 5.6).

5.3 - Discussion

Ces résultats montrent que les réponses les plus précoces dans la tâche de catégorisation ne peuvent pas être accélérées même si les stimuli présentés sont bien connus des sujets. L'analyse de la précision en fonction du temps, des temps de réaction et des potentiels évoqués montrent à quel point le traitement visuel précoce est similaire pour des images très familières et pour des images totalement nouvelles. Ce résultat est surprenant si l'on tient compte de la très abondante littérature sur les effets d'amorçage. De nombreuses études montrent en effet que la catégorisation répétée d'une cible induit une meilleure performance et une diminution des temps de réaction (pour une revue cf. Tulving et Schacter, 1990; Ochsner et al, 1994). En fait, on observe tout de même un effet d'amorçage dans notre étude (une augmentation de 2.2 % en performance et une diminution de 20 ms en moyenne des temps de réaction). Cependant cet effet n'est présent que pour les temps de réaction les plus longs associés aux images difficiles.