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Les potentiels évoqués nous permettent une meilleure analyse des processus visuels qui interviennent dans les deux tâches, de détection et de catégorisation. Quelle que soit la tâche, les potentiels évoqués sur les distracteurs sont pratiquement identiques : ils ne diffèrent que tardivement, après 300 ms (figure 6.3). Il est possible d'interpréter cette différence comme une plus forte inhibition des zones motrices pour les distracteurs de la tâche "animal"16 ou à une attention plus soutenue sur l'image pour tenter d'y détecter un animal. Sur les PEs moyennés sur les cibles, les tracés divergent d'abord précocement vers 100-120 ms (figure 6.3). Pour cette onde précoce, la négativité est plus marquée pour la tâche de catégorisation et celle de détection d'animaux faciles. Un processus vient inverser cette négativité ; il se manifeste plus tardivement dans la tâche de catégorisation que dans la tâche de détection quel que soit le type d'image-cibles. Ce pic positif atteint une amplitude qui apparaît liée à la difficulté de la tâche, elle est minimum pour la tâche de catégorisation et maximum pour la tâche de détection des animaux faciles.

L'activité différentielle mise en évidence en soustrayant, dans chacune des tâches, les PE moyennés sur les distracteurs des PE moyennés sur les cibles fait apparaître une différence précoce en fonction de la tâche : catégorisation et détection et en fonction du type d'image- cibles : animaux faciles ou difficiles. Cette différence est significative et de plus grande amplitude dans la tâche de catégorisation17, de moyenne amplitude dans la tâche de détection d'animaux faciles18 et de très faible amplitude dans la tâche de détection d'animaux difficiles19. De plus, la différence entre les deux types d'images dans la tâche de détection atteint un niveau significatif à des latences similaires20. Cette première partie est donc probablement sélective à la présence d'un animal dans l'image. Cette hypothèse est confirmée

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Temps de réaction moyen de 341ms - médian 334 ms - pour les animaux faciles et de 348 ms - médian 340 ms - pour les animaux difficiles; test Mann Whitney U bilatéral U=5773772, p<0.0001.

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Elle est significative à 5 % pour 9 d'entre eux. 16

La localisation des sources dans BESA indique que cette différence semble être due à des processus frontaux ou pariétaux/frontaux, c'est-à-dire proches du cortex pré-moteur.

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Test t bilatéral apparié ddl=13, p<0.02; occipitales : 98 ms; frontales : 120 ms; c. f. annexe 1 pour la méthode de calcul.

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Test t bilatéral apparié ddl=13, p<0.05; occipitales : 100ms; frontales : 112 ms. 19

Ns. 20

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par la tâche de détection contrôle dans laquelle les cibles sont des images ne contenant pas d'animaux où ce pic n'est pas présent. D'autres travaux dans notre équipe rapportent des PEs sélectifs aux animaux à ces latences (VanRullen et Thorpe, 2000b).

Une différence plus tardive atteignant son amplitude maximale vers 250 ms, apparaît également sur les PEs différentiels (figure 6.3). Cette onde différentielle est plus ample et plus précoce dans la tâche de détection que dans la tâche de catégorisation. Sa latence est d'environ 140 ms dans la tâche de détection21, alors qu'il faut attendre 170 ms pour la tâche de catégorisation22. Au niveau de cette onde différentielle la tâche de détection précède de 30 ms celle de catégorisation. Cette différence est significative légèrement plus tôt pour les images d'animaux difficiles que pour celles d'animaux faciles. Il est probable cependant que ce retard

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Test t bilatéral apparié ddl=13, p<0.02; occipitales : 135ms; frontales : 148 ms. 22

Test t bilatéral apparié ddl=13, p<0.02; occipitales : 169 ms; frontales : 179 ms.

ms µV -12 -10 -8 -6 -4 -2 0 2 4 -100 100 300 500 -12 -10 -8 -6 -4 -2 0 2 4 -100 100 300 500 -6 -4 -2 0 2 4 6 -100 100 300 500 µV ms µV ms Catégorisation A Diff A Faci non A

Soustraction

Cibles

Distracteurs

Figure 6.3 : potentiels évoqués sur l'électrode frontale FZ et moyennés sur l'ensemble des sujets pour les cibles, les distracteurs et la soustraction des deux. Les potentiels évoqués sont représentés pour la tâche de catégorisation et pour les trois types de d'image-cibles de la tâche de détection, animaux faciles (A Faci), difficiles (A Diff) et non animaux (non A). Deux ondes principales se distinguent, la première très précoce entre 100 et 130 ms, pourrait être spécifique à la catégorie animal (cf. la différence à ce niveau pour les courbes relatives aux cibles) et la seconde plus tardive et très ample qui pourrait représenter la décision (cf. vers 150 ms la très large différence entre PE par les cibles et les distracteurs sur la courbe de soustraction).

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soit causé par la première déflection de signe opposé qui, comme on l'a vu, est plus ample pour les images d'animaux faciles que pour celles d'animaux difficiles23.

Il est toujours intéressant de pouvoir lier activité cérébrale et performances comportementales. La figure 6.4 illustre la superposition qui a pu être réalisée entre la courbe de d' instantanée – représentant la performance instantanée des sujets dans une tâche donnée et pour un pas de temps précis – et l'activité cérébrale différentielle obtenue dans chacune des tâches. Dans le cas de la tâche de détection, les PEs et la courbe de performance sont environ 40 ms plus précoces que dans la tâche de catégorisation24. Les deux courbes de d' se superposent aux PE différentiels par un simple décalage de ces courbes vers des latences plus courtes de 60 ms. Il y a donc de bonnes raisons pour corréler cette onde différentielle à un processus décisionnel.

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Test t bilatéral apparié ddl=13, p<0.02; occipitales : 152 ms; frontales : 151 ms pour les animaux dits faciles et test t bilatéral apparié ddl=13, p<0.02; occipitales : 134 ms; frontales : 145 ms pour les animaux dits difficiles. 24

Il est également intéressant de noter que la pente des pics à 250 ms des PEs différentiels dans la tâche de catégorisation et de détection sont corrélés avec la pente de la courbe de performance.

ms µV 0 0.5 1 1.5 d' -6 -4 -2 0 2 4 6 8 -100 0 100 200 300 400 500 600 Catégorisation : ERP Catégorisation : d' détection : ERP détection : d'

Figure 6.4 : Activités différentielles entre les PEs enregistrés sur l'électrode FZ et moyennés séparément sur les essais cibles et les essais distracteurs de l'ensemble des sujets pour la tâche de catégorisation (lignes épaisses) et la tâche de détection sur les images d'animaux (lignes fines). En pointillés sont représentées les courbes de performance instantanée des sujets (d'). Ces courbes ont été décalées vers des latences plus courtes de 60 ms pour illustrer la façon dont elles se superposent aux PEs. La performance est indiquée par des pointillés fins (détection) ou des pointillés épais (catégorisation). Dans chaque tâche, les potentiels évoqués vers 150 ms apparaissent fortement corrélés avec la performance.

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Il est intéressant d'analyser la latence à partir de laquelle les courbes différentielles obtenues dans chacune des tâches diffèrent entre elles. Cette divergence atteint un niveau significatif dès 140 ms25. Les images utilisées pour les tâches de détection et de catégorisation étant similaires, cette différence serait donc liée à la tâche. Elle pourrait refléter les différences qui existent en termes de mécanismes cérébraux sous-jacents spécifiques à chacune des deux tâches dans le traitement des scènes naturelles.

Dans le but de déterminer la (les) structure(s) cérébrale(s) impliquée(s) dans la génération de cette activité différentielle, j'ai également tenté, pour chacune des deux tâches, de localiser les sources électriques dans le cerveau permettant d'expliquer les potentiels observés à la surface du crâne (cf. annexe 1 pour le détail du modèle). Je me suis restreint à la localisation des sources rendant compte des différences entre les potentiels évoqués sur les cibles et les distracteurs (figure 6.5). Dans tous les cas, les modèles obtenus indiquent que ces sources se localisent au niveau des cortex occipito-temporaux. Cela signifie que l'amplitude du signal dans ces zones diffère entre les cibles et les distracteurs. La localisation des sources est très similaire dans la tâche de catégorisation et dans la tâche de détection. Cela laisse supposer que les aires corticales mises en jeu sont identiques dans les deux cas et que les processus pourraient alors être similaires. Dans ce cas, seule la dynamique d'activation de ces zones

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Test t bilatéral apparié ddl=13, p<0.02; occipitales : 141 ms; frontales : 158 ms.

Figure 6.5 : analyse de sources effectuée sur les activités différentielles dans les deux tâches, de catégorisation et de détection. Pour la tâche de détection, les trois types de cibles sont considérées séparément. Deux dipôles sont contraints en symétrie et l'on optimise leurs positions et leurs amplitudes pour rendre compte au mieux du signal obtenu sur le scalp entre 150 et 230 ms (cf. l'annexe 1 pour le détail de la localisation des sources). Dans les trois cas, la position des dipôles est très proche et la variabilité observée au niveau du scalp s'explique par une dynamique temporelle différente des dipôles. Dans le cas d'images cibles ne contenant pas d'animaux, l'orientation du dipôle gauche semble cependant se distinguer. On notera également que malgré la contrainte en symétrie et la large fourchette temporelle, les variances résiduelles sont très faibles. La structure cérébrale à l'origine des sources dans les deux tâches est donc probablement identique.

0 50 µV D ip ô le g au ch e 230 ms 150 ms D ip ô le d ro it Catégorisation A Diff A Faci non A

Catégorisation A Faci A Diff non A

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cérébrales diffèrerait d'une tâche à l'autre. La comparaison des signaux en provenance des deux hémisphères au niveau d'électrodes temporales renforce cette hypothèse (figure 6.6). Dans chacune des tâches, on observe une forte asymétrie entre les signaux enregistrés sur l'hémisphère gauche et sur l'hémisphère droit. Quelle que soit la tâche, l'amplitude des signaux est beaucoup plus importante au-dessus de l'hémisphère droit. Que cette asymétrie soit similaire dans chacune des tâches laisse penser que les mêmes zones neuronales sont recrutées.

6.3 - Discussion

Les résultats obtenus au cours de cette expérience sont divers : tout d'abord la durée de traitement additionnel nécessaire à une tâche de catégorisation complexe et abstraite d'images naturelles par rapport à une simple tâche de détection d'une image donnée, est seulement de 30 ms si l'on considère les PEs différentiels et au maximum de 40 ms en termes de TRs. S'il était possible d'anticiper cette réduction de temps de traitement pour la tâche de détection, l'évaluation du surcoût comportemental dû à la tâche de catégorisation apparaît faible au regard de la différence de complexité des deux tâches. Il semble de plus que l'activité cérébrale différentielle soit corrélée à la performance des sujets et par conséquent au processus décisionnel. Le second résultat concerne cette décision perceptive finale dont plusieurs arguments nous permettent de dire qu'elle implique la même structure cérébrale dans les deux tâches. Ces arguments nous permettent de supposer que la différence observée sur la latence des potentiels évoqués différentiels serait due à une dynamique d'activation différente des voies visuelles impliquées. Ces résultats ont à mon avis des répercussions importantes pour expliquer la rapidité du traitement et imposent de sévères contraintes aux modèles de traitement de l'information dans le système visuel. Cependant, j'aborderai ce sujet, qui est en

-3 -2 -1 0 1 2 3 4 5 -100 0 100 200 300 400 500 600 µV ms T6 catégorisation T6 détection T5 catégorisation T5 détection Figure 6.6 : illustration de la latéralisation dans les deux tâches de détection et de catégorisation. Les potentiels représentent l'activité sur les deux électrodes temporales (T5 à gauche et T6 à droite). Les potentiels diffèrent entre les deux hémisphères et cela de façon très similaire dans chacune des tâches. Cela indique à nouveau que les localisations de traitement sont probablement les mêmes dans les deux cas.

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fait le sujet commun de toutes les expériences que j'ai présentées, dans la discussion générale qui clôt la partie expérimentale.