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En neurosciences, l'un des grands débats est celui de savoir si la perception - et par conséquent, dans une certaine mesure, la catégorisation - est globale pour l'image ou si elle passe par ses parties, en particulier les objets contenus dans l'image. Quand on demande aux sujets ce qu'ils voient en premier dans les images flashées, tous sont unanimes pour répondre qu'ils ont perçu la scène dans son intégralité. Le type d’analyse que j'ai effectué sur le contenu des images et les répercussions sur les temps de réaction et la performance des sujets est inédit - à ma connaissance - et permet d'aborder cette question sous un jour nouveau.

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Des analyses plus poussées, qui ne peuvent pas être effectuées sur la seule base des valeurs des points mais nécessitent des appareils de mesure de luminance, seraient nécessaires pour estimer le rôle de l'énergie lumineuse dégagée par l'objet-cible et le fond de l'image.

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Le singe adulte qui n'a jamais vu de serpent présente également cette réaction innée. 23

Pour revenir à la phénoménologie, il est intéressant de noter que dans notre expérience, le sujet humain retire sa main du bouton quand il voit un animal. Ce mouvement de retrait est donc peut-être plus pertinent pour les reptiles que pour les autres types d'animaux. Il serait peut-être intéressant de classer les animaux suivant le danger qu'ils peuvent représenter pour l'homme et d'analyser l'effet sur les temps de réaction.

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Notre étude ne peut répondre qu'en ce qui concerne la catégorisation rapide, qui ne passe pas nécessairement par la perception consciente de l'image. Il semble que les caractéristiques de l'image et de son contenu aient une influence assez grande sur la précision et la vitesse de catégorisation. Cela penche plutôt en faveur d'une catégorisation basée sur les éléments des objets diagnostiques des animaux (cf. pour une revue Schyns 1999; Humphreys, 2000). Cela signifie que le sujet répondrait dès qu'il perçoit une partie d'un membre ou d'un œil, et pas nécessairement un animal. Cela signifie également que le traitement visuel dépend de la tâche. D'autres travaux vont également dans le sens d'une catégorisation basée sur certaines caractéristiques des objets. Sands et al (1982), déjà mentionnés dans les chapitres précédents, analysent les erreurs des singes dans une tâche d'appariement d'images. Ils montrent que ces erreurs se décomposent sur plusieurs axes en fonction du contenu des images et de leurs caractéristiques : la taille et le nombre d’objets interviendrait peu pour les erreurs sur les images de fruits alors que le type de fruit (en grappe ou non) et leur couleur rendent compte de la majorité des erreurs. L'approche est similaire à celle que j'utilise mais les résultats ne sont pas directement comparables car les images catégorisées sont différentes. Dans notre cas le nombre d'animaux ainsi que leur taille semble intervenir dans la catégorisation. Cette étude et la nôtre indiquent cependant qu'il est possible que les caractéristiques importantes pour la détection d'objet puissent dépendre de l'objet à catégoriser.

Cependant la catégorisation ne se base pas sur les seules parties des objets : par exemple l'absence d'yeux dans les images contenant des animaux affecte les réponses mais pas de façon dramatique. La configuration des différents éléments est peut-être également très importante. Des travaux montrent que des images dont les parties sont mélangées sont catégorisées avec moins de précision et plus lentement chez l'homme (Cave et Kosslyn, 1993) et le singe (Vogels, 1999). De façon analogue, pour la reconnaissance des visages par exemple, on montre qu'elle dépend fortement de la configuration et de la distance relative des yeux et de la bouche (Cooper et Wojan, 2000). Bien que la relation ne soit pas directe avec notre étude, il semble cependant que la présence d'éléments diagnostiques et leur configuration spatiale soient deux éléments importants pour la catégorisation.

La reconnaissance diagnostique pose également la question de l'influence de la prototypicalité des objets sur la reconnaissance. Si le système visuel est biaisé vers la détection de certains modèles caractéristiques, il est probable que le fait que la position d'un objet soit typique ou non influencera la catégorisation. Des études montrent en effet que la reconnaissance des objets dépend de la configuration dans laquelle on a l’habitude de les voir (Palmer et al, 1981; Liu, 1996; Palmer, 1999). On demande aux sujets de classer des

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photographies de différentes vues d'objets (cheval, voiture, maison, chaussure, réveil ...) en fonction de la typicalité de la vue. Par la suite, quand on demande à d'autres sujets de nommer le plus rapidement les objets contenus dans ces photographies, leur performance dépend de la vue présentée, les temps de réaction étant plus lents pour les vues atypiques (Palmer et al, 1981). Ces résultats sont compatibles avec les nôtres dans la mesure où des vues atypiques des objets sont catégorisées avec moins de précision et plus lentement que des vues typiques.

La question se pose donc de savoir si cet effet dépend de la familiarité de la vue : par exemple, il est possible que nous reconnaissions plus rapidement des objets s'ils sont dans une position que nous avons l'habitude de voir. Pour répondre à cette question, Edelman et Büllthof (1992) ont posé la question de la reconnaissance d'objets nouveaux, des paperclips constitués d'une ligne continue brisée en trois dimensions (cf. figure III.4.6 dans la partie dédiée à la modélisation pour un exemple de paperclip). Les objets étaient présentés initialement sous forme d'une suite de photographies qui induisaient un mouvement apparent. Par la suite, les sujets devaient déterminer s'ils avaient déjà vu ou non ces formes. Le taux de reconnaissance dépend d'une vue canonique de l'objet. Ce résultat montre qu'a priori la présence d'une vue canonique ne dépend pas uniquement de la familiarité de la vue, l'objet étant initialement présenté dans toutes les positions. L'existence de vues canoniques dépendrait donc également de phénomènes plus complexes, comme la relation que nous entretenons avec l'objet.