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Malheureusement pour l'électrophysiologiste - et pour le modélisateur - les neurones du système visuel n'ont pas une activité bimodale, émettant de nombreux potentiels d'action en présence du stimulus pour lesquels ils sont sélectifs et restant silencieux pour d'autres stimuli, tel un signal lumineux qui s'allumerait ou s'éteindrait en fonction du stimulus présenté. Les

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travaux, que j'ai résumés dans le paragraphe précédent, considèrent tous qu'un neurone est sélectif si, suite à la présentation d'un stimulus, sa fréquence de décharge augmente par rapport à son activité spontanée. Cependant, il semble que la latence de décharge des neurones, par rapport à la présentation du stimulus, soit également un indicateur de la sélectivité du neurone (Richmond et Optican, 1990; Celebrini et al, 1993). Il existe un intense débat à ce jour concernant le type de code utilisé par les neurones, latence ou fréquence de décharge par exemple, auquel je ne souhaite pas prendre parti : comme je l'ai mentionné dans le chapitre précédent, il est peu probable que les neurones "utilisent" un code précis ou "représentent" des caractéristiques de l'objet. Il y a en effet tout lieu de penser que les neurones sont de simples unités autonomes tentant de survivre avec les contraintes qui leur sont imposées par la nature en termes d'interactions avec leurs voisins. Les propriétés globales du réseau émergent des interactions locales. Au niveau global, il pourraient donc exister plusieurs codes neuronaux qui dépendraient des multiples contraintes au niveau cellulaire.

Sans donc entrer dans le débat du code "utilisé" par les neurones, il est cependant vital de caractériser la dynamique de réponse des neurones dans le système visuel. Un des résultats compatible avec l'organisation hiérarchique du système visuel est que la latence d'activation

Latence (ms) V2 bandes fines V1 couches 1,2&3 V1 couches 4Cβ V1 couches 4Cα V1 couches 4B V2 bandes épaisses V2 bandes pales 20 ms 40 60 80 100 120 20 0 140 160

Figure 2.5 : latences de décharge dans les aires visuelles V1 et V2. Le rectangle central correspond aux centiles 25 % à 75 % (la barre verticale au centre représentant la médiane). Les barres verticales des deux cotés du rectangle indiquent les centiles 10 % à gauche et 90 % à droite. On constate que les neurones de la voie magnocellulaire (4Cα) sont environ 20 ms plus rapides que ceux de la voie parvocellulaire dans V1 (4Cβ). Les différentes bandes dans V2 correspondent aux bandes de cytochrome oxydase. Les neurones des bandes fines dans V2 sont sélectifs à la couleur et sont donc probablement sous l'influence du système parvocellulaire, ce qui explique leur lenteur. Les neurones des bandes épaisses dans V2 ont les latences les plus rapides et sont probablement activés par la voie magnocellulaire puisqu'ils projettent ensuite vers MT. Enfin, les neurones des bandes pâles seraient sélectifs aux contours et présentent des latences intermédiaires : ils pourraient être activées à la fois par des entrées magnocellulaires et parvocellulaires. Adapté de Nowak et Bullier (1997).

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des différentes aires corticales serait en relation avec leur niveau hiérarchique (figure 2.5). Cette affirmation est cependant à modérer. Les neurones dans la voie dorsale - majoritairement activée par les neurones magnocellulaires - présentent des latences de réponse à un stimulus flashé plus rapides que ceux de la voie ventrale. Dans le LGN, les latences de réponses des neurones magnocellulaires sont au moins 20 ms plus précoces que celles des neurones parvocellulaires (Nowak et al, 1995; Nowak et Bullier, 1997). Cet effet est également visible pour les premières décharges des neurones, 10 ms plus rapides pour les neurones magnocellulaires dans le LGN (Maunsel et al, 1999). On retrouve ce biais dans l'aire STP - à l'un des niveaux hiérarchiques les plus élevés du système visuel - où certains neurones sont sélectifs à la forme et d'autres au mouvement : les neurones sélectifs au mouvement déchargent environ 30 ms plus tôt que ceux qui sont sélectifs à la forme des objets (Oram et Perrett, 1996).

Comme je l'ai déjà mentionné, il est couramment accepté de considérer la voie magnocellulaire comme intervenant dans la sélectivité à la position et au mouvement des objets dans la voie dorsale, alors que les neurones parvocellulaires interviendraient plus spécifiquement dans la voie ventrale pour la reconnaissance des objets. Cependant les interactions entre ces deux types de neurones dans le système visuel semblent complexes14 (Ferrera et al, 1994), et il est possible, du fait de leur différence de latence d'activation, que l'activité des neurones de la voie parvocellulaire soit modulée par celle des neurones de la voie magnocellulaire (Bullier et al, 1996; Hupe et al, 1998). Ce type de modulation interviendrait au sein même de la voie ventrale, de V2 vers V1, mais pourrait aussi intervenir entre la voie dorsale et la voie ventrale : les neurones de la voie magnocellulaire activeraient la voie dorsale qui elle-même modulerait l'activité des neurones dans la voie ventrale. Du point de vue computationnel, cela apporte une solution au problème du liage de la position et de l'identité des objets : les neurones de la voie ventrale, majoritairement sélectifs à l'identité des objets, seraient modulés par les signaux de la voie dorsale qui sont eux sélectifs à la position de ces objets (Vidyasagar, 1999).

La dynamique des réponses des neurones dans IT semble également varier au cours du temps. Les neurones dans IT peuvent être activés seulement 80-100 ms après la présentation d'un stimulus (Vogels, 1999; Perrett et al, 1982). La première partie de cette réponse semble

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De façon apparemment contradictoire, l'incidence d'une inactivation des neurones de la voie magnocellulaire sur l'activité des neurones de V4 - dans la voie ventrale - semble très importante : l'inactivation des neurones parvocellulaires dans le LGN réduit l'activité de 36 % alors que cette réduction atteint 47 % dans le cas d'une inactivation des neurones magnocellulaires.

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être grossièrement sélective alors que la seconde serait plus spécifique. Par exemple, Sugase et al (1999) ont montré que les décharges rapides de certains neurones étaient sélectives aux visages dans leur globalité pour se concentrer ensuite - environ 50 ms plus tard – sur les visage qui présentent une certaine expression. Nous reviendrons en détail sur la dynamique de réponse des neurones du système visuel dans le cadre des modèles que je vais présenter.