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Marchés et contrats administratifs

Dans le document Les rapports du Conseil d’État (Page 99-105)

2.1.22. Catégories particulières de contrat

Le Conseil d’État a été amené à qualifier des contrats dans deux affaires présentant des configurations contractuelles originales.

2.1.22.1. Dans une première affaire, un grand port maritime (GPM) avait conclu une convention de terminal dans le cadre de l’article R. 5312-84 du code des transports pour confier à une personne privée la gestion et l’exploitation d’un terminal portuaire (CE, 14 février 2017, Société de manutention portuaire d’Aquitaine et Société Grand Port Maritime de Bordeaux, nos 405157, 405183, Rec.). Le Conseil d’État devait déterminer si une telle convention relevait de la commande publique et, si oui, de quelle catégorie contractuelle. Il a jugé que cette convention devait, compte tenu des engagements des parties – engagement de la société à investir sur le terminal, à construire et entretenir les équipements, bâtiments, outillages et terre-pleins nécessaires au maintien et au développement de l’activité portuaire, à assurer l’exploitation technique et commerciale du terminal en ayant la responsabilité des opérations de débarquement, d’embarquement, de manutention et de stockage des conteneurs et autres marchandises, en contrepartie du versement d’une redevance, de la mise à disposition des terrains et ouvrages nécessaires et du droit d’exploiter le terminal –, être regardée non comme une simple convention d’occupation du domaine public, mais comme un contrat administratif conclu pour répondre aux besoins du GPM. Cette convention de terminal ayant pour objet principal l’exécution d’une prestation de services et transférant au cocontractant un risque d’exploitation, elle revêt le caractère d’une concession de services au sens de l’article 5 de l’ordonnance n° 2016-65 du

29 janvier 2016 relative aux contrats de concession. Cette qualification opérée, le Conseil d’État devait ensuite qualifier la « convention de mise en régie » conclue pour confier à un tiers l’exécution des obligations incombant au titulaire de la convention de terminal défaillant. Il juge qu’une telle convention revêt également le caractère d’une concession de services. En l’espèce, le pouvoir adjudicateur a pu conclure, à titre provisoire, un nouveau contrat de concession de services sans respecter au préalable les règles de publicité, l’existence d’un motif d’intérêt général tenant à la continuité du service et d’une situation d’urgence tirée de l’impossibilité à faire exécuter le contrat étant reconnue.

2.1.22.2. Dans une seconde affaire, la commune d’Aix-en-Provence et une société d’économie mixte (SEM) avaient conclu une délégation de service public par laquelle la première avait d’une part confié à la seconde la gestion du service public du stationnement hors voirie, consistant en l’exploitation de parcs de stationnement publics, et, d’autre part, confié la gestion du service public de stationnement sur la voirie. La commune avait par la suite entendu, par une convention dont la suspension était demandée par le préfet, vendre lesdits parcs de stationnement à la SEM et par suite, partiellement résilier la convention initiale, l’exploitation des parcs ne consistant plus en une délégation de service public.

Le Conseil d’État a d’abord estimé que ce que les cocontractants ont présenté comme la « résiliation partielle » d’une ancienne convention datant de 1986 devait en réalité être regardé comme une modification du contrat de concession initial.

En effet, du fait notamment des conditions de son équilibre financier, la concession ayant pour objet de concéder la gestion du service public du stationnement hors voirie et du service public du stationnement sur voirie constituait un ensemble unique.

Or compte tenu de l’ampleur des modifications apportées au contrat initial, dont le périmètre se trouvait substantiellement modifié, la commune aurait dû respecter les procédures de publicité et de mise en concurrence prévues pour la modification des contrats de concession et passer un nouveau contrat pour la gestion du service public restant confié au concessionnaire.

Ensuite, le Conseil d’État a estimé que le montage contractuel entre la commune et la SEM avait eu pour seul objet de faire échec au transfert de la compétence relative à la création et à la gestion des parcs de stationnement à la métropole d’Aix-Marseille-Provence à compter du 1er janvier 2018, auquel la commune s’était vivement et publiquement opposée. Le moyen tiré de ce que la convention avait un objet illicite et pouvait être regardée comme entachée d’un « détournement de pouvoir » a été regardé comme de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité de la convention.

Le Conseil d’État précise enfin à cette occasion que la méconnaissance des règles applicables à la modification des contrats de concession et le caractère illicite de l’objet d’un contrat sont au nombre des illégalités susceptibles de conduire le juge du contrat à annuler un contrat. (CE, 15 novembre 2017, Commune

d’Aix-en-2.1.23. Pénalités de retard

Les pénalités de retard prévues par les clauses d’un marché public ont pour objet de réparer forfaitairement le préjudice qu’est susceptible de causer au pouvoir adjudicateur le non-respect des délais. Elles sont applicables au seul motif qu’un retard dans l’exécution du marché est constaté et alors même que le pouvoir adjudicateur n’aurait subi aucun préjudice ou que le montant des pénalités mises à la charge du titulaire du marché qui résulte de leur application serait supérieur au préjudice subi. Par une décision du 29 décembre 2008, Office public d’habitations à loyer modéré (OPHLM) de Puteaux (n° 296930, Rec.), le Conseil d’État avait reconnu au juge administratif le pouvoir de modérer ou d’augmenter les pénalités de retard prévues par un contrat quand celles-ci atteignent un montant manifestement excessif ou dérisoire, eu égard au montant du marché.

Par sa décision du 19 juillet 2017, Centre hospitalier interdépartemental de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent (n° 392707, Rec.), la haute juridiction a précisé les limites qui s’imposent au juge dans l’exercice de son pouvoir de modulation de ces pénalités. Ainsi, il juge que ce pouvoir ne peut être mis en œuvre qu’à titre exceptionnel, et que, outre le montant du marché, doit être également prise en compte l’ampleur du retard constaté dans l’exécution des prestations.

Pour obtenir du juge une telle modération des pénalités, le titulaire du marché doit lui fournir tous les éléments, relatifs notamment aux pratiques observées pour des marchés comparables ou aux caractéristiques particulières du marché en litige, de nature à établir dans quelle mesure ces pénalités présentent selon lui un caractère manifestement excessif.

2.1.24. Contentieux contractuel

Le Conseil d’État a été saisi de questions nouvelles touchant aux procédures d’urgence propres à la passation des contrats de la commande publique, notamment au référé contractuel.

2.1.24.1. En premier lieu, le Conseil d’État a été saisi d’une demande d’indemnisation présentée par une société attributaire d’un lot d’un marché conclu avec le centre hospitalier de Narbonne en vue de la construction d’un centre de gériatrie. Ce contrat a toutefois été annulé par le juge du référé contractuel du tribunal administratif de Montpellier au motif que le contrat avait été conclu avant l’expiration du délai qui aurait permis aux concurrents évincés d’exercer un référé précontractuel. Il revenait alors au Conseil d’État de préciser les conditions d’indemnisation sur le terrain quasi-délictuel du titulaire d’un marché, qui a été annulé en raison d’une faute de l’administration.

Il a jugé que l’indemnisation du cocontractant, dont le contrat a été annulé par le juge dans le cadre du recours défini à l’article L. 551-13 du code de justice administrative, obéissait aux mêmes règles qu’une indemnisation faisant suite à l’annulation du contrat par le juge du contrat de droit commun (CE, 6 octobre 2017, Société Cégéléc Perpignan, n° 395268, Rec.). A ainsi été étendue au référé

contractuel la jurisprudence du Conseil d’État sur l’indemnisation du cocontractant dont le contrat est annulé par le juge issue de sa décision de section du 10 avril 2008, Decaux et Département des Alpes-Maritimes (nos 244950, 284439, 248607, Rec.).

Le cocontractant a ainsi droit au remboursement des dépenses utiles sur un terrain quasi-contractuel, au titre de l’enrichissement sans cause. À cet égard, les éventuelles fautes qu’il aurait commises avant la conclusion du contrat sont sans incidence sur ce droit à indemnisation, sauf si le contrat a été obtenu dans des conditions de nature à vicier le consentement de l’administration.

Le Conseil d’État juge qu’en plus de cette indemnisation sur le fondement de l’enrichissement sans cause, dans le cas où le contrat est écarté en raison d’une faute de l’administration, il peut aussi prétendre, sur un terrain quasi-délictuel, à la réparation du dommage imputable à cette faute, sous réserve du partage de responsabilités découlant le cas échéant de ses propres fautes.

En ce qui concerne cette voie d’indemnisation quasi-délictuelle, il a été jugé qu’il appartient au juge d’apprécier si le préjudice allégué présente un caractère certain et s’il existe un lien de causalité direct entre la faute de l’administration et le préjudice.

En l’espèce, les manquements aux règles de publicité et de mise en concurrence commis par le pouvoir adjudicateur ayant eu une incidence déterminante sur l’attribution du marché au titulaire, le lien entre la faute de l’administration et le manque à gagner dont la société entendait obtenir la réparation ne pouvait être regardé comme direct.

2.1.24.2. En second lieu, les conditions de recevabilité du référé contractuel ont été précisées dans une configuration inédite. Le juge était saisi d’un référé contractuel introduit par un candidat évincé après l’expiration du délai que le pouvoir adjudicateur s’était engagé à respecter avant la signature du contrat.

Mais le pouvoir adjudicateur n’avait lui-même pas respecté ce délai ni informé le requérant de la signature de ce contrat. Or, en vertu de l’article L. 551-14 du code de justice administrative, un requérant qui a introduit un référé précontractuel n’est pas recevable à introduire un référé contractuel. Ce principe souffre toutefois des exceptions : les candidats évincés qui ont vu leur référé précontractuel rejeté pour irrecevabilité du fait de la conclusion du contrat sont toutefois recevables à introduire un référé contractuel lorsque cette conclusion est intervenue en méconnaissance des règles de suspension de la signature du contrat qui s’imposaient au pouvoir adjudicateur ou lorsque ce dernier ne s’est pas conformé à la décision juridictionnelle rendue par le juge du référé précontractuel.

Le Conseil d’État précise sa jurisprudence antérieure (CE, 10 novembre 2010, Établissement public national des produits de l’agriculture et de la mer (France Agrimer), n° 340944, T. ; CE, 24 juin 2011, Office public de l’habitat interdépartemental de l’Essonne, du Val d’Oise et des Yvelines et société Seni, nos 346665, 346746, T. ; CE, 17 juin 2015, Société Proxiserve, n° 388457, T.) et juge que sont recevables à former un tel référé, outre le préfet, non seulement les candidats privés de la possibilité de présenter utilement un référé précontractuel – cas de non communication de

de standstill –, mais aussi ceux qui ont engagé un référé précontractuel lorsque le pouvoir adjudicateur n’a pas observé ce délai de standstill ou ne s’est pas conformé à la décision juridictionnelle rendue sur ce référé

Ainsi, pour apprécier si le référé contractuel introduit par un candidat dont le référé précontractuel a été rejeté pour irrecevabilité en raison de la signature du contrat est recevable, le juge ne pourra pas se contenter de constater une signature prématurée du marché. Il devra aussi vérifier si le référé précontractuel a bien été introduit avant l’expiration du délai de standstill. Ainsi, si ce référé a été introduit après l’expiration de ce délai, son irrecevabilité pour signature du contrat est sans lien avec cette signature mais imputable à la seule négligence du requérant. Par suite, l’exception tenant à la privation de la possibilité de présenter utilement un recours ne peut jouer et son référé contractuel sera également irrecevable (CE, 24 mai 2017, Ville de Paris, n° 407047, T.).

Police

2.1.25. État d’urgence

L’état d’urgence permet au ministre de l’intérieur de prononcer l’assignation à résidence, dans le lieu qu’il fixe, de toute personne à l’égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics. Ce pouvoir est encadré par de nombreuses limitations, notamment s’agissant de la durée de ces mesures d’assignation. La loi du 19 décembre 2016 prorogeant l’état d’urgence a ainsi posé pour principe qu’à compter de la déclaration de l’état d’urgence et pour toute sa durée, une même personne ne pouvait être assignée à résidence pour une durée totale de plus de douze mois, en réservant toutefois la possibilité pour le ministre de l’intérieur de prolonger une telle assignation pour une durée maximale de trois mois. Par une décision du 16 mars 2017 (n° 2017-624 QPC du 16 mars 2017), le Conseil Constitutionnel a formulé une réserve d’interprétation en estimant que cette prolongation au-delà de douze mois ne peut être renouvelée qu’à la triple condition, d’une part, que le comportement de la personne en cause constitue une menace d’une particulière gravité pour la sécurité et l’ordre publics, d’autre part, que l’autorité administrative produise des éléments nouveaux ou complémentaires, et enfin que soient prises en compte dans l’examen de la situation de l’intéressé la durée totale de l’assignation et l’ensemble des contraintes qui s’y attachent.

Devant se prononcer sur la légalité d’un arrêté du ministre de l’intérieur prolongeant au-delà d’un an une assignation à résidence, le Conseil d’État s’est assuré du respect par l’administration des trois conditions fixées par le juge constitutionnel.

S’agissant de la condition d’éléments nouveaux et complémentaires, il a estimé que ces faits pouvaient résulter d’agissements de la personne concernée, de procédures judiciaires et même de décisions administratives, pour autant que celles-ci soient fondées sur des éléments au moins en partie nouveaux ou complémentaires (CE, JRCE, 25 avril 2017, M. B., n° 409677, Rec.).

2.1.26. Formation spécialisée sur les techniques de renseignement et fichiers intéressant la sûreté de l’État

2.1.26.1. La loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement a donné au Conseil d’État compétence pour juger directement des recours concernant la mise en œuvre des techniques de renseignement ainsi que des recours concernant la mise en œuvre des fichiers informatiques intéressant la sûreté de l’État. Elle a créé, au sein du Conseil d’État une formation de jugement spécialisée pour juger ces recours, dont les membres sont habilités au secret de la défense nationale. Les affaires traitées par cette formation spécialisée suivent une procédure particulière qui concilie le caractère contradictoire de la procédure et la protection du secret de la défense nationale : les membres de la formation spécialisée ont accès à des informations confidentielles, sur lesquelles ils exercent un contrôle, mais ces informations ne sont pas communiquées aux requérants.

La haute juridiction a été amenée à préciser son contrôle sur ces techniques de renseignement et la conformité de celui-ci avec le droit au recours effectif et le principe du contradictoire, garantis notamment par les articles 6§1 et 13 de la CEDH.

La formation spécialisée se prononce en effet selon une instruction particulière qui déroge au caractère contradictoire de la procédure. Le Conseil d’État a estimé que les conditions dans lesquelles la formation remplissait son office juridictionnel ne méconnaissaient pas les droits en cause. Cette dérogation a pour seul objet de porter à la connaissance des juges des éléments couverts par le secret de la défense nationale et qui ne peuvent pas être communiqués au requérant. Elle est dès lors, tout au contraire, seule à même d’assurer que le juge aura un accès à toute information utile. Les pouvoirs conférés à la formation de relever d’office des illégalités et d’enjoindre à l’administration de remédier aux illégalités constatées garantissent l’effectivité du contrôle juridictionnel sur l’exercice du droit d’accès indirect aux données personnelles de ces fichiers (CE, form. spéc., 8 février 2017, Mme P., n° 396550, T. ; CE, form. spéc., 8 février 2017, M. B., n° 396567, T.) 2.1.26.2. S’agissant encore de l’office de la formation spécialisée, il a été jugé que cette formation se place à la date à laquelle elle statue pour apprécier si des données, dont le refus d’accès est contesté, sont ou non illégalement contenues dans un fichier intéressant la sûreté de l’État. Lorsqu’elle constate que des données figurent illégalement dans un fichier, elle enjoint de procéder à l’effacement de celles-ci (CE, form. spéc., 8 novembre 2017, Mme P., n° 396549, T.).

2.1.26.3.. Enfin, le Conseil d’État a été saisi d’une demande d’un requérant tendant à ce qu’il rectifie les informations erronées le concernant susceptibles de figurer dans le fichier de la direction du renseignement et de la sécurité de la défense.

Ayant obtenu du ministère de la défense et de la CNIL les éléments relatifs à la situation de l’intéressé et les actes autorisant la création du fichier litigieux, la formation spécialisée du Conseil d’État a jugé que des données le concernant figuraient illégalement dans le fichier. Elle a donc enjoint au ministre de la défense

2.1.27. Salubrité publique

Par sa décision du 15 novembre 2017, Ligue française pour la défense des droits de l’Homme et du citoyen (n° 403275, T.), le Conseil d’État a eu à apprécier la légalité d’une mesure de police motivée par le respect de la salubrité publique.

Un maire avait interdit par un arrêté les fouilles de poubelles, conteneurs et lieux de regroupement de déchets sur le territoire de sa commune. Après avoir demandé sans succès l’annulation de cet arrêté au tribunal administratif de Lille puis devant la cour administrative d’appel de Douai, la Ligue française pour la défense des droits de l’Homme et du citoyen s’était pourvue en cassation. Il revenait alors au Conseil d’État d’apprécier si l’atteinte à la liberté opérée par cette mesure de police revêtait un caractère proportionné aux buts de maintien de la salubrité publique, composante de l’ordre public.

Le Conseil d’État a tout d’abord estimé que l’arrêté attaqué n’avait pas pour objet d’interdire l’appropriation d’objets placés dans les poubelles, traditionnellement admise, mais qu’il se bornait à interdire la pratique consistant en une exploration systématique des conteneurs entraînant l’éparpillement des déchets qu’ils renferment. Cette atteinte a alors été mise en balance avec les troubles à la salubrité et l’hygiène publiques que la cour administrative d’appel avait regardés comme établis. La haute juridiction a alors jugé que l’arrêté avait constitué une mesure de police proportionnée à l’objectif de préservation de l’ordre public.

Enfin, le Conseil d’État a rappelé sa jurisprudence en vertu de laquelle la circonstance qu’une mesure de police d’application générale affecte particulièrement la situation de certaines personnes ne suffit pas à lui conférer un caractère discriminatoire. Le Conseil d’État a donc rejeté le pourvoi.

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