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d’investigationetconnaissances professionnelles

6.2.2.3. Manque de liaison entre la situation-problème et les investigations

Comme nous l’avons relevé au paragraphe précédent, la question productive qui donne lieu à des investigations est imposée par Henri. Elle n’est pas construite conjointement avec les élèves conséquemment à la situation-problème. Nous avons fait le même constat chez Florence. Dans la deuxième séance, elle demande aux élèves de

proposer une expérience pour montrer qu’il existe une relation entre la masse et le poids

d’un objet. Cette question est posée par l’enseignante, sans aucun lien avec la situation-problème qui était de classer les conceptions des élèves dans un tableau avec une colonne poids et une colonne masse.

Pourtant, les deux enseignants auraient pu établir une liste de questions avec les

élèves pendant l’analyse de leur situation-problème. Ces questions productives auraient donné lieu à des investigations, de la part des élèves, pour trouver des réponses. Par exemple, la question « existe-t-il une relation entre le poids et la

masse ? » aurait pu être formulée soit à partir de l’étude de la bande dessinée des Aventures de Tintin soit lors du classement en tableau des conceptions des élèves.

Pour autant, cette relation entre la situation-problème et les investigations

conduites n’est pas très explicite dans les programmes du collège. Les programmes

évoquent une séquence d’investigation, en soulignant qu’« une séquence est composée de

plusieurs séances relatives à un même sujet d’étude ». Les enseignants devraient donc

penser la mise en œuvre d’une DI sur plusieurs séances. Mais, les programmes ne

mentionnent pas clairement que la situation-problème a aussi la fonction d’identifier des

questions qui donneront lieu plus tard à des investigations. Ce peut être une raison pour laquelle elle est souvent réduite à « corriger » les erreurs des élèves. Dans ce cas, nous

pensons qu’il y a un manque de cohérence dans la démarche, ce qui a peut avoir un impact sur les difficultés d’apprentissages des élèves.

Ce manque de liaison entre la situation-problème et les investigations nous font

proposer que la DI pourrait se résumer à une succession de phases d’investigation, qui se déploient dans le temps, dont la cohérence est visible par l’enseignant mais pas forcément par les élèves. De plus, devant leurs difficultés à conduire des investigations, les enseignants prennent en charge certains moments de la démarche : pour nous, elle est contrôlée (Coquidé, Fortin, & Rumelhard, 2009). Nous observons aussi les enseignants

changer la question de départ, entre les deux années d’observation. La conséquence est

que la nature de la démarche évolue : elle peut être inductive, déductive ou successivement les deux à la fois.

Le modèle ESFI à six dimensions nous permet d’envisager des améliorations en

comparant le niveau atteint par l’enseignant dans une dimension critique et le moment dans le déroulement de la séquence où l’étude se passe. Dans notre exemple, les deux enseignants sont au début de la séquence à la première séance. Ils pourraient construire leur situation-problème pour bâtir avec les élèves un questionnement. Dans ce cas ils

seraient au niveau 3 ou 4 dans le modèle. Les avantages sont certains. D’une part les professeurs s’assurent que les élèves se sont approprié le questionnement et, d’autre part,

ce questionnement permettrait aux élèves de mener des investigations en plus grande autonomie. La liaison situation-problème / investigation est assurée.

146 Chapitre 6 : Démarches d’investigation et connaissances professionnelles

6.2.3. Ladémarche denatureinductiveoudéductive

La première année, Florence a laissé les élèves proposer et mettre en œuvre des

expériences en totale autonomie pour montrer la relation entre le poids et la masse. Elle a donné la consigne suivante (Transcript de séance - 13, p. 146) :

Locuteur Production verbale

F ((écrit au tableau)) existe-t-il un lien entre le poids et la masse des objets // et là je vais vous demander de réfléchir // donc là moi je ne vais plus rien écrire pendant un petit moment // alors je vous demande enfin / voici les consignes que vous avez vous devez montrer qu'il y a ou qu'il n'y a pas de lien entre la masse et le poids de différents objets / pour se faire sous la partie expérience vous allez me décrire ce que vous allez faire par quelle expérience vous pourriez montrer qu'il y a un lien ou qu'il n'y a pas hein moi j'en sais rien entre la masse et le poids de différents objets / donc je vous laisse écrire au crayon gris / par quelle expérience vous allez

montrer qu'il existe ou qu'il existe pas j'en sais rien un lien entre la masse et le poids de différents objets

Transcript de séance - 13 : Relation entre le poids et la masse. Année 1. Cas de Florence

Les élèves ne sont pas arrivés à montrer la relation de proportionnalité entre la masse et le poids. Pour Florence, ils « ne savaient pas ce qu’ils devaient trouver ». Elle reformule la consigne à plusieurs reprises pour aider les

élèves en difficultés. Au bout de quatre minutes de régulations, elle prend l’exemple d’un groupe qu’elle commente (Transcript de séance - 14, p. 146).

Locuteurs Productions verbales

F / bon c’est bon hein y a bien un lien / enfin / y’a un

lien entre les deux / moi j’aimerai essayer de trouver une relation mathématique dans ce lien-là / donc peut-être qu’il faudrait peut-peut-être déterminer la masse

E1 exact

F donc il vous manque quelque chose

Es la balance

Transcript de séance - 14 : Relation mathématique. Année 1. Cas de Florence

Dans l’échange avec ce groupe, Florence reformule le problème à résoudre : « moi j’aimerai essayer de trouver une relation mathématique dans ce lien-là ». Cette reformulation de la consigne permet à tous les groupes de mettre en

place une expérience. Mais aucun n’est arrivé à trouver la relation mathématique entre le

poids et la masse. Florence identifie les sources d’erreurs qui ont empêché les élèves de trouver la relation mathématique : des erreurs de lecture au niveau du dynamomètre, des

erreurs de calibre sur la balance électronique neuve (Florence n’avait pas anticipé que la

par les élèves. C’est un incident critique lié au référent empirique à la balance numérique. Elle sait, à l’issue de cette séance, qu’elle doit reprendre sa préparation de la classe.

La deuxième année de notre observation, Florence a changé l’introduction de la question productive. Mais, c’est toujours elle qui la donne aux élèves (Transcript de séance - 15, p. 147).

Locuteur Production verbale

F je vous avais demandé de réfléchir à une expérience ou des expériences que vous pourriez faire pour montrer que le poids est proportionnel à la masse c’est ça alors qui a eu une idée

Transcript de séance - 15 : Relation entre le poids et la masse. Année 2. Cas de Florence

Elle leur demande d’imaginer une expérience permettant de montrer que la relation, entre le poids et la masse, est une relation de proportionnalité (après avoir défini la proportionnalité). La consigne est radicalement différente, cette deuxième année.

D’une part, les élèves prennent le temps chez eux d’élaborer le protocole d’une expérience et, d’autre part, ils savent qu’ils doivent trouver que le poids est proportionnel à la masse. Florence justifie son évolution entre les deux années, car elle pense qu’ils ne sont pas capables de trouver seuls qu’il existe une relation de proportionnalité : « il y a trop de difficultés du côté des maths et de la mesure qui engendrent tout et n’importe quoi ». L’enseignante met en commun les différentes

propositions des élèves et définit un protocole avec la classe. Elle dessine le tableau de mesures à compléter, elle les laisse libres toutefois de choisir les objets, en précisant

qu’ils doivent avoir des masses significativement différentes.

Nous avons observé des élèves qui corrigeaient leurs mesures afin de trouver la proportionnalité. Ils savaient ce qu’ils cherchaient. Pour autant, elle est plus satisfaite que l’année précédente : « pour certains groupes c’est pas si mal ».

Entre les deux années, la nature de la démarche a changé. La première année, elle est de nature inductive ; la deuxième année elle est de nature déductive. De fait, la tâche

des élèves n’est plus la même. Ce changement radical est la conséquence des erreurs identifiées par Florence à l’issue de son cours mis en œuvre la première année de notre

observation. Donc, ce sont bien des PCK/é qui sont à l’origine du changement de nature

de la DI.

Ce changement de nature de la démarche peut être analysé avec le modèle à six

dimensions de Grangeat. La dimension critique correspondante s’intitule : « Quelle est la nature du problème ? ». La première année, Florence se situerait au niveau 4 « les élèves

148 Chapitre 6 : Démarches d’investigation et connaissances professionnelles

disposent d’un matériel libre pour une question ouverte ». C’est le niveau le plus

« complexe » car il est centré sur les élèves. La deuxième année, l’enseignante met en

place une démarche déductive dont le protocole est construit conjointement avec les

élèves. Elle se situerait au niveau 2. Nous voyons que l’autonomie des élèves est réduite suite aux difficultés occasionnées par des situations de niveau 4. Dans l’entretien en a uto-analyse simple, Florence nous dit, à l’issue de la deuxième année : « et je pense que l’année prochaine ils seront encore moins autonomes / ouais / je pense que dans ce cas-là je leur imposerai des objets ». Elle minimise les erreurs de mesures en choisissant la masse des objets « pour que ça tombe à peu près juste ». Dans ce cas les élèves auront encore moins d’autonomie. Nous pensons qu’elle

se situerait à un niveau intermédiaire entre le 1 et le 2.

Henri va plus loin. Il écrit la relation P = m × a et il demande aux élèves de trouver le coefficient de proportionnalité a. Pour cela, il impose le matériel : des masses

marquées, un dynamomètre et une balance numérique. C’est un groupe qui passe au tableau et qui effectue les mesures. C’est aussi la conséquence d’un échec la première

année, lorsque les élèves avaient la liberté de choisir leurs objets pour trouver le coefficient a. Il se situerait au niveau 1 relativement à la dimension critique correspondante « Quelle est la nature du problème ? ». Les élèves ont très peu

d’autonomie.

Florence suit la même progression qu’Henri. Lui aussi se situait au niveau 4 la

première année des nouveaux programmes de la classe de troisième (2008). Puis il a

restreint l’autonomie des élèves et a fini par imposer le protocole devant les difficultés rencontrées. Le modèle montre que la prise en compte des élèves est minimale dans les

deux cas. La démarche déductive ne permet pas aux enseignants de décentrer l’activité

sur les élèves. Cette approche est renforcée par le fait que les enseignants mettent en scène des connaissances déjà établies, qui ne peuvent pas se constituer comme ils le font dans la communauté scientifique de référence (Darley & Bomchil, 1998 ; Cariou, 2010 ; Coquidé & al., 2009). De fait, nous posons la question des apprentissages réalisés.

Dans les deux cas, nous constatons que l’autonomie des élèves est réduite pour assurer à l’enseignant d’atteindre son but. Il prend en charge des moments de la

6.2.4. Unedémarchecontrôlée

Les enseignants réduisent l’autonomie des élèves dans les investigations pour

différentes raisons. La première, et la plus mentionnée, est que la mise en œuvre de la DI

est très chronophage (Mathé, Méheut, & de Hosson, 2008). Florence définit un protocole commun à toute la classe et dessine le tableau de mesures à compléter pour gagner du temps car « si certains partent sur leur expérience euh pour rattraper ça va perdre du temps après ».En même temps, l’enseignante est assurée que tous les

élèves partent d’une expérience qui fonctionne. C’est la deuxième raison. Les enseignants

« cadrent » le travail des élèves en agissant sur différentes variables pour s’assurer d’atteindre leur but. Ils agissent sur le matériel, par exemple. Henri fait manipuler les élèves avec des masses marquées. Il trouvera plus facilement le coefficient de proportionnalité égal à 10. Nous avons dit au paragraphe précédent que Florence envisage

de réduire encore l’autonomie des élèves en imposant le matériel « parce que comme ça après quand on fait l'exploitation ils auront quasiment tous le même résultat et c'est plus facile d'exploiter avec des graphiques identiques des valeurs quasiment identiques ». Les enseignants font des mises en commun régulièrement dans lesquelles ils donnent des résultats intermédiaires importants. Une autre raison invoquée par les professeurs concerne les problèmes de sécurité. Prenons le

cas de l’enseignement de la loi d’Ohm en classe de quatrième.

Henri donne la « résistance » à utiliser, « car elle est adaptée à ce qu’ils doivent faire » ainsi que le générateur à tension réglable, avec les symboles. Il dit gagner du temps car « de toutes façons ils ne trouveront pas, ils ne penseront pas au générateur à tension réglable ». Les élèves doivent effectuer

le schéma en plaçant les deux multimètres et après vérification de l’enseignant, ils font le

montage et prennent les mesures. Henri impose les calibres ainsi que la valeur des tensions aux bornes de la résistance « sinon ils font n’importe quoi ». Il justifie sa position par rapport aux conditions de sécurité : en effet, les élèves manipulent du matériel nécessitant des réglages précis, avec des risques de court-circuit et des conséquences irréversibles sur le matériel. Henri ajoute : « donc là j’ai pas le choix je leur donne le calibre 200 milli et je leur impose la tension ».

Florence n’a pas les mêmes problèmes qu’Henri. Elle possède un matériel

150 Chapitre 6 : Démarches d’investigation et connaissances professionnelles

valeurs, contrairement à Henri. Ils peuvent proposer une manipulation à réaliser et une

liste de matériel. Par contre, elle s’assure que tous les groupes ont le bon schéma de

montage avant de commencer.

Nous observons que les conditions matérielles influencent le degré d’autonomie laissé aux élèves dans la construction et la mise en œuvre de la DI. Ce PCK/pgrm a beaucoup d’importance ici ; chaque enseignant construit sa séance en le mobilisant. Elle

s’ajoute aux PCK/é lors de l’élaboration de l’activité expérimentale.

Nous poursuivons notre analyse avec le modèle à six dimensions de Grangeat. Pour nous, la responsabilité des élèves est questionnée dès que les enseignants « contrôlent » la démarche. Nous nous référons à la dimension critique « Quelle responsabilité ont les élèves ? ». Nous avons quelques difficultés à placer le niveau de Florence et André en lien avec cette dimension. Le niveau 1 « l’enseignant met en place

les étapes de la DI » ne nous paraît pas compatible avec le niveau 3 « les élèves sont

responsables du processus d’investigation ». Pour nous, les étapes de la DI représentent la démarche dans sa totalité à savoir de la situation-problème aux nouvelles connaissances. Au collège, elle est présentée en sept moments essentiels. Nous comprenons le niveau 3

comme une responsabilité des élèves dans le choix de la forme d’investigation et

concernant sa conduite. Donc, il n’y aurait pas de continuum entre ces deux niveaux. Les deux enseignants, Florence et André n’ont pas mis en place de DI car il n’y a

pas eu de liaison entre la situation-problème et les investigations par la construction

conjointe d’un questionnement. La DI pourrait se résumer à une succession de phases

d’investigation qui se déploient dans le temps. Pour pouvoir poursuivre notre analyse

avec le modèle à six dimensions nous proposons de l’adapter à nos cas d’étude. Nous

considérons que la dimension critique citée ci-dessus ne concernerait que les investigations ; nous la noterions « Quelle responsabilité ont les élèves lors des investigations ? ». Nous pourrions placer quatre niveaux parmi lesquels Florence et Henri pourraient se situer :

1. L’enseignant met en place l’investigation en proposant un protocole et le matériel.

2. L’enseignant met en place l’investigation en proposant un protocole et en laissant le choix du matériel aux élèves.

3. Les élèves sont responsables du processus d’investigation

La première année, Florence serait au niveau 3 et Henri au niveau 3 puis 1 (il adapte son enseignement entre la séance 2 et la séance 3 suite aux difficultés des élèves). La deuxième année, Florence se situerait au niveau 2 et Henri au niveau 1. La responsabilité des élèves diminue avec le processus de « contrôle » de la démarche qui

augmente alors que, selon les programmes, la DI favorise l’autonomie et à la

responsabilisation des élèves à travers les différents modes des gestions des élèves. Les trois autres dimensions critiques du modèle seraient à étudier en fonction du moment dans la DI.

6.2.5. BilandenotreanalyseaveclemodèleESFI

Nous avons analysé différents moments d’une DI en faisant référence au modèle ESFI à 6 dimensions (Grangeat, à paraître). Le premier moment de la DI dans les programmes concerne le choix d’une situation-problème. Le modèle ESFI nous permet de montrer que les enseignants se situent aux deux premiers niveaux dans la dimension critique « qui est à l’origine du questionnement ? ». Cela indique que leur activité n’est

pas centrée sur les élèves. Ce sont les professeurs qui proposent le questionnement initial

en faisant en sorte que les élèves se l’approprient pour mener des investigations. Nous pensons que l’une des origines des difficultés rencontrées par les élèves se situe dans cette articulation. Le modèle ESFI apporte des informations pouvant aider les professeurs à se

situer, lors de la construction d’une activité. En décentrant l’activité sur les élèves ils passent à un niveau de 3 ou 4 dans la dimension critique correspondante, suivant le degré

d’autonomie des élèves dans la construction. Pour nous, cela permet de s’assurer qu’ils s’approprient le questionnement etqu’ils donnent du sens à leurs recherches.

Nous avons observé aussi que les enseignants s’adaptent aux difficultés des élèves en changeant la nature de la démarche ou en la contrôlant. Le modèle ESFI nous apporte

des éléments d’analyse complémentaires. Lorsque les professeurs passent d’une démarche

inductive à une démarche déductive, ils passent d’un niveau 4 à un niveau 1 ou 2 concernant la dimension critique correspondante : « Quelle est la nature du problème ? ». Les élèves perdent en autonomie et en responsabilité. L’analyse de la dimension critique redéfinie (§ 6.2.4) « Quelle responsabilité ont les élèves lors des investigations ? » nous amène à la même conclusion. Nous montrons que l’autonomie et la responsabilité des élèves au cours des investigations diminue entre les deux années de notre analyse. C’est une conséquence de l’adaptation des professeurs aux difficultés rencontrées pour atteindre

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leur but. Cette évolution va à l’encontre des préconisations inclues dans les programmes et questionne les apprentissages effectués en classe.

6.3. LaDIàl’école :pointscommunsetdifférences