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6.3.3.2. Des phases expérimentales

Dans notre étude, une phase expérimentale est de nature différente dans le premier degré et dans le second degré. Dans le premier degré elle contient notamment une trace

écrite, produite par les élèves, sur laquelle l’enseignant va s’appuyer pour construire les

savoirs. De sorte que sa consigne de travail est double : elle contient une partie en relation

avec l’expérience à faire et une autre sur la trace écrite à produire.

Nous pensons que cette distinction dans la nature des phases expérimentales entre

le collège et l’école primaire provient d’un contrat didactique institutionnel qui diffère

entre le premier degré et le second degré. Dans le second degré, la construction des

savoirs s’appuie très peu sur la production d'écrits individuels ou de groupes ; elle est

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consécutive à des résultats expérimentaux ou liées à des modélisations. Nous pensons que les programmes de l’école primaire31, les documents d’accompagnement32 et

d’application33 parus en 2002 ont incité les professeurs des écoles à prendre en compte le langage dans l’apprentissage des sciences. Le renforcement de sa maîtrise est inscrit en introduction du programme de sciences et technologie :

Tout au long du cycle, les élèves tiennent un carnet d'expériences et d'observations. L'élaboration d'écrits permet de soutenir la réflexion et d'introduire rigueur et précision. L'élève écrit pour lui-même ses observations ou ses expériences. Il écrit aussi pour mettre en forme les résultats acquis (texte de statut scientifique) et les communiquer (texte de statut documentaire). Après avoir été confrontés à la critique de la classe et à celle, décisive, du maître, ces écrits validés prennent le statut de savoirs. (MEN, Horaires et programmes d’enseignement de l’école primaire, 2002, p. 87)

Prenons deux exemples de consigne : l’une dite par André (Transcript de séance - 18, p. 163) et l’autre par Francis (Transcript de séance - 19, p. 164). Cette consigne

d’André correspond à la seconde phase expérimentale de la première séance.

Locuteur Production verbale

A vous allez me réaliser un circuit électrique simple / c'est-à-dire que vous allez me disposer les différents éléments les uns avec les autres ((andré a présenté le matériel avant de donner la consigne)) afin que l’ampoule s’allume ((andré montre comment accrocher un fil à la douille)) / il est midi treize vous avez quatre minutes / pendant ce temps-là je vais vous donner à nouveau non non non vous croisez les bras vous écoutez // je vais vous donner à nouveau une feuille ((andré montre au tableau le travail précédent encore affiché)) pour redessiner votre circuit d’accord et vous me dessinerez ce que vous avez fait dans la partie ici ((andré montre la feuille affichée au tableau)) mes dessins partie verte thierry d’accord

Transcript de séance - 18 : Effectuer un circuit simple. Cas d’André

La tâche des élèves est double : réaliser un montage « circuit électrique simple » et

dessiner le circuit sur la feuille. André dit qu’il donne « à nouveau une feuille » pour la trace écrite afin que les élèves s’inscrivent dans la continuité au niveau de cette

production. Il en profite pour rappeler à Thierry qu’il attend ce dessin à une place bien

définie sur la feuille de synthèse.

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MEN, Horaires et programmes d’enseignement de l’école primaire. BO HS n° 1 du 14 février 2002 32

MEN, Enseigner les sciences à l’école. Document d’accompagnement des programmes de 2002, Sceren

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164 Chapitre 6 : Démarches d’investigation et connaissances professionnelles

Nous retrouvons la même organisation chez Francis (Transcript de séance - 19, p. 164) lors de la seconde séance. Francis énumère le matériel pendant la consigne alors

qu’André l’avait montré juste avant. Nous retrouvons la double consigne : effectuer un montage et produire une trace.

Locuteur Production verbale

F alors aujourd’hui on va apprendre à faire des circuits un peu plus perfectionnés // dans chaque groupe vous allez avoir non pas deux fils mais trois fils une ampoule qui est posée sur son petit support / une pile et je rajoute à mettre

obligatoirement dans le circuit / un trombone // ici

((francis montre une feuille blanche)) vous allez pouvoir me dessiner soit en utilisant les symboles soit en utilisant le dessin un circuit électrique avec tout la matériel où

l’ampoule s’allume / et le même circuit en changeant un p’tit truc où l’ampoule s’allume plus

Transcript de séance - 19 : Effectuer un montage série. Cas de Francis

Cette organisation, commune aux deux enseignants, répond à une double stratégie (Transcript d'entretien - 15, p. 164).

Locuteur Production verbale

A pourquoi ben pour éviter de couper leur élan remobiliser le travail ça les oblige à revenir à ce qu'ils faisaient avant et les perturber en fait / y'a des élèves qui vont aller très vite d'autre qui ne vont pas aller très vite les élèves qui vont très vite ont le temps de passer à la phase suivante sans vraiment de coupure et puis aussi ça leur euh au niveau du timing ça permet de dire ben voilà vous avez un quart d'heure pour faire ça dans un quart d'heure on affiche tout est affiché au tableau voilà

Transcript d'entretien - 15 : Organisation de la consigne de travail. Avec André

La phase expérimentale est construite de telle sorte que les élèves sont autonomes.

L’enseignant sait que s’il les coupe dans leur travail, certains vont se démobiliser. Il sait aussi que c’est une manière de gérer la différence de rapidité dans l’exécution des tâches qui évite que certains attendent les autres.

Un autre élément nous semble important à relever : la trace écrite produite par les

élèves, pendant la phase expérimentale, a un statut différent de celui d’un écrit de brouillon. C’est une grande différence avec ce que nous avons observé chez Florence et

Henri, au collège. André se sert de cette production d’abord pour valoriser le travail de chaque groupe puis pour évaluer ce qui a été fait par rapport à la consigne qu’il a donnée.

Cette évaluation est menée par tous les élèves puisque toutes les productions sont

affichées au tableau. C’est un moment de langage très important pour les deux

Grangeat, 1997, 2° éd. 1999) qui participe à l’acquisition des savoirs. Enfin, André nous

dit le rôle majeur de la trace écrite produite par chaque élève (Transcript d'entretien - 16, p. 165).

Locuteur Productions verbales

A comment est-ce qu'on a construit cette trace écrite bon on l'a construit à partir de ce qui est fait on peut très bien prendre un dessin en exemple parce que il s'avère que ce dessin-là représente le mieux ce qui a été mis en place mais dans d'autre euh dans d'autre euh je pense aux sciences dans ce que j'ai mené avec les oiseaux par exemple sur une démarche

d'investigation et bien on s'est servi de tous les travaux des enfants pour piocher les choses qui nous permettrait de

continuer à l'intérieur de chaque travaux donc là aussi c'est intéressant justement de ça permet aux enfants d'apprendre à lire un document et puis de voir ce qui est validé et pas validé là encore c'est pluridisciplinaire quoi

C c'est pluridisciplinaire dans quel sens

A dans le sens où euh on va pas simplement se contenter de produire quelque chose on va être capable aussi d'analyser quelque chose de voir un peu ce que les autres ont fait si on le garde ou si on le garde pas donc euh capacité d'analyse des enfants capacité de lecture etc. etc. voilà

Transcript d'entretien - 16 : Construction d’un écrit de synthèse. Avec André

La trace produite par les élèves participe à l’écrit de synthèse, dans tous les cas.

Elle est construite conjointement avec eux à partir des productions de chaque groupe.

C’est un invariant chez les deux enseignants c'est-à-dire que cette organisation pour

établir la trace de synthèse se retrouve parfois dans d’autres matières scolaires : la trace

finale s’établit à partir des traces individuelles qui sont discutées en classe entière aussi

bien sur l’aspect langagier que sur l’aspect scientifique. C’est une analyse

pluridisciplinaire, citée par André dans l’entretien. Les enseignants utilisent cette

organisation en mathématiques, en arts plastiques et parfois dans d’autres matières

scolaires.

C’est pour cette raison, essentielle dans l’organisation des enseignants, qu’ils

donnent une consigne double lors des phases expérimentales. De fait, la tâche liée à la trace écrite est aussi importante, pour les élèves, que celle de réussir le montage. Elles sont indissociables.

Dans le second degré, cette dimension n’a pas été observée. La trace écrite concerne essentiellement l’écrit de synthèse qui est construit par les enseignants. Ils

s’appuient, le plus possible, sur des propositions d’élèves, à l’oral, lors des mises en

commun. L’écrit de synthèse est généralement produit par l’enseignant, au tableau. Il arrive, parfois, que les enseignants demandent aux élèves de prendre le cahier de

166 Chapitre 6 : Démarches d’investigation et connaissances professionnelles

brouillon, au cours d’une activité. Le rôle de cet écrit est flou. Dans tous les cas, il ne

participe pas directement à la synthèse. Il n’est jamais valorisé, c'est-à-dire qu’il n’est pas pris en exemple ou simplement énoncé à l’oral. C’est peut-être ce qui explique que les

élèves sortent leur cahier mais n’écrivent parfois rien dedans.

Cette différence d’organisation des phases expérimentales concernant la place et la fonction des écrits induit la mobilisation d’une PCK/stratégie, d’une PCK/pgrm et d’une PCK/é chez les enseignants du premier degré que nous ne trouvons pas chez les enseignants du second degré :

- La PCK/stratégie vient du fait que la double consigne donnée par l’enseignant

apporte une forme de régulation entre les élèves rapides et les autres, et une

autonomie des élèves. Dans le second degré, comme les élèves n’ont qu’une tâche

à faire à la fois, quand ils ont fini, ils doivent attendre l’intervention de l’enseignant ;

- Une PCK/pgrm car les enseignants s’appuient sur l’introduction des programmes de 2008 : « La présentation des programmes par discipline à l’école élémentaire ne constitue pas un obstacle à l’organisation d’activités interdisciplinaires ou transversales. Par exemple, les activités d’expression orale, de lecture ou de rédaction de textes en français ont évidemment toute leur place en sciences, en histoire et géographie, en histoire des arts et elles interviennent en mathématiques ». Les deux enseignants proposent une feuille blanche à chaque phase expérimentale qui sert d’affiche lors de la mise en commun des travaux. Les apprentissages langagiers sont intégrés aux sciences ;

- La PCK/é correspond à une approche spécifique de l’apprentissage des sciences

(Magnusson, Krajcik, & Borko, 1999). Pour nous, le fait de prendre appui systématiquement sur les traces écrites des élèves pour élaborer de nouveaux savoirs est spécifique du premier degré (§ 5.2.1.2). Nous pouvons y inclure

l’aspect pluridisciplinaire et interdisciplinaire des travaux d’analyse qui nous font

dire que les enseignants mobilisent aussi des PCK d’autres disciplines. Nous poursuivrons cette étude dans le chapitre 8 à propos de la spécialité des enseignants.