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LA RECHERCHE DES MANIFESTATIONS PREVENTIVES DE LA RESPONSABILITE CIVILE

SECTION 2. Les manifestations préventives de la réparation dissuasive du dommage

170. Peine privée511. Aux côtés des sanctions ayant pour nature la réparation d’un préjudice, d’autres sanctions mettent également en œuvre une finalité préventive bien que leur nature ne soit ni préventive ni réparatrice. Il s’agit de l’ensemble des sanctions répressives ayant une finalité préventive en raison de leur effet dissuasif512. Plus communément appelées peines privées, ces sanctions répressives font l'objet de deux faux constats. D'une part, la peine privée ne jouirait pas d’une grande vigueur en droit français comparativement à la Common Law anglaise ou américaine ou au droit civil québécois et, d'autre part, la peine privée serait contradictoire avec l'impératif de la réparation en droit de la responsabilité civile513. Or, c'est là

préjuger que la peine privée n’est qu'une peine en nature alors que notre jurisprudence montre également qu'elle a recours à la peine privée par la majoration des dommages et intérêts. Sous cet angle, il apparaît au contraire que le droit de la responsabilité civile en use de plus en plus et dans différents domaines.

171. Les quatre manifestations de la peine privée. A la lecture des données positives du droit

de la responsabilité civile514, il nous apparaît que la peine privée recouvre quatre manifestations. On entend par peine privée, en premier lieu, des dommages et intérêts punitifs, exemplaires ou

511 L. H

UGUENEY, L’idée de peine privée en droit contemporain, thèse Paris, 1904 ; B.STARCK, Essai d'une théorie

générale de la responsabilité considérée en sa double fonction de garantie et de peine privée, LGDJ, 1947 ; O.

ANSELME-MARTIN, La responsabilité civile délictuelle objective, Montpellier, 1991 ; S. CARVAL, La responsabilité

civile dans sa fonction de peine privée, th. préc.; A.JAULT, La notion de peine privée, LGDJ, coll. "Bibliothèque de droit privé", t. 442, préf.F.CHABAS, 2005 ; Faut-il moraliser le droit français de la réparation du dommage ? - A

propos des dommages et intérêts punitifs et de l'obligation de minimiser son propre dommage, colloque organisé par

la Faculté de droit de Paris 5, 21 mars 2002, in LPA, 20 nov. 2002, C. GRARE, Recherches sur la cohérence de la

responsabilité délictuelle, th. préc., n° 455 et s. sur l’introduction d’une action à fin d’expiation ; S. PIEDELIEVRE, « Les dommages et intérêts punitifs : une solution d’avenir ? », in La responsabilité à l'aube du XXIe siècle, bilan

prospectif, colloque organisé par la Faculté de droit et d'économie de l'Université de Savoie et le Barreau de l'Ordre

des avocats de Chambéry, 7 et 8 déc. 2000, in RCA, vol. 6 bis, juin 2001, not. p. 68.

512 Sur le lien entre dissuasion et prévention : « … de nombreux juristes (…) persistent à penser, à l’encontre d’un

courant doctrinal et jurisprudentiel favorable à la désincarnation de cette discipline, que le droit de la responsabilité puise son originalité dans son aptitude à sanctionner la violation de nombreuses règles de comportement et donc, à prévenir, par la dissuasion, la commission d’actes préjudiciables », S. CARVAL, La responsabilité civile dans sa

fonction de peine privée, th. préc., n° 2. L’expression « sanction répressive à finalité préventive « mettant en lien

deux caractères de la sanction en les hiérarchisant l’un par rapport à l’autre n’est pas inédite. V. JACOMET, Sanctions

civiles à caractère pénal, th. Paris, 1905.

513 E.D

REYER, "La faute lucrative des médias, prétexte à une réflexion sur la peine privée", JCP, G., I. 201, 2008,

pp. 22-26 ; Contra, S. CARVAL, La responsabilité civile dans sa fonction de peine privée, th. préc., n° 8, « (…) notre

droit de la responsabilité persiste à ménager une certaine place à l’objectif de punition dans des hypothèses où la réparation du dommage ne pâtit pas de cet état des choses ».

514 Au sens donné par M. Ghestin. J. G

encore majorés, par voie judiciaire ou conventionnelle à travers la clause pénale515, c’est-à-dire des dommages et intérêts évalués plus largement que la réalité préjudiciable du dommage516. Les dommages et intérêts sont ainsi surévalués afin de punir l’auteur du préjudice517. En deuxième

lieu, la notion de peine privée est quelquefois utilisée en doctrine pour désigner un certain assouplissement des conditions d’engagement de la responsabilité civile afin de retenir plus durement la responsabilité de l’auteur du préjudice en vue de le punir518. En ce sens, avant que l’Assemblée Plénière de la Cour de cassation ne vienne récemment y mettre un terme519, la deuxième Chambre civile520 considérait que certaines fautes de comportement du conducteur

d’un véhicule victime d’un accident de la circulation, telle la conduite en état d’ivresse, étaient réputées causales. En d’autres termes, la réduction voire la suppression de l’indemnisation du conducteur pourtant victime de l’accident lui confère « les caractères d’une peine privée »521. En troisième lieu, on peut déceler le caractère de peine privé dans certaines notions du droit des obligations lorsque leur régime s’attache à tirer des conséquences particulières à la mauvaise foi ou plus largement à la culpabilité de l’auteur du préjudice. C’est alors l’analyse du doyen Ripert du caractère pénal de la nullité pour vice de consentement522, la sanction d’agissements coupables que constitue le dol pour Starck523, le recel des biens de la communauté pour l’ensemble de la doctrine524 ou bien encore le refus des restitutions consécutives à l’application des adages Nemo auditur… et In pari causa… pour Mme Thibierge525. En dernier lieu, la peine

privée se manifeste par des mesures contraignantes telles que la diffusion de la condamnation civile dans la presse, le prononcé d’une astreinte, ou d’une amende civile. Ces quatre manifestations ne sont pas situées sur le même plan. La qualification de l’assouplissement des conditions d’engagement de la responsabilité civile en vue de punir l’auteur d’un préjudice nous

515 D.M

AZEAUD, La notion de clause pénale, LGDJ, coll. "Bibliothèque de droit privé", préf.F.CHABAS, 1992.

L’auteur soutient que « la clause pénale est une peine privée contractuelle qui, en cas de survenance d’un préjudice, se substitue à la réparation du droit commun tout en conservant sa spécificité », n° 496. V. également, les numéros 555 et suivants.

516 Les dommages et intérêts alloués à titre de peine privée sont depuis longtemps analysés par la doctrine. J.

TOURNIER, De la condamnation à des dommages-intérêts considérée comme moyen de contrainte et comme peine,

th., Montpellier, 1896.

517 M. FABRE-MAGNAN, Les obligations, op. cit., n° 242 ; Ph. BRUN, Responsabilité civile extracontractuelle, op.

cit., n° 13 et 14 ; G. VINEY et P. JOURDAIN, Traité de droit civil, Les effets de la responsabilité civile, op. cit., n° 4 à

6-5 ; F. TERRE, Ph. SIMLER et Y. LEQUETTE, Droit civil, Les obligations, op. cit., n° 661 ; Ph. LeTOURNEAU, Droit

de la responsabilité et des contrats, op. cit., n° 45.

518 En ce sens, S. P

IEDELIEVRE, « Les dommages et intérêts punitifs : une solution d’avenir ? », ibid.

519 Ass. Plen., 6 avr. 2007, D. 2007, AJ., p. 1199, obs. I. GALIMEISTER, et Jur., p. 1839, note H. GROUTEL ; JCP, G.,

2007, II, 10078, note P. JOURDAIN.

520 Civ. 2e, 4 juill. 2002, Bull. civ. II, n° 151 ; D. 2003. Jur. 859, note H. G

ROUTEL ; RTD civ. 2002. 829, obs. P.

JOURDAIN ; 10 mars 2004, Bull. civ. II, n° 96 ; D. 2004. IR. 1069 ; 13 oct. 2005, RCA 2005, comm. n° 348, obs. H.

GROUTEL.

521 Ph. BRUN, D. 2007, p. 2897. 522 G. R

IPERT, la règle morale, 3ème éd., p. 305, cité par B. Starck, STARCK, Essai d'une théorie générale de la

responsabilité considérée en sa double fonction de garantie et de peine privée, op. cit., p. 367.

523 B. STARCK, ibid. 524 A. J

AULT, La notion de peine privée, op. cit., n° 178 et s.

525 C.T

semble faire appel à un sens figuré de la notion de peine privée. Quant à la troisième manifestation, les peines privées résultant du régime particulier de certaines notions en droit des obligations, elles opèrent une confusion entre fonction moralisatrice et fonction punitive de la responsabilité que nous allons présenter infra. Au sens propre, en tant que sanction juridique et pour demeurer dans son étude exclusivement technique, seuls les dommages et intérêts majorés et les mesures de contrainte retiendront notre attention.

172. Nous présenterons, en premier lieu, l’étendue (§1) et, en second lieu, les caractères propres

(§2) aux manifestations préventives de la réparation dissuasive du dommage.

§1. L’étendue des manifestations préventives de la réparation dissuasive du dommage

173. Domaine. Prononcées sous la forme de dommages et intérêts majorés, les peines privées

recouvrent un ensemble vaste de manifestations. Déjà en 1983, M. Chartier dénombrait l'existence de peines privées en droit des marques, en droit des donations, en cas de recel, ou de contrefaçon526. Dans sa thèse, Mme Carval distinguait les peines privées prononcées pour moraliser l’ordre économique de celles imposées pour la protection de la personne humaine527. Enrichie d'une profonde réflexion de droit comparé, l'étude de l'auteur mit à jour l'ampleur du domaine de la peine privée en responsabilité civile. Nous souhaiterions néanmoins introduire deux nouvelles distinctions que les développements suivants illustreront en détail.

174. Fonction punitive et fonction moralisatrice. En effet, contrairement à la position de Mme

Carval528, notre lecture du droit fait ressortir que la fonction punitive ou dissuasive de la responsabilité civile ne doit pas être confondue avec sa fonction moralisatrice. Il appert de la recherche jurisprudentielle qui suit, que les dommages et intérêts majorés ne coïncident pas exactement avec l'existence d'une faute ou la volonté de dissuader pour l’avenir. Il faut bien distinguer différentes formes de peine privée : les dommages et intérêts majorés, d’une part, et les dommages et intérêts symboliques, d’autre part. Au sens strict, la peine privée prononcée sous la forme de dommages et intérêts majorés assure une fonction dissuasive par la volonté de rendre coupable l’auteur du préjudice aux yeux de la victime. Au sens large, la peine privée prononcée sous la forme de dommages et intérêts symboliques ou par la diffusion de la condamnation assure une fonction moralisatrice par la volonté de stigmatiser l’attitude de l’auteur du préjudice aux yeux de la société. Il y a certes une dimension morale dans les dommages et intérêts majorés, mais elle est seconde. Ce qui relie la fonction punitive et la

526 Y. C

HARTIER, La réparation du préjudice, th. préc., n° 506.

527 S. CARVAL, La responsabilité civile dans sa fonction de peine privée, th. préc.

528 « La leçon est donc claire : un système de droit peut fort bien soustraire sa responsabilité civile à l’emprise

hégémonique de la faute sans, pour autant, renier en bloc les racines morales de cette discipline. Il lui suffit simplement de prendre en considération le fait que la condamnation à réparer, prise en charge par un assureur, ne peut plus jouer le rôle punitif qui a été le sien et donc forger à cet effet d’autres sanctions, qui pourront prendre la forme de peines privées », ibid., n° 16. Les soulignés sont de nous et mettent en lumière le glissement opéré de la fonction moralisatrice à la fonction punitive.

fonction moralisatrice réside dans ce qu’elles sont deux dimensions de la prévention. Tandis que la première dissuade concrètement par le poids d’une réparation dissuasive, la seconde dissuade abstraitement par le poids d’une contrainte préventive. La peine privée est la sanction de la

dimension dissuasive de la prévention en responsabilité civile529.

175. Réparation dissuasive du préjudice et répression préventive du préjudice. Ainsi

distingués de la fonction moralisatrice, les dommages et intérêts majorés révèlent l'existence d'une réparation dissuasive des conséquences matérielles du dommage : dissuader le

responsable de commettre à nouveau un dommage. Par l'entremise de la fonction punitive de la

responsabilité civile, la peine privée est prononcée sous la forme de dommages et intérêts majorés. La peine privée ne peut donc pas être conçue comme l'antithèse de la réparation en responsabilité civile530. La sanction possède alors une nature réparatrice qui n’épuise pas toutes les manifestations de la peine privée. La dernière manifestation de la peine privée, les mesures contraignantes, parce qu’elle ne se substitue pas à la réparation mais s’y adjoint, est une véritable sanction de nature répressive ayant pour finalité la prévention. Et ce sont alors concrètement les amendes civiles et les astreintes. Dans leur cas, il s’agit de réparation dissuasive des

conséquences juridiques du dommage : forcer la réparation allouée pour l’accélérer et punir le responsable. Dès lors, il convient de présenter, en premier lieu, l'ensemble des manifestations de

la réparation dissuasive des conséquences matérielles du dommage prononcées sous la forme de dommages et intérêts majorés (A) pour mieux faire apparaître, en second lieu, le domaine véritable de ces manifestations par l’étude de deux types de peine privée consacrée par le législateur et abondamment prononcées par le juge de la responsabilité civile : l'astreinte et l’amende civile qui forment le domaine de la réparation dissuasive des conséquences juridiques du dommage (B).

A. L’allocation de dommages et intérêts majorés à titre de peine privée pour la réparation dissuasive des conséquences matérielles du dommage

176. Telles que Mme Carval les a étudiées, les peines privées concernent tout autant les atteintes à la personne (1) qu’à l’ordre économique (2). Il est intéressant de revisiter cette présentation à l’aune des dix années qui se sont depuis lors écoulées.

529 En ce sens, un auteur américain a soutenu que c’était l’effet préventif qui était recherché par la double fonction

de rétribution et de dissuasion de la peine privée. D. G. OWEN, « Punitive damages in products liability litigation »,

74, Michigan Law Review, 1976, 1259.

530 Dans son étude de la clause pénale, M. Mazeaud montre néanmoins que l’histoire de cette notion tend à montrer

que la réparation et la peine privée sont des qualifications juridiques exclusives l’une de l’autre, D. MAZEAUD, La

1. Manifestations des dommages et intérêts majorés pour la réparation dissuasive des atteintes à la personne humaine

177. Les dommages et intérêts majorés pour la réparation dissuasive des atteintes aux droits de la personnalité. Les actions en diffamation ou contre les atteintes à la vie privée sont

des manifestations de la notion de peine privée clairement reconnues par la doctrine531. Délaissant la responsabilité pénale soumise à un régime juridique plus strict532, les victimes d'une

atteinte au droit de la personnalité préfèrent agir sur le fondement de l'article 1382 du Code civil en cas de propos diffamant ou sur le fondement de l'article 9 du Code civil en cas d'atteinte à l'intimité de la vie privée. Tant au fond qu’en référé533, la tendance jurisprudentielle des trente

dernières années dénote une augmentation de valeur constante de l'indemnité octroyée à la victime534. Certaines décisions insistent sur le caractère fructueux des fautes commises pour

évaluer plus durement le quantum des dommages et intérêts535. En effet, les dommages et intérêts sont majorés en cas d'atteinte au droit de la personnalité en présence d'une faute lucrative536. La faute lucrative, présente à l'article 1371 du rapport Catala, est définie par Mme

Viney, comme « une faute dont les conséquences profitables pour son auteur ne seraient pas neutralisées par une simple réparation des dommages causés »537. La common law anglaise a également recours à la notion de faute lucrative538. Cependant, on notera une évolution importante. La faute lucrative ne suffit plus à engager une réparation punitive du préjudice ; la

common law anglaise requiert désormais la preuve que le défendeur a exactement calculé le bien

qu'il pourrait retirer de son acte539. Le droit québécois recours également à la notion de faute lucrative lorsque la Charte des droits et libertés est mise en œuvre par les tribunaux540. L’article

49 alinéa 2 introduit l’idée de peine privée en responsabilité civile non sans provoquer une révolution541. La question de la faute est donc importante. On constate, en droit français, que

531 P. KAYSER, « Remarques sur l’indemnisation du dommage moral dans le droit contemporain », Etudes offertes à

Jean Macqueron, Faculté de droit et des sciences économiques d’Aix-en- Provence, 1970, pp. 411 et s., spéc. n°

18 ; du même auteur, La protection de la vie privée par le droit, Economica, 1995, préf. H. MAZEAUD, n° 201 ; R.

LINDON, note sous CA Paris, 26 avr. 1983, D. 1983, Jur. p. 376.

532 S. CARVAL, La responsabilité civile dans sa fonction de peine privée, th. préc., n° 24. 533 Art. 808 et 809 CPC.

534 S. C

ARVAL, La responsabilité civile dans sa fonction de peine privée, th. préc., n° 29.

535 Paris, 4 janv. 1998, D. 1989, somm. p. 92, obs. AMSON ; Versailles, 23 sept. 1999, CCE, 2000, comm., n° 25.

Contra, TGI, 5 mai 1999, D., 2000, 269, note A. LEPAGE.

536 E. D

REYER, "La faute lucrative des médias, prétexte à une réflexion sur la peine privée", ; D. FASQUELLE,

« L’existence de fautes lucratives en droit français », in Faut-il moraliser le droit français de la réparation du

dommage ? - A propos des dommages et intérêts punitifs et de l'obligation de minimiser son propre dommage, in op. cit., p. 27 ; D. FASQUELLE et R. MESA, « Les fautes lucratives et les assurances de dommages », RGA, 2005, p. 351

et s. ; L. GRYNBAUM, « Une illustration de la faute lucrative » : le « piratage » de logiciel », D. 2006, p. 655.

537 G. VINEY, projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription du 22 sept. 2005, p. 148. 538 Rookes v. Barnard, (1964), A. C., p. 1129.

539 S. C

ARVAL, La responsabilité civile dans sa fonction de peine privée, th. préc., n° 30.

540 Ibid., n° 68 et s.

541 L. PERRET, « De l’impact de la Charte des droits et libertés de la personne sur le droit civil des contrats et de la

responsabilité au Québec », RGD 1981, p. 131, not. p. 168. V. également, M. CARON, « Le droit à l’égalité dans le

« les juges du fond proportionnent souvent l'indemnité, non seulement à l'étendue du préjudice, mais aussi à la gravité de la faute »542. Or, convient-il de retenir une faute intentionnelle ou seulement une faute lourde ? Si la faute intentionnelle semble plus proche de l'esprit de la peine privée, la faute lourde permettrait de l’accueillir plus largement dans les différents contentieux de la responsabilité civile543. Cependant, la jurisprudence ne nous offre pas de réponse à ce sujet

puisque les juges ne peuvent motiver leur raisonnement en termes de peine privée mais doivent, pour échapper à la censure de la Cour de cassation544, se retrancher derrière leur pouvoir souverain d'appréciation545.

Ainsi, le droit français fait une place importante aux dommages et intérêts majorés pour

punir les auteurs de propos diffamants ou d’actes attentatoires à l’intimité de la vie privée. Si le

droit anglais et le droit québécois les accueillent plus largement qu’au sein de ces deux actions délictuelles, le droit français n’est pas en reste tant en ce qui concerne son usage masqué dans la jurisprudence actuelle que par l’accueil de plus en plus favorable de la doctrine contemporaine546. Les dommages et intérêts majorés pourraient alors être prononcés dans d’autres domaines, comme celui des atteintes graves au vivant547 ou celui des atteintes à l’intégrité corporelle.

178. Les dommages et intérêts majorés pour la réparation dissuasive des atteintes à l’intégrité corporelle. Telle qu’en common law américaine, les dommages et intérêts pourraient

être alloués sous forme de peine privée à l’encontre des fabricants de produits défectueux et ainsi venir réparer une atteinte à l’intégrité corporelle. La transposition de la directive européenne aux articles 1386-1 et suivants du Code civil ne s’est pas faite en ce sens. L’article 1386-13 du même Code dispose que la responsabilité du fabricant peut être réduite ou supprimée mais n’envisage pas qu’elle puisse être aggravée. Bien au contraire, la France s’est battue pour que la réparation soit intégrale mais il demeure possible pour les autres Etats membres de prévoir une limitation globale de la responsabilité des fabricants548. On est loin de l’esprit de la peine privée ! Néanmoins, il faut rappeler que l’introduction de la peine privée dans le contentieux américain ne s’est pas fait facilement. Non seulement le législateur ne la prévoyait pas, mais la Cour Suprême ne l’a retenue qu’après l’instauration d’un vif et long débat dans la doctrine549. La difficile intégration du concept de dommages exemplaires en droit québécois » in Responsabilité civile et

dommages : une constante évolution ; actes du colloque de l’Institut Canadien, 7 déc. 1990, doc. IX.

542 P. K

AYSER, art. préc., n° 17 et 18.

543 S. PIEDELIEVRE, « Les dommages et intérêts punitifs : une solution d’avenir ? », op. cit., n° 11.