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LA RECHERCHE DES MANIFESTATIONS PREVENTIVES DE LA RESPONSABILITE CIVILE

SECTION 1. Les manifestations préventives de la réparation anticipée du dommage

exclue ? Existe-il des réparations ayant une finalité ou un caractère préventif ? En quoi de telles réparations se rapprocheraient-elles des mesures d’anticipation et de cessation de la réalisation du dommage ?

112. Hypothèse. Un premier tour d’horizon permet de voir que la réparation du préjudice n’est

pas seulement mise en œuvre pour réparer strictement un dommage réalisé. La théorie de la responsabilité a intégré la réparation du dommage futur admise en jurisprudence. La réparation de ce dernier est conçue comme une exception si la preuve du caractère certain du préjudice est rapportée. Nous émettons l’hypothèse qu’il existe d’autres cas de réparation préventive du préjudice. On pourrait alors rapprocher deux formes de réparation préventive : la réparation par anticipation d’un dommage qui, matériellement, n’a pas encore eu lieu et la réparation par dissuasion d’un dommage afin qu’il ne soit pas imité ou réitéré.

113. Il convient dès lors de préciser ce que recouvrent, d’une part, les manifestations préventives

de la réparation anticipée du dommage (Section 1) et, d’autre part, les manifestations préventives de la réparation dissuasive du dommage (Section 2) afin d’induire pour chacune d’elles leurs caractères propres et de rechercher la spécificité de leurs conditions par rapport aux trois conditions traditionnellement exigées pour la réparation du préjudice.

SECTION 1. Les manifestations préventives de la réparation anticipée du

dommage

114. Dommages et intérêts et réparation anticipée. Les dommages et intérêts ne sont pas

systématiquement des indemnités octroyées a posteriori. Si le dommage n’est pas encore

382 En ce sens, v. le traité de droit civil sous la direction de Jacques Ghestin qui, dans son troisième tome sur les

effets de la responsabilité, dépeint à grands traits ce que nous avons développé dans le chapitre précédent. G. VINEY

et P. JOURDAIN, Traité de droit civil, Les effets de la responsabilité civile, op. cit., n° 7 et s. Ce qui n’empêche pas

les auteurs de constater la dimension préventive des sanctions classiques que sont les dommages-intérêts : « Parfois, les dommages et intérêts sont destinés à financer les mesures permettant la disparition du risque. (…) Ces solutions montrent combien l’idée de prévention est aujourd’hui présente dans le droit de la responsabilité civile », G. VINEY

survenu, ou, si ses conséquences ne sont pas encore advenues, une réparation anticipée383 peut être demandée par une action en responsabilité civile. Concrètement, il s’agit d’octroyer des dommages et intérêts en cas de risque de dommage, de dommage futur et d’exposition à un risque – exemples soumis à notre étude.

115. Cette réparation anticipée vise les hypothèses où le préjudice est admis alors que l’atteinte matérielle ne s’est pas produite384. Il s’agit ainsi de réparer par anticipation le dommage alors que ses conséquences juridiques sont d’ores et déjà admises. L’hypothèse inverse n’est pas à exclure, bien au contraire. En effet, dans certains cas, l’atteinte matérielle peut être réparée alors que ses conséquences juridiques ne sont pas encore définitivement admises comme préjudiciables. Il s’agit concrètement d’allouer des dommages et intérêts provisionnels ou des dommages et intérêts moratoires en présence d’un dommage réalisé qui n’est pas encore préjudiciable juridiquement à la victime. Autrement dit, la première réparation anticipée a pour objet les conséquences matérielles du dommage tandis que la seconde a pour objet les conséquences juridiques du dommage.

116. Ainsi présenté, la réparation anticipée pourrait apparaître comme un principe clair. Or, il n’en est pas exactement ainsi. La notion de dommages et intérêts rend compte d’une pluralité d’emploi préventif. Il convient de rechercher ce qui particularise cette sanction propre à la responsabilité civile lorsqu’elle est prononcée pour la réparation anticipée des conséquences matérielles du dommage, d’une part (§1), et pour la réparation anticipée des conséquences juridiques du dommage, d’autre part (§2) en tâchant de montrer, notamment pour cette dernière, les insuffisances d’une telle approche.

§1. Les dommages et intérêts prononcés pour la réparation anticipée des conséquences matérielles du dommage

117. La réparation anticipée des conséquences matérielles du dommage porte sur deux objets. D’une part, des dommages et intérêts peuvent être octroyés par anticipation du dommage futur (B), d’autre part, des dommages et intérêts peuvent être prononcés par anticipation de l’exposition à un risque (C). La réparation anticipée peut également être prononcée en amont du dommage en portant sur le risque de dommage (A).

383 L’expression de « réparation anticipée » ne s’évince ni du droit positif ni de la doctrine. Dans le même sens, on

peut néanmoins citer les propos de M. Chartier sur le dommage futur : « Mais ce dommage futur peut aussi être

indemnisé par avance, avant même de se réaliser, dans la mesure où la certitude est assez grande qu’il se

concrétisera », Y.CHARTIER, La réparation du préjudice, Dalloz, coll. "Connaissance du droit", 1996, n° 15, p. 22, les soulignés sont de nous. Au-delà de la doctrine du droit de la responsabilité civile, l’expression « réparation anticipée » se retrouve dans la thèse de M. A. BOUJEKA, La provision : essai d'une théorie générale en droit

français, LGDJ, coll. "Bibliothèque de droit privé", t. 349, préf.A.BENABENT, 2001, n° 170. Adde, infra, n° 156.

384 Nous prendrons à notre compte la distinction entre le dommage et le préjudice pour conceptualiser ce

A. Les dommages et intérêts prononcés pour la réparation anticipée du risque de dommage

118. Les dépenses défrayées pour éviter la survenance d’un risque de dommage ne sont pas toujours indemnisées (1). Si elles sont bienvenues en doctrine, cette dernière plaide pour que leurs caractères propres soient de véritables conditions (2).

1. Les dommages et intérêts prononcés pour la réparation anticipée des dépenses destinées à prévenir un risque de dommage

119. Refus de la réparation anticipée du risque de dommage dans le domaine de la santé.

Certains juges du fond ont déjà admis que les dépenses occasionnées par des patients, de leur propre chef, pour éviter la survenance d’un dommage constituaient un préjudice réparable. En ce sens, un arrêt de la Cour d’Appel de Lyon avait indemnisé le patient de ses frais d’intervention des suites de sa volonté de se faire retirer une sonde cardiaque défectueuse lui faisant courir un risque mortel385. La même Cour avait pourtant refusé dans le même cas l’indemnisation en raison de la décision prise d’une surveillance médicale accrue des porteurs de sondes. Cette surveillance mise en place aurait pu suffire si certains patients n’avaient pas décidé de se faire explanter la sonde. La Cour de cassation jugea en ce sens386. Elle considéra que le patient s’étant fait explanter la sonde à titre préventif avait été soumis à un risque qui ne s’était pas réalisé, et que, dès lors, son préjudice étant éventuel, il ne pouvait être réparé. Elle censura néanmoins l’arrêt d’appel en reconnaissant un préjudice moral. Cette solution ne manqua pas de faire réagir la doctrine. Comme le note M. Jourdain, « prétendre, pour rejeter les demandes, que ces préjudices ont un caractère éventuel est plutôt injurieux pour les victimes. (…) La vraie question tenait à l’existence du lien de causalité entre la défectuosité des sondes et les préjudices résultant de l’intervention chirurgicale que la victime avait décidée : cette initiative de la victime avait-elle pour effet de rompre le lien de causalité ? »387. Et M. Jourdain de poursuivre en rappelant que si

l’initiative de la victime ne découle pas directement du fait générateur, alors elle rompt la chaîne des causes et ne peut être indemnisée. Ce qui ne semblait pas être le cas en l’espèce selon lui.

120. Accueil de la réparation anticipée du risque de dommage dans les rapports de voisinage. La Cour de cassation ne procède pas au même raisonnement en matière de voisinage.

Un premier arrêt exprime assez clairement la dette de réparation pesant sur le propriétaire d’un fonds des mesures prises pour éviter un risque de dommage388. En l’espèce, le maire de la commune, face à la « défaillance » du propriétaire, avait pris un arrêté afin de procéder aux travaux de ravalement d’une façade naturelle dont un rocher menaçait de tomber. Le propriétaire,

385 CA Lyon, 8 juin 2006, RCA 2006, comm. 305, obs. Ch. R

ADE.

386 Civ. 1ère, 19 déc. 2006, JCP, G., 2007, II, 10052, note S. HOCQUET-BERG, RCA 2007, comm. 64, obs. Ch. RADE,

RTD civ., avr/juin 2007, chron. P. JOURDAIN, p. 352.

387 P. J

OURDAIN, note préc., p.353.

388 Civ. 1ère, 28 nov. 2007, Bull. civ. 2007, I, n° 372, JCP, G., 2008, I, 125, n° 7, obs. Ph. S

invité à indemniser la commune de ses frais, soutint dans son pourvoi que l’obligation légale de la commune tirée de l’article L. 2212-4 du Code général des collectivités territoriales laissait à la charge de cette dernière les mesures prises par elle. La Cour de cassation rejeta cet argument en prenant bien soin de caractériser la faute de négligence du propriétaire dans son défaut de prendre les mesures à même de faire cesser le risque dont la réalisation était imputable. Cette jurisprudence a été confirmée toujours à propos d’un risque d’éboulement d’une falaise mais entre deux propriétaires privés389. Les travaux occasionnés par le premier propriétaire laissaient courir un tel risque selon son voisin. Ce dernier demanda l’indemnisation des frais d’installation d’une « parade confortative » qu’il avait dû réaliser pour prévenir ce risque. La Cour fit droit à sa demande dans la mesure où le risque était bien certain et où les dépenses étaient bien réelles.

Les dépenses destinées à prévenir un risque de dommage sont de plus en plus indemnisées par la jurisprudence. Cette réparation anticipée présente des caractères propres que la doctrine a davantage sériés que la Cour de cassation.

2. Les caractères propres aux dommages et intérêts prononcés pour la réparation anticipée des dépenses destinées à prévenir un risque de dommage

121. La responsabilité civile ne répare pas les dommages hypothétiques390 et tel n’est pas le cas des mesures destinées à prévenir un risque de dommage dans la mesure où elles sont réelles et qu’elles constituent de ce fait un préjudice réparable. De lege lata, la jurisprudence étant récente et assez sporadique, les conditions nécessaires pour que telles mesures préventives soit indemnisées ne sont pas clairement identifiées par la Cour de cassation. La doctrine plaide en revanche pour que les dépenses soient raisonnables et que la réalisation du dommage soit imminente. L’article 1344 du rapport Catala dispose ainsi que : « les dépenses exposées pour prévenir la réalisation imminente d’un dommage ou pour éviter son aggravation, ainsi que pour en réduire les conséquences, constituent un préjudice réparable, dès lors qu’elles ont été raisonnablement engagées »391.

122. De lege ferenda, cette proposition semble donc être plus stricte que le droit positif. Dans les

espèces étudiées, il n’était pas requis que le risque de dommage soit imminent. Le caractère proportionné des dépenses effectuées, en revanche, ne fait pas de doute. La réparation apparaît bien anticipée dans la mesure où le dommage final ne s’est pas réalisé. Au contraire, le dommage intermédiaire résidant dans les frais occasionnés pour éviter le dommage final, est réparé compte tenu de cet objectif. La prévention se retrouve ainsi paradoxalement au cœur de la réparation.

389 Civ. 2ème, 15 mai 2008, RCA 2008, comm. 214, obs. Ch. R

ADÉ, JCP, G., 2008, I, 186, n° 1, obs. Ph. STOFFEL-

MUNCK, RTD civ. 2008, chron. P. JOURDAIN, p. 679.

390 Civ. 3ème, 14 fév. 2007, Bull. civ. III, n° 23, RDI, 2007, 247, obs. F.-G. TREBULLE. 391 P. C

ATALA, et alii, Rapport sur l’avant-projet de réforme du droit des obligations, La Documentation française,

Le droit positif connaît plus traditionnellement de la réparation anticipée à travers l’admission de la réparation du dommage futur.

B. Les dommages et intérêts prononcés pour la réparation anticipée du dommage futur

123. Paradoxe. Le dommage futur est réparable en droit de la responsabilité civile. L’hypothèse

pourrait sembler paradoxale pour qui ne distingue pas le dommage du préjudice392. En effet, la réparation anticipée consiste, dans cette hypothèse, à indemniser un préjudice alors qu’il n’existe pas, ce qui, au sens strict pour les mêmes auteurs, est contraire à l’exigence qu’ils ont de l’existence d’un préjudice pour engager une action en responsabilité. Bien au contraire, la réparation anticipée se fonde selon nous sur un préjudice existant. Ce qui est futur, c’est le dommage, c’est-à-dire le fait, et non ses conséquences en droit que ce dernier prend en compte avant sa réalisation. La réparation anticipée du dommage se définit alors comme la réparation

du préjudice certain dont le dommage n’est pas encore réalisé.

La découverte de dommages et intérêts prononcés pour la réparation anticipée du dommage futur ne se vérifie qu’en cas de préjudice certain (1). Lesdits dommages et intérêts présentent dès lors des caractères qui leur sont propres (2).

1. Des dommages-intérêts prononcés pour la seule réparation du préjudice certain

124. La jurisprudence distingue le dommage futur du dommage éventuel (a). Seul le premier est réparable. Toutefois, cette distinction n’est pas purement conceptuelle. Elle recouvre une frontière fondée sur le caractère certain du préjudice soumis à l’appréciation judiciaire (b).

a. La distinction entre le dommage futur et le dommage éventuel

125. Principe. Il est reconnu tant en doctrine393 qu’en jurisprudence394 que le préjudice dont le dommage ne s’est pas encore réalisé peut être réparé. La réparation anticipe la réalisation du

392 Sur la distinction entre le dommage et le préjudice, Cf. infra, n° 458.

393 H.- L. MAZEAUD et A. TUNC, Traité de la responsabilité civile, t. I, 6è éd., n° 216 ; Y. CHARTIER, La réparation

du préjudice, Dalloz, 1983, n° 15 et s., G. VINEY et P. JOURDAIN, Traité de droit civil, Les conditions de la

responsabilité, op. cit., n° 275 et s., F. TERRE, Ph. SIMLER et Y. LEQUETTE, Droit civil, Les obligations, op. cit., n°

670 ; M. FABRE-MAGNAN, Les obligations, , n° 258 ; Ph. BRUN, Responsabilité civile extracontractuelle, op. cit., n°

228 et s.

394 Com. 19 juill. 1971, D., 1972, somm. p. 62 ; Crim., 23 nov. 1971, D., 1972, p. 225, rapport LECOURTIER ; Civ.

2ème, 3 nov. 1971, D., 1972, p. 666, note Ch. L

APOYADE-DESCHAMPS ; Crim., 7 janv. 1975, JCP, G., 1975, IV, p.

58-59 ; CA Orléans, 23 oct. 1975, JCP, G., 1977, II, 18653, note Ph. LeTOURNEAU ; Civ. 2ème, 14 févr. 1985, Bull.

civ., II, n° 41 ; Crim., 7 juin 1989, Bull. crim., n° 245 ; Civ., 1ère, 16 juin 1998, Bull. civ., I, n° 216 ; D. aff., 1998, p.

1356 ; Contrats, concurr. consom., 1998, comm. n° 129, obs. L. LEVENEUR, CA Lyon, 25 nov. 2004, RCA, 2005,

dommage mais pas le préjudice. L’arrêt de principe date de 1932395. Un couple souhaitait obtenir réparation du préjudice causé par l’obligation légale de supporter l’installation d’une ligne téléphonique sur leur fonds terrestre. En outre, il requérait la réparation anticipée des dommages inévitablement engendrés par l’entretien et le fonctionnement futur de la ligne sur leur propriété. L’arrêt de la Cour de cassation leur octroya des dommages et intérêts en motivant le principe de la réparation anticipée sur l’existence d’un préjudice certain mais non éventuel.

La distinction entre le dommage futur et le dommage éventuel réside ainsi dans la seule admission de la réparation du premier. Le dommage futur est celui qui existe déjà « en puissance »396 dans la mesure où « la certitude est assez grande qu’il se concrétisera »397. La distinction repose ainsi sur un critère qui est celui de la certitude de la réalisation du dommage. Deux conditions s’y ajoutent.

126. Conditions. L’arrêt de cassation imposa également deux conditions au principe de la

réparation anticipée du dommage futur. L’arrêt de principe cité supra exige que le dommage futur soit la prolongation certaine d’un état de choses actuel, d’une part, et qu’il soit susceptible d’estimation immédiate, d’autre part. La première condition apparaît comme une définition précise du dommage futur. Le dommage futur est une prolongation certaine dans le futur d’un fait actuel. Autrement dit, cette définition semble restreindre le dommage futur au préjudice actuel ayant des conséquences dans l’avenir qu’il convient de prendre en compte par un seul jugement statuant sur le principe de la réparation. Le dommage futur est réparable s’il est un préjudice continu. Ce qui est donc anticipé n’est pas tant la réalisation d’un dommage futur que les conséquences futures d’un préjudice actuel au motif bien admis que « l’aléa qui affecte le

quantum du dommage ne doit pas faire obstacle à l’admission du principe de la réparation »398. Cette première condition, véritable définition du dommage futur, semble ainsi restreindre ce dernier aux hypothèses d’indemnisation des conséquences futures des dommages. La seconde condition va également dans le sens d’une conception stricte du dommage futur. Ce dernier doit être susceptible d’estimation immédiate pour être réparé. Ainsi énoncé par la Cour, cette condition ne permet pas de largesse dans la prévision judiciaire.

Ces conditions historiques cernent ainsi strictement le principe de la réparation anticipée du dommage. Leur évolution tend à prouver que la frontière entre le dommage futur et éventuel s’est déplacée.

395 Civ. 27 nov. 1844, S. 1844, 1, p. 211 ; D. 1845, 1, p. 13 ; Req. 20 févr. 1849, D. 1849, 1, p. 148 ; Civ., 1er Juin

1932, S., 1933, 1, p. 49, note. H. MAZEAUD ; D., 1932, 1, p. 102, rapport PILON ; Gaz. Pal., 1932, 2, p. 363.

396 Y. CHARTIER, La réparation du préjudice, op. cit., n° 15, p. 22. 397 Ibid.

398 G. V

b. La frontière entre le dommage futur et le dommage éventuel

127. Deux éléments concourent à concevoir la distinction entre le dommage futur et le dommage éventuel en termes de frontière399. Le premier élément a trait au caractère certain. Le second élément a trait à l’évolution des conditions nécessaires au principe de la réparation anticipée.

128. Du caractère certain du préjudice. La doctrine prête traditionnellement trois caractères au

préjudice400. Celui-ci doit être certain, direct et légitime401. Toutefois, certains auteurs estiment que le caractère certain du préjudice est redondant de la preuve de son existence402. La jurisprudence de la Cour de cassation exige parallèlement que le dommage doive exister403 et

que le demandeur de la réparation en apporte la preuve – le critère de la certitude s’appréciant dès lors par rapport à la personne de ce dernier404. Le caractère certain du préjudice n’est donc

pas un caractère particulier. Un auteur a pu démontrer justement qu’il était complémentaire de l’exigence d’actualité du préjudice405. Selon nous, le caractère certain est également redondant de cette exigence d’actualité. Tel que l’écrivaient MM. Flour et Aubert, « l’exigence de l’actualité ne fait que renforcer celle de la certitude »406. Le caractère certain est une condition négative ; c’est l’assurance que le dommage n’est pas hypothétique407. D’ailleurs, c’est ce que requiert l’arrêt de principe par sa première condition, celle de la prolongation certaine d’un état de chose actuel. La jurisprudence refuse en effet de réparer des dommages purement hypothétiques tels que la suppression éventuelle d’une pension d’invalidité408. En outre, l’évolution des conditions

posées par cet arrêt nécessite de reconsidérer le caractère certain du préjudice.

399 Certains auteurs font référence à l’existence de cette frontière. Ph. BRUN, Responsabilité civile

extracontractuelle, op. cit., n° 227 parlant de « ligne de partage » ; Y. CHARTIER, La réparation du préjudice, op.

cit., n° 20, p. 28, « la frontière n’est pas toujours simple à tracer » ; G. VINEY et P. JOURDAIN, Traité de droit civil,

Les conditions de la responsabilité, op. cit., n° 276, « La frontière entre le dommage "virtuel ou potentiel", qui est

jugé certain, donc réparable, et le dommage "éventuel", qui ne l’est pas, est en effet très floue ».

400 En ce sens, F. T

ERRE, Ph. SIMLER et Y. LEQUETTE, Droit civil, Les obligations, op. cit., ainsi que M. FABRE-

MAGNAN, Les obligations, op. cit.

401 Civ. 1ère, 2 avr. 1997, RCA, 1997, n° 236, p. 17.

402 M.BRUSCHI, "Les caractères du préjudice", in Lamy Droit de la responsabilité, D. MAZEAUD (dir.), n° 218 ;

G.VINEY et P. JOURDAIN, Traité de droit civil, Les conditions de la responsabilité, op. cit., n° 275 ; Y. CHARTIER,

La réparation du préjudice, op. cit., n° 17 ; L.REISS, Le juge et le préjudice. Etude comparée des droits français et

anglais, PUAM, préf.PH.DELEBECQUE, 2003, n° 82 et s. Contra – X. PRADEL, Le préjudice dans le droit civil de la