• Aucun résultat trouvé

Le contentieux du fait des médicaments défectueux Par ailleurs, les juridictions du fond

LA RECHERCHE DES MANIFESTATIONS PREVENTIVES DE LA RESPONSABILITE CIVILE

SECTION 1. L’anticipation de la réalisation du dommage

70. Le contentieux du fait des médicaments défectueux Par ailleurs, les juridictions du fond

sont depuis ces dernières années réceptives aux potentialités du principe de précaution en cas de responsabilité du fait des médicaments défectueux. En l’état actuel de nos connaissances, il n’est pas scientifiquement établi que certains médicaments comme le distilbène261, l’hormone de croissance262, l’isoméride263, le cholchimax et le zyloric264 ou que certains vaccins comme

l’engerix B265 soient à l’origine de maladies graves comme le syndrome de Lyell, le cancer du vagin ou la sclérose en plaque. Les juges du fond ont néanmoins tendance à considérer qu’il existe un risque faible que les expertises n’excluent pas. En l’absence de lien de causalité établissant avec certitude l’origine médicamenteuse du dommage, les juridictions retiennent un ensemble de présomptions suffisamment graves, précises et concordantes. Ce faisant, elles appliquent le principe de précaution sur l’une des trois conditions d’engagement de la responsabilité : le lien de causalité.

70-1. La position favorable des juges du fond. En ce sens, la Cour d’appel de Versailles266 a confirmé le jugement rendu par le Tribunal de grande instance de Nanterre267 condamnant le

258 Egal. en ce sens, F. ROME, « La guerre des ondes », D. 2009, Editorial, p. 793.

259 M. BOUTONNET, « Le risque, condition « de droit » de la responsabilité civile, au nom du principe de

précaution ? », note préc., p. 820.

260 TGI Créteil, 11 Août 2009, Puybaret et a. c/ SA Orange France, Jurisdata n° 2009-007359. Auparavant, TGI

Angers, 5 mars 2009, JCP, G. 2009, II, 10099, note J.-V. Borel.

261 CA Versailles, 30 avr. 2004, SA UCB Pharma c/ Bobet, comm. P.-L. NIEL, « L’affaire du Distilbène : un

nouveau pas vers une application du principe de précaution en matière de responsabilité civile », LPA, 22 juin 2005, n° 123, p. 22, Civ. 1ère, 7 mars 2006, UCB Pharma, comm. 164, Ch. RADE, RCA, mai 2006, p. 14 ; chron. P.

JOURDAIN, RTD civ., juill./sept. 2006, p. 565.

262 Civ. 1ère, 24 janv. 2006, Institut Pasteur c/ Raymonde X. et autres, comm. 89, Ch. R

ADE, RCA, 2006 ; P.

JOURDAIN, RTD civ., avril/juin 2006, p. 323, JCP, G., n° 21-22, 24 mai 2006, II, 10082, note. L. GRYNBAUM.

263 Civ. 1ère, 24 janv. 2006, Laboratoire Servier c/ X., comm. 90 Ch. RADE, RCA, 2006 ; P. JOURDAIN, RTD civ.,

avril/juin 2006, p. 323 ; JCP, G., n° 21-22, 24 mai 2006, II 10082, note. L. GRYNBAUM.

264 Civ. 1ère, 5 avr. 2005, Sté Glaxosmithkline c/ Carro et a. et SA Laboratoire Aventis c/ Sté Glaxosmithkline et a.,

JCP, G., 2005, I, 149, p. 1227, obs. G. VINEY et , JCP, G., 2005, II, 10085, note L. GRYNBAUM.

265 Civ. 1ère, 23 sept. 2003, chron. Ch. RADE, « Vaccination anti-hépatite B et sclérose en plaques : la Cour de

cassation envahie par le doute », RCA, nov. 2003, p. 4 ; chron., G. VINEY, JCP, G., 2004, I, 101, p. 23. ; Civ. 1ère, 24

janv. 2006, comm. L. NEYRET, « La défectuosité : nouvel enjeu du contentieux du vaccin contre l’hépatite B », D.,

2006, n° 19, p. 1273 ; JCP, G., 2005, II, 10085, note L. GRYNBAUM.

266 CA Versailles, 2 mai 2001, SA Smithkline Beecham c/ A. Morice ép. Jeanpert, CPAM de Sarreguemines, n° 98-

laboratoire producteur du vaccin contre l’hépatite B. En l’espèce, une salariée ayant l’obligation de se vacciner avait contracté les premiers symptômes de la sclérose en plaques dès la première injection du vaccin. Moins de deux mois plus tard, le diagnostic de la maladie était établi. Deux arrêts avant dire droit conclurent respectivement à la nécessité de faire une expertise et à la nomination d’un collège d’expert ayant pour mission de caractériser l’imputabilité du vaccin dans la maladie. Si le rapport conclut à l’absence de lien de causalité certain, il n’évinçait pas la possibilité d’un risque faible. D’autres éléments, tel que l’absence de prédisposition de la victime, l’apparition rapide des symptômes, la mention du risque dans le dictionnaire Vidal, sa reconnaissance par l’Agence Française de Sécurité Sanitaire des Produits de Santé (AFSSAPS) et par le laboratoire dans une lettre écrite à la victime et le fait que la Caisse de Sécurité Sociale et la Direction Générale de la Santé ont accepté d’indemniser la victime, ont permis à la Cour de constater un ensemble de « présomptions suffisamment graves, précises et concordantes permettant de conclure que, pour Madame Y., la vaccination avec l’ENGERIX B, a eu un rôle précipitant ou déclenchant de la sclérose en plaques dont elle est atteinte ».

Pour ces juridictions du fond, le caractère préventif du principe de précaution est reconnu dans la signification de l’obligation de sécurité qui pèse sur le producteur du médicament mais non dans la nature des mesures prononcées. En effet, les décisions mentionnées conduisent à des mesures de réparation pécuniaires du préjudice subi. Il faut évidemment relativiser ceci. En effet, les juridictions étant ici saisies une fois le dommage réalisé, il ne peut en être autrement.

70-2. La jurisprudence réticente de la Cour de cassation. Cependant, si les juges du fond

semblent ouverts au principe de précaution, il n’en est pas de même de la Cour de cassation. Dans un arrêt du 23 septembre 2003268, l’arrêt d’appel a été cassé au motif que la possibilité non exclue scientifiquement d’une association entre le vaccin et la maladie ne permettait pas de retenir le lien de causalité entre le dommage et le produit et, par conséquent, le défaut de sécurité de ce dernier. Plus récemment, la Cour s’est portée sur le terrain de la défectuosité du produit plutôt que sur celui du lien de causalité. Dans deux arrêts du 24 janvier 2006, la Cour applique

quasiment littéralement l’article 6 de la directive de 1985269 sur la responsabilité des produits défectueux. Outre le champ d’application restreint270 et la notion de producteur étroite271, le

267 TGI Nanterre, 5 juin 1998, Janiak c/ Touzet, Dalloz affaires n° 144, 14 janv. 1999, p. 66 ; D., 1999, somm., p.

336, obs. J.-C. GALLOUX.

268 Civ. 1ère, 23 sept. 2003, chron. Ch. R

ADE, « Vaccination anti-hépatite B et sclérose en plaques : la Cour de

cassation envahie par le doute », RCA, nov. 2003, p. 4 ; chron., G. VINEY, JCP, G., 2004, I, 101, p. 23.

269 Directive (CE) n° 85/374 du Conseil du 25 juill. 1985 relative au rapprochement des dispositions législatives,

réglementaires et administratives des Etats membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux, transposée en droit français par la loi n° 98-389 du 19 mai 1998 et codifiée aux articles 1386-1 à 1386-18 du Code civil.

270 Restriction du champ d’application temporel : pour les produits mis en circulation avant la loi du 19 mai 1998,

les articles 1382 et 1147 sont applicables mais interprétés à la lumière de la directive. Civ. 1ère, 28 avr. 1998, RTD

civ., 1998, p. 684, obs. P. JOURDAIN. Pour les produits mis en circulation entre 1985 et 1998, la directive ne peut

servir à l’interprétation du droit commun, qu’il s’agit d’un délai de prescription. Civ. 1ère, 24 janv. 2006, Institut

Pasteur c/ Raymonde X. et autres, comm. 89, Ch. RADE, RCA, 2006 ; P. JOURDAIN, RTD civ., avril/juin 2006, p.

défaut de sécurité du produit est une notion strictement délimitée. La défectuosité doit ressortir de la présentation du produit, de l’usage qui peut en être raisonnablement attendu et du moment de la mise en circulation du produit. Sur ces différents éléments, la Cour estime, en conformité avec la CJCE272, que le moment de la mise en circulation coïncide avec le dessaisissement du produit dans le réseau de la vente-distribution, et que la présentation du produit, sa notice notamment, faisant référence aux risques sans que le rapport bénéfice/risque pour le patient ne lui soit défavorable empêche de considérer le produit comme défectueux. La Cour de cassation ne retient alors pas le principe de précaution en concevant que le risque faible n’équivaut pas à un défaut de sécurité273.

En outre, le principe de précaution ne peut être directement invoqué et ce en raison du risque de développement. En effet, le risque de développement est une cause exonératoire de la responsabilité du fabricant tant en droit français274 qu’en droit québécois275. En d’autres termes,

le producteur peut s’exonérer de sa responsabilité en prouvant que « l’état des connaissances scientifiques et techniques, au moment où il a mis le produit en circulation, n’a pas permis de déceler l’existence du défaut ». Cette cause exonératoire est toutefois strictement circonscrite. L’état des connaissances ne résulte pas seulement du secteur d’activité du producteur mais de la connaissance scientifique en général276. De plus, il s’agit du niveau le plus avancé tel qu’il

existait avant la mise en circulation du produit, ce qui inclut la recherche scientifique de toute la

transposition de trois ans était laissé aux Etats membres. Il en conclut alors que le droit commun peut être interprété à la lumière de la directive à compter du 30 juillet 1988. Quant à la question du délai de prescription, toujours selon l’auteur, l’arrêt précité écarte le délai prévu par la directive et renvoi au délai de droit commun – dix ans en matière contractuelle et trente ans en matière délictuelle. Restriction du champ d’application matériel : le choix offert à la victime entre la responsabilité sans faute ou pour faute a été limité par la CJCE. La Cour européenne dans deux arrêts a interprété l’article 13 de la directive comme laissant la possibilité à la victime entre le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux ou la responsabilité pour faute. La responsabilité sans faute de droit commun est exclue. V. CJCE, 25 avr. 2002, aff. C-52/00, Rec CJCE, 2002, I, p. 3827 ; CJCE, Skov Aeg, aff. C- 402/03, Europe, 2006, comm. 95, L. IDOT.

271 L’article 1386-6 du Code civil définit le producteur comme le fabricant à titre professionnel d’un produit fini, le

producteur d’une matière première ou encore le fabricant d’une partie composante. Le vendeur, loueur ou tout autre fournisseur professionnel ne peuvent être responsable selon la CJCE qui a condamné la France pour l’avoir prévu dans la loi de 1998. CJCE, 25 avr. 2002, aff. C-52/00, Rec CJCE, 2002, I, p. 3827. « Le fournisseur, tel qu’un supermarché par exemple, ne pourra voir sa responsabilité recherchée qu’à la double condition que le producteur demeure inconnu et que le fournisseur n’indique pas dans un délai de trois mois son propre fournisseur ou le producteur », L. GRYNBAUM,note préc., p. 1059.

272 CJCE, 9 févr. 2006, Declan O’Byrne, aff. C-127/04, JCP, G., 2006, II, 10083, note J.-Cl. Z

ARKA.

273 Et ce depuis un arrêt de 2005, Civ. 1ère, 5 avril 2005, RTD civ., 2005, p. 607. En ce sens, V., P. JOURDAIN, RTD

civ., avril/juin 2006, p. 323, spéc., p. 326.

274 Art. 1386-11 al. 4 C. civ. Cf. G. V

INEY et P. JOURDAIN, Traité de droit civil, Les conditions de la responsabilité,

op. cit., n° 780.

275 Art. 1473 C. c. Q. Cf., J.-L. BAUDOUIN et P. DESLAURIERS, La responsabilité civile, op. cit., n° 155, p. 119. 276 CJCE, 29 mai 1997, Aff. C 300-95, Com. CE contre Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande, D., 1997,

communauté des chercheurs et pas seulement le département Recherche et développement de l’entreprise du producteur277.

70-3. Revirement de jurisprudence de la Cour de cassation. Pour ces raisons, la Cour de

cassation a modifié sa jurisprudence dans trois arrêts rendus le 22 mai 2008278. Sur des faits

similaires aux espèces précédemment exposées, la Cour reconnaît pour la première fois la responsabilité du laboratoire pharmaceutique en présence de présomptions graves précises et concordantes du lien de causalité. Ce dernier reçoit cependant une acception davantage juridique que scientifique – le doute scientifique demeurant. Quant à la défectuosité, le rôle de la notice semble essentiel. En présence d’une mention du risque dans le dictionnaire Vidal, le laboratoire a été rendu responsable en raison de l’absence d’information de ce risque dans la notice de son vaccin. Trois espèces ont ainsi donné lieu à un revirement de jurisprudence qui reste toutefois mesuré en raison de deux pourvois similaires qui ont, quant à eux, été rejetés le même jour279.

Désormais, pour la Cour de cassation, il est possible d’apporter la preuve de la causalité et de la défectuosité par des présomptions graves, précises et concordantes, ce qui ne renverse pas la charge de la preuve et ce qui n’est possible qu’en l’absence de tout autre facteur de contamination propre à la victime280. Autant dire que la preuve est très difficile à rapporter pour les victimes qui sont encore majoritairement déboutées au fond. Cette difficulté relativise de beaucoup la portée du revirement de jurisprudence et fait dire à certain que la solution ne peut désormais venir que des pouvoirs publics qui pourraient aligner le sort des victimes des effets de la vaccination contre l’hépatite B sur celles du HIV281.

70-4. Confirmation du revirement. Malgré ces difficultés de preuve, la position de la première

Chambre civile a été réaffirmée dans ce contentieux de la vaccination contre l’hépatite B. L’attendu final est clair : « si les études scientifiques versées aux débats par la société Sanofi Pasteur MSD n’ont pas permis de mettre en évidence une augmentation statistiquement significative du risque relatif de sclérose en plaque ou de démyélinisation après vaccination contre l’hépatite B, elles n’excluent pas, pour autant, un lien possible entre cette vaccination et la survenance d’une démyélinisation de type sclérose en plaque »282.